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tances partielles, le silence est sans expression et sans force, et la loi conserve toute son autorité; la simple dénégation d'un fait, disait Voet aux Pand. de leg., no 35, les déclarations que feraient des témoins ou des auteurs qui n'ont jamais vu ni su que telle loi ait reçu d'application, ne suffiraient pas pour justifier que la loi est tombée en désuétude.-Ce fut pour faire cesser tous les doutes sur ce point, que la loi du 21 septembre 1792 ordonna que les lois non abrogées fussent provisoirement exécutées.

403. L'abrogation, résultant d'un usage contraire, ne peut jamais affaiblir les lois que le législateur n'a point faites. Il est certain, par exemple, que les lois naturelles ne peuvent point tomber en désuétude. « Les lois immuables, dit Domat, Traité des lois, chap. 11, s'appellent ainsi, parce qu'elles sont naturelles et tellement justes, toujours et partout, qu'aucune autorité ne peut les changer, ni les abolir, »> Il est également certain que les lois qui font partie du droit des gens, ne peuvent pas non plus être abrogées par un usage contraire, ces lois étant communes à toutes les nations; il ne peut dépendre de l'une d'elles d'abroger des dispositions qu'elle n'a point faites: nihil enim tàm naturale est, quàm codem genere quodque dissolvere, quo colligatum est, leg. 35, ff. de reg. juris.

Enfin, il est également reconnu que les lois qui constituent le droit public des nations, ne peuvent point être abrogées par un usage contraire. Ces lois forment notre organisation sociale; on ne pourrait leur porter la moindre atteinte, sans jeter l'inquiétude dans la nation, sans l'exposer à des déchiremens, à des révolutions. « Les constitutions, disait M. Dupin dans sa réplique pour M. de Pradt, sont les colonnes sur lesquelles s'appuient les gouvernemens; on ne peut les ébranler sans qu'aussitôt l'édifice entier menace ruine. » M. de Chateaubriand avait exprimé la même idée d'une manière d'autant plus remarquable, que les évé

nemens l'ont entièrement confirmée. <«< La Charte, disait-il, est plus forte que nous : Quiconque voudra la détruire, sera détruit par elle. »

404. Moyennant ces exceptions, toutes les lois sont sujettes à tomber en désuétude; d'Agusseau, lett. du 26 octobre 1736; mais surtout les lois de circonstance, celles dont Bacon a dit dans ses aphorismes : Quæ manifestò temporis leges fuere, atquè ex occasionibus reipublicæ tunc invalescentibus notæ. Ces lois sont abrogées avec d'autant plus de facilité, que nées à l'occasion de circonstances qui durent peu, elles ne sont censées faites que pour le temps où elles pourront être nécessaires; elles doivent périr avec les circonstances qui les avaient fait porter, avec la cause qui les avait produites.

405. Lorsqu'une loi est tombée en désuétude, elle perd sa force et son autorité, Aristote, lib. 2, cap.6, de legibus. Elle est réputée n'avoir jamais été faite, mantica de ambig. et tac. convent, lib. 5, tit. 13, no 40 et 41. La partie de ses dispositions qui était prescrite à peine de nullité, n'oblige pas plus que la loi même; l'usage justifie l'omission des formalités qu'elle exigeait, et il est bien certain qu'on ne peut plus tirer un moyen de cassation d'une loi qui a été tacitement abrogée par un usage contraire; d'Aguesseau, loc. cit.

406. L'usage, avons-nous dit, abroge la loi, mais il ne faut pas croire qu'il puisse acquérir l'autorité de la loi, et ajouter à celle-ci une ou plusieurs dispositions, que par exemple il puisse ajouter à celle-ci une peine de nullité qu'elle ne porterait pas, et qui ne serait pas dans son esprit. Un arrêt et un jugement ne pourraient point être cassés, par cela seul qu'ils auraient été rendus contrairement à un usage; et si, par une fausse interprétation et par suite d'une erreur commune, on avait accueilli de pareilles nullités, cela n'engagerait pas les tribunaux; ils pourraient juger contrairement à leurs précédens jugemens; ils le devraient

même, suivant ce que nous avons dit, au troisième chapitre, qu'ils ne peu

vent prononcer de nullités qu'autant que la loi les y autorise.

CHAPITRE VII.

Des Nullités sans griefs.

