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que, par l'art. 1123, Code civil, il est dit que toutes les personnes peuvent contracter si elles n'en sont pas dé larées incapables, et que nulle part on ne retrouve dans la loi une disposition qui

déclare tel le sourd-muet.

Ce qui le prouve encore, c'est ce qui s'est passé au Conseil d'État lors de la discussion sur l'art. 146 du Code civil. Le projet de cet article déclarait les sourds-muets incapables des contracter mariage, à moins qu'il ne fût constaté qu'ils étaient capables de manifester leur volonté. Cette disposition fut retranchée sur l'observation du consul Cambacérès; puisque, «disait-il, cette >> disposition a uniquement pour objet » d'expliquer que les sourds-muets ne » peuvent se marier qu'autant qu'ils >> peuvent consentir, la disposition se >> confond avec celle de l'art. 4, d'a>> près laquelle il n'y a point de ma»riage, s'il n'y a point de consente

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50. Jusqu'ici nous nous sommes occupés de la capacité du sourd-muet, pour les conventions en général. Quant à la faculté de disposer, soit par donation, soit par testament, il faut distinguer: s'il ne sait pas écrire, il ne peut disposer, car il est impossible qu'il puisse donner des signes certains de sa volonté. Si talis est testator qui neque scribere, neque articulatè loqui potest, mortuo similis est. Leg. 29, Cod. de Testam.; Pothier, Traité des Donations, sect. 1re., art. 1. Cela est si vrai, que l'art. 936 Code civil le rend incapable de figurer personnellement dans une donation qui lui est faite, pour l'acep

ter; à plus forte raison est-il incapable d'y figurer comme donateur.

51. S'il sait écrire, nul doute qu'il ne puisse faire un testament olographe, car la loi n'exigeant pour la confection de ce testament que la condition qu'il soit écrit, daté et signé de la main du testateur, le sourd-muet est à même de satisfaire au vœu de la loi. Inst. de Just. lib. 2, titr. 2, § 3.

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52. Il peut faire aussi un testament mystique; mais il faut que le testament soit entièrement écrit, daté et signé de sa main; qu'il soit par lui présenté au notaire et aux témoins, et qu'au haut de l'acte de suscription, écrive en leur présence que le papier qu'il présente est son testament : après quoi le notaire écrit l'acte de suscription dans lequel il est fait mention que le testateur a écrit ces mots en présence du notaire et des témoins. Art. 979, Code civil.

53. Mais peut-il faire un testament public? peut-il consentir une donation? Nul doute qu'il est incapable de faire un testament public; car suivant l'art. 972 Code civil, ce testament doit être dicté au notaire par le testateur, et le notaire ne peut l'écrire que tel qu'il est dicé. - Or le sourd-muet ne peut remplir cette formalité qui est cependant substantielle.

54. Quant à la question de savoir s'il peut faire une donation, il Y plus de difficulté; et cependant on paraît pencher pour l'affirmative, par le motif que, suivant l'art. 902, Code civil, toute personne peut disposer par donation entre-vifs, si elle n'en a point été déclarée incapable, et que le sourd-muet n'est nullement frappé de cette incapacité. C'est ainsi que M. Favard de Langlade dit, en son répertoire. Vo sourd-muet . «Lorsque le sourd-muet >> veut faire une donation, rien ne s'op» pose à ce qu'il écrive sa volonté en >> présence du notaire et des témoins, >> et qu'il ne signe très-valablement la >> transcription que le notaire en a faite » après en avoir pris lecture. » Voir en

core ce que dit M. Grenier, Traité des Donations, no 285.

55. Tout en convenant que l'opinion de ces deux auteurs est la plus généralement suivie, nous n'en sommes pas moins convaincus qu'elle est en opposition aux principes, et inconciliable avec plusieurs dispositions du Code civil. On remarque, en effet, que le législateur ne s'est occupé que dans une seule circonstance de la capacité du sourd-muet pour disposer de ses biens, c'est pour l'autoriser à faire un testament mystique; que pour une pareillé disposition il a considéré comme insuffisantes la comparution du disposant devant le notaire et les témoins, sa signature au bas de l'acte, et sa déclaration au haut de l'acte de suscription que le papier qu'il présente est son testament; qu'enfin il a prescrit impérieusement et comme pouvant, seule, présenter une garantie entière de l'intelligence et de la volonté du sourd-muet, la condition que le testament serait entièrement écrit, daté et signé de sa main.