407. Les lois ayant principalement pour objet l'ordre public et la conservation des intérêts particuliers, leurs dispositions n'ont et ne peuvent jamais avoir de l'importance, qu'autant que de leur inobservation doit résulter un dommage que'conque; l'absence de tout préjudice enlève à une contravention toute sa gravité, et ce serait méconnaître la volonté du législateur et les règles de l'équité, que de faire résulter de cette contravention la nullité d'un acte ou d'une convention; aussi a-t-on toujours tenu pour certain qu'il n'existait point de nullité sans grief.

Cette maxime est née du besoin de proscrire ces procès scandaleux, par lesquels un débiteur retardataire, un plaideur de mauvaise foi, se flattant de se soustraire, au moins pour quel que temps, à une obligation qu'ils ont légitimement contractée, se plaignent d'une omission ou d'une contravention qui ne leur ont cependant enlevé aucune des garanties que le législateur avait voulu leur donner, et qui en un mot ne leur ont porté aucun préjudice.

« Je ne conçois pas bien, disait le chancelier d'Aguesseau, vol. 8, pag. 316, ce que vous voulez dire quand vous remarquez que dans l'écrou du nommé..... il n'est pas fait mention de la qualité; d'où vous coucluez que tout le procès est nul, parce que l'écrou en est la base et le fondement; il fau

drait savoir premièrement ce que c'est que cette qualité dont on a omis de faire mention; et je ne conçois pas que cette omision telle qu'elle soit, puisse être d'une si grande conséquence, n'y ayant point d'erreur et de doute sur la per

sonne.

408. Elle était généralement admise dans l'ancienne jurisprudence, et il n'existe dans nos lois aucune disposition qui puisse faire supposer qu'elle n'ait point passé dans la législation moderne; la jurisprudence de la Cour de cassation et des Cours royales l'ont consacrée dans une infinité de circonstances, et les auteurs ne l'ont pas révoquée en doute. Voici quelques exemples dans lesquels cette règle reçoit son application.

409. L'art. 608 du Code de proc. est ainsi conçu : « Celui qui se prétendra propriétaire d'effets saisis pourra s'opposer à la vente, par exploit signifié au gardien, et dénoncé au saisissant et au saisi, contenant assignation libellée, et l'énonciation des preuves de propriété, à peine de nullité. » On suppose qu'en assignant le saisissant et le saisi, on ait seulement signifié au gardien l'opposition à la vente sans lui donner l'assignation, cette omission entraînerait la nullité de la procédure? L'affirmative semblerait devoir résulter de la généralité des expressions dont s'est servi le législateur dans l'article précité; cependant on a considéré que

cette omission n'occasionnait aucun préjudice à personne, et l'on pense généralement qu'elle ne doit point entraîner la nullité de la revendication. (Carré, art. 608 du Code de proc.)

410. Par suite de la même règle, il a été jugé que l'exploit qui ne renfermait pas le nom de l'huissier, mais seulement sa signature, ne devait pas être annulé, bien que l'art. 61 du Code de proc. prescrive ceite énonciation à peine de nullité; car, dit la Cour de Toulouse, dans un arrêt du 11 juillet 1821, si le législateur a voulu, par cette formalité, que la partie assignée pût, à la simple lecture de l'exploit, apprendre d'une manière non équivoque quel était l'huissier porteur de l'acte, pour s'assurer s'il avait le droit d'instrumenter dans le ressort, son intention est remplie, quoique l'huissier ait omîs son nom après l'énonciatiou de sa demeure et de son immatricule, si d'ailleurs il a apposé sa signature au has.

411. La Cour de cassation s'est prononcée dans le même sens; voici dans quelle espèce: une saisie immobilière avait été faite en vertu d'un jugement contradictoire en dernier ressort la saisie n'indiquait pas la profession du saisissant, et se trouvait ainsi frappée de nullité par les art. 61, 675,677, 717 du Code de procédure civile. Cette nullité ayant été proposée, les juges refusèrent de l'accueillir, par le motif que le saisi n'avait pu méconnaître la profession du saisissant, avec lequel il avait été jugé contradictoirement lors de la condamnation obtenue contre le saisi, condamnation en vertu de laquelle la saisie immobilière se poursuivait; qu'ainsi la nullité était sans griefs (jugement du tribunal de Castres, du 23 octobre 18II); sur l'appel, la Cour de Toulouse rendit un arrêt confirmatif de ce jugement, le 23 décembre 1811. La Cour de cassation jugea de même le 19 août 1814; Dalloz, t. 24, p. 175-Le saisi s'étant pourvu en cassation contre cet arrêt, le pourvoi fut rejeté, à cause qu'il était constant en fait, que le saisi avait été désigné au procès-verbal de

saisie de la même manière qu'il l'avait été dans tous les actes de procédure, pour parvenir au jugement dont la saisie a été l'exécution; en sorte que le demandeur avait la connaissance la plus précise de la personne du saisissant, etc.

411. Il a été également jugé qu'un exploit de signification ne devait pas être annulé, par cela seul que l'huissier avait omis la date de l'année, si d'ailleurs la partie avait pu connaître cette date, au moyen des actes signifiés et des énonciations renfermées dans l'exploit.—Arrêt de cassation du 8 nivôse an XI; Dalloz, t. 14, p. 540; Sirey, vol. 3, p. 553.

412. Par la même raison, le défaut de date dans un acte notarié ordinaire ne serait point une cause de nullité, si par la date de l'acte qui le précède, par la date de l'acte qui le suit, et par des énonciations incontestables, cette date ne pouvait pas être douteuse.

On peut voir un arrêt de la Cour de cassation du 22 février 1819; Dalloz, t. 24, p. 355; Sirey, 1819, p. 103.Deux arrêts de la Cour de Bourges; Sirey, 1822, p. 157.

413. La maxime qu'il n'est point de nullité sans grief, a pour objet de repousser une action dont le mobile est la chicane ou la malice; elle est la conséquence de cette règle de justice qu'il ne faut jamais se montrer indulgent pour la méchanceté des hommes: Maliciis hominum non est indulgendum. Elle est dès-lors d'ordre public.-C'est par ce motif qu'il a été jugé :

1° Que l'exception prise de défaut de grief ne peut point être couverte, que l'on est admis à l'opposer en tout état de cause, même en appel.- Arrêt de cassation, du 4 avril 1810; Sirey, 1810, 218; p.

2° Que cette exception doit être accueillie d'office par les tribunaux, si les parties ne la proposent pas, même dans le cas où elles font défaut: aucune considération ne pouvant porter le juge à annuler une procédure, ou un acte, pour cause d'une omission sans importance qui n'a pu porter aucun préjudice à la partie qui s'en plaint.

414. On pensait autrefois que la maxime qu'il n'est point de nullité sans griefs ne pouvait être opposée à celui qui, bien qu'il n'en eut point ressenti un préjudice particulier, proposait une nullité prononcée dans l'intérêt public: on disait qu'en cette matière, le demandeur en nullité avait toujours un intérêt suffisant comme membre de la société, à faire annuler un acte immoral, illicite, dont l'existence tendrait à compromettre la tranquillité de cette société elle-même.

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Cette opinion était juste sous la législation romaine, parce qu'alors on ne connaissait pas l'institution d'un corps de magistrature, chargé d'exercer les actions qui se rapportent à l'ordre public; chaque citoyen avait le droit d'intenter les actions de ce genre, actions que par ce motifla loi appelait: populaires, leg 2, § 3, de popul. act. Aujourd'hui, de même que sous l'ancienne jurisprudence française, il ne peut en être ainsi les actions populaires n'existent plus (Serres aux inst., pag. 378.) Nous avons des magistrats spécialement chargés de faire respecter les lois et de veiller à la conservation de l'ordre public; dépositaires des plaintes des citoyens, ce n'est que par leur organe que

ceux-ci peuvent dénoncer à la justice l'existence d'un acte contraire au bon ordre; si ces derniers s'adressaient directement aux tribunaux, pour demander la nullité d'un pareil acte, ils devraient être repoussés par cela seul que la contravention à la loi ne leur a apporté aucun préjudice, et qu'ils ne peuvent pas proposer une nullité sans grief. L'intérêt de la société exige qu'on prévienne ces actions odieuses qui, sous le prétexte du bien public, ne seraient que l'effet de la méchanceté et de la haine, et qui se multiplieraient en raison de la grande facilité qu'il y aurait à les proposer.

415. Enfin, on ne doit pas perdre de vue que la règle, qu'il n'est point de nullité sans grief, n'est qu'une règle d'interprétation, et qu'il n'est possible de l'appliquer que dans les cas où la volonté du législateur peut être douteuse. Sila loi est claire, précise, exempte d'équivoque, le juge ne peut se dispenser de prononcer la nullité, il n'a point à rechercher le plus ou moins d'intérêt que les parties ont à la proposer, suprà no 327. Seulement dans ce cas la maxime ci-dessus doit faire accueillir les équipollens et les inductions, suprà nos 361 et 366.

CHAPITRE VIII.

Par quelles voies doit-on faire déclarer les Nullités.