Or, si la comparution du sourdmuet devant le notaire et les témoins, si sa signature au bas de l'acte, si la déclaration même de ses intentions, ne sont point suffisantes pour valider une disposition qui ne doit, cependant, avoir son effet qu'après qu'il ne sera plus, comment supposer qu'elles suffiront pour valider une donation qui doit le dépouiller à l'instant et irrévocablement (art. 894 Code civil), et dont les suites peuvent être d'autant plus funestes qu'elles sont irréparables? 56. Vainement dit-on que le sourdmuet qui voudra donner, écrira ses intentions devant le notaire; car la loi n'exige pas cette condition, et, très-certainement, le législateur n'aurait pas manqué de l'exiger, s'il eût voulu que le sourd-muet pût disposer de ses biens de cette manière. D'ailleurs, nous l'avons dit, cette déclaration est insuffisante pour la confection d'un testament mystique; elle serait donc sans force pour valider une

donation qui exige bien une capacité aussi entière de la part du disposant.

57. Vainement encore, invoque-t-on l'art. 902 du Code civil, d'après lequel << toutes personnes peuvent disposer par » donation, si elles ne sont point dé>> clarées incapables; >> car cet article doit être combiné avec l'art. 1108 du Code civil, suivant lequel, le consentement de la partie qui s'oblige est une des conditions essentielles pour la validité des conventions, et encore avec les anciens principes qui considéraient le sourd-muet comme incapable de donner son consentement, et surtout d'en apprécier les conséquences, Mortuo similis est, disait la loi. 29 Cod. de Test.

Or, il suit de ces diverses dispositions et considérations, que le sourd-muet, étant naturellement incapable de manifester sa volonté, est présumé ne pouvoir donner un consentement sain et réfléchi; que cette présomption cesse bien devant les preuves du contraire, dans les contrats purement consensuels, parce qu'à leur égard, la preuve du consentement suffit, pourvu qu'il soit manifesté ; mais que, pour les contrats solennels, pour les dispositions où le législateur a prescrit les formes et conditions spéciales qui devaient valider le consentement des contractans, sourd-muet était incapable, à moins qu'il n'eût été relevé de son incapacité naturelle.

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Ainsi, il ne peut pas faire de testament public, parce qu'il ne peut pas le dicter, et que le législateur ne l'a point dispensé de cette formalité. Suprà, n.o 53.

Ainsi, il ne peut pas faire un testament mystique, à moins qu'il ne se soumette à des formalités qui lui ont été imposées comme une garantie de son intelligence, et comme nécessaires à la manifestation de sa volonté. Art. 979 du Code civil.

Ainsi, et à fortiori, il est incapable de donner entre-vifs, puisque, pour ce genre de contrat, il faut la déclaration expresse qu'on donne, et le sourd

muet est incapable de faire cette déclaration.

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58. On objecte, encore, étant que la loi permet au sourd-muet de faire un testament olographe et un testament mystique, de contracter riage, etc., etc., on doit présumer on doit présumer qu'elle a voulu lui permettre de consentir une donation entre-vifs; nous répondrions qu'il n'y a aucune analogie entre ce dernier contrat et ceux dont nous venons de parler. Il était juste que le sourd-muet pût disposer de sa fortune, au gré de ses affections, pour le temps où il aurait cessé d'être; il était convenable qu'il pût se marier,

et faire les actes nécessaires à l'administration, la conservation, ou l'augmentation de sa fortune: le priver de ce droit, c'eût été le priver d'un des avantages les plus précieux de la vie civile. Quant au droit de disposer de son bien par donation, il n'y avait aucune raison de le lui accorder, et il y en avait beaucoup pour l'en priver: le testament, par exemple, est révocable; rien n'empêche celui qui l'a fait, n'étant pas libre, de le refaire quand la contrainte a cessé; tandis que la donation, rarement utile au sourd-muet, le dépouille d'une manière irrévocable, et peut avoir pour effet de le ruiner complètement.

59. Jusqu'ici, en parlant du sourdmuet, nous ne nous sommes occupés que de celui qui était privé d'une manière absolue de l'usage de la parole. S'il s'agissait d'un sourd-muet qui pût se faire comprendre en parlant, quoique avec la plus grande difficulté, les dispositions qu'il aurait faites et les contrats qu'il aurait consentis, seraient valables. § Utiquè, etc. aux Inst. quib. non est permiss. fac. test.

60. En terminant ce sujet, qu'il nous soit permis d'émettre le vœu de voir le législateur s'occuper d'une manière plus spéciale, du sort du sourd-muet. Il ne suffit pas que la philantropie ait pris le soin de faire son éducation, et que le législateur le fasse participer aux avantages de la société : il faudrait que

la surveillance de la loi devînt plus active, du moment que cesse la protection de ses maîtres. Il faudrait que son inexpérience fût éclairée, et qu'il eût un moyen de lutter contre les dangers qui l'environnent dans un monde qu'il ne connaît pas. Nous voudrions que, à raison de l'état physique de sa personne, de l'incertitude qui règne habituellement sur son intelligence, et sur la part qu'il prend aux engagemens qu'on lui propose, il fût considéré comme mineur, et qu'il fût soumis aux lois sur la minorité, ou tout au moins que l'on lui donnât un curateur, sans l'assistance duquel il ne pourrait aliéner ses biens. Que l'on réfléchisse, un seul instant, sur la législation qui le concerne, et l'on sera frappé des dangers dont il est environné. S'il sait écrire, il peut vendre, emprunter, consommer sa ruine; et cependant de pareils actes sont d'autant plus à craindre pour lui, qu'il peut être plus facilement trompé ou violenté. Que de malheureux de cette espèce ont été dé pouillés, sans avoir pu faire entendre leurs plaintes !

De l'incapacité civile.

61. Il y a incapacité civile dans tous les cas où il y a incapacité naturelle : c'est la conséquence de l'art. 1108 du Code civil qui place le consentement de la partie qui s'oblige ou qui dispose, au nombre des conditions essentielles à la validité des conventions.

62. L'incapacité civile, proprement dite, est celle de l'individu qui, étant naturellement capable de contracter, en est déclaré incapable par la loi.

63. Cette incapacité est exceptionnelle; elle ne doit jamais être étendue au-delà des bornes que la loi a assignées. Arg. de l'art. 1103 du Code civil.

64. Elle est absolue ou relative. 65. L'incapacité absolue est celle qui prive l'individu qui en est frappé de l'exercice de ses droits civils. - Elle est l'effet de la mort civile. Arg. de l'art. 25 du Code civil. «La mort civile, di Merlin, en son Répert. Vo Mort civile,

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» produit à l'égard de la société le même » effet que la mort naturelle: elle » rompt absolument tous les liens qui » étaient entr'elle et celui qui l'a en» courue; il n'est plus censé exister » que par une sorte de commisération >> absolument indépendante des lois. » 66. Le mort civilement est donc incapable de consentir aucun des actes introduits la loi civile. Seulement, par le législateur lui a réservé les droits qui peuvent être nécessaires à son existence naturelle ainsi, 1o il est capable de recevoir à titre d'alimens, soit par acte entre-vifs, soit par testament; Discours de l'Orateur du gouvernement, dans l'exposé des motifs du Tit. 1, liv. 1; Arrêt de la Cour de Paris, du 27 novembre 1813; 2° il peut actionner ses enfans pour se faire donner des alimens: Arrêt de la Cour de Paris, du 18 août 1808; 3.o il peut acquérir à titre onéreux et faire le commerce: Arg. des art. 25 et 33 du Code civil. Mais comme il ne peut personnellement ester en justice, s'il a besoin de plaider, à raison des droits qui lui sont réservés, le tribunal de vant lequel il porte son action, est tenu de lui nommer un curateur qui le représente. (Art. 25 Code civil.)

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67. L'incapacité relative est celle dont le législateur a cru devoir frapp r certains individus, seulement à raison de certains actes, de certaines dispositions ou à cause des circonstances dans lesquelles ces individus se trouvaient placés, au moment où la convention a été consentie, ou la disposition faite. Cette incapacité n'existe pas pour d'autres actes que ceux pour lesquels elle a été prononcée; elle n'a pas lieu non plus hors des circonstances qui en avaient été le motif.

68. Malgré que nous nous soyons fait une loi de ne pas approfondir les exemples, nous devons examiner succinctement quelques-unes des incapacités prononcées par le code, et qui sont une cause journalière de procès et de difficultés.

ART. 1er. De l'incapacité des mineurs.

69. Quelques jurisconsultes ont prétendu que la minorité n'était jamais une cause de nullité, mais seulement une cause de rescision, dans le cas où le mineur aurait été lésé; ils ont cru trouver le fondement de cette opinion dans la nature même de cette incapacité qui, ne reposant pas principalement sur le défaut de raison, mais bien sur l'inexpérience et la trop grande facilité du mineur, ne peut avoir d'autre objet que d'éviter qu'il ne soit lésé ; suivant l'ancienne règle: Minor non restituitur lanquàm minor, sed tanquàm læsus.

Ils ont prétendu, en outre, qu'il y aurait une grande économie pour le mineur de lui permettre de faire 'oute sorte d'actes et de conventions, sans les nombreuses formalités auxquelles la loi les soumet, et qu'il n'y aurait aucun danger pour lui, puisqu'il pourrait, dans tous les cas, faire rescinder les engagemens onéreux.

Enfin, ils ont cru trouver, dans la jurisprudence, des décisions propres à dissiper tous les doutes; ils ont invoqué un arrêt de cassation, (Jur. du 19o. siècle, 1826, 1. 168) qui a jugéque, lorsqu'un établissement industriel appartenant à des mineur avait été vendu sans que les formalités prescrites pour l'aliénation des biens des mineurs eussent été remplies, cette vente pouvait être maintenue, si elle avait été faite