416. Lorsqu'un acte ou une convention sont nuls ou annulables, la partie à qui appartient le droit de proposer la nullité, doit agir par voie d'action principale. Cette action est une action ordinaire, dont l'exercice doit subir la forme et les délais des actions en géné

ral. Cette partie peut aussi proposer la nullité par exception, toutes les fois qu'elle est poursuivie en vertu d'un acte nul ou annulable. Mais toujours il est nécessaire qu'elle obtienne jugement, car les nullités ne produisant pas leurs effets de plein droit (supràno 16),

les actes sont présumés valables jusqu'à ce que la nullité en ait été déclarée par jugement; arrêt de cassation, du 27 août 1818; Sirey, 1818, 1. 405. — II n'y a exception que lorsque la loi, portant une nullité, ajoute qu'il ne sera pas besoin qu'elle soit prononcée. Voir les art. 366 et 692 Code de procéd; ou encore lorsqu'un acte est tellement informe qu'il doit n'être considéré que comme un simple projet; comme si, par exemple, une partie opposait un acte notarié qui ne serait signé ni par les parties, ni par les notaires. Arrêt du 6 mai 1813.

417. Quant aux jugemens, ils ne peuvent pas être attaqués par voie d action principale en nullité, ni par exception. La partie qui veut les faire annuler, doit nécessairement recourir aux voies ordinaires que la loi prescrit pour les attaquer. Arrêt de la Cour de cassation du 7 octobre 1812; et il est de principe que les nullités des jugemens ne peuvent plus être proposées, dès que par l'expiration des délais fixés pour les attaquer, ils ont acquis l'autorité de la chose jugée. 418. Les voies légales pour faire annuler les jugemens sont, Io l'opposition simple, lorsque le jugement a été rendu par défaut; 2o l'appel; 3o la tierce opposition; 4o la requête civile; 5o la cassation. On peut ajouter à ces moyens directs de faire réformer un jugement, la prisé à partie et le désaveu.

419. L'ordre des juridictions a été calculé sur le plus grand intérêt des plaideurs, et sur des raisons d'intérêt général, aussi n'est-il permis à personne de le méconnaître, et de franchir les divers degrés dont il se compose; il est reconnu qu'on ne peut user à la fois de deux des moyens ci-dessus, pour faire rétracter un jugement, et qu'on ne peut recourir à celui que la loi indique en dernier lieu, qu'après avoir successivement employé tous ceux qu'elle indique en preniier ordre.

420. Le Code de procédure indiquant avec exactitude les voies ordinaires et extraordinaires pour faire réformer les jugemens, il est facile de faire l'ap

plication des dispositions qu'il renferme à cet égard. Nous avons, néanmoins, pensé qu'il était convenable de dire un mot sur deux circonstances importantes qui se présentent souvent dans la pratique.

421. Nous avons dit que le recours de cassation et la requête civile étaient deux moyens que la loi donnait pour faire réformer les jugemens. L'un et l'autre ont pour objet de dénoncer une contravention à la loi; mais comme il n'est pas permis d'employer l'un ou l'autre indistinctement, on a élevé des doutes sérieux sur leur application. Plusieurs arrêts contradictoires ont été rendus, et ce n'a été que depuis quelque temps que la jurisprudence a été fixée sur ce point. Elle a consacré :

1o Que la violation des formes prescrites à peine de nullité, 'orsqu'elle provient du fait des juges, donne lieu à la cassation; arrêt du 19 déc. 1831; Jurisp. du 19e siècle, 1832, 1. 216;

2o Que la violation des formes ou nullités provenant du fait des parties, lorsqu'elles ont été proposées, donne également lieu à cassation. Arrêt du 19 juillet 1809; Sirey, vol. 14-1-160;

3o Enfin, que la violation des formes prescrites à peine de nullité ne donne lieu à requête civile, qu'autant qu'elle provient du fait des parties, et que celles-ci ne les ont t pas proposées, lors du 1er arrêt. Arg. des deux arrêts ci-dessus.

422. Nous avons dit également que la tierce-opposition était un moyen de faire annuller les jugemens. La tierceopposition est une voie extraordinaire par laquelle on attaque un jugement rendu dans une affaire, et lors duquel on n'a pas été appelé.

La nécessité de ne pas confondre les moyens de recours que la loi donne pour faire réformer les jugemens et arrêts, a donné naissance à une question du plus grand intérêt; c'est celle de savoir si pour écarter l'exception de la chose jugée, tirée mal à propos d'un jugement dans lequel on n'a pas été partie, il est absolument nécessaire de former tierce-opposition à ce jugement?

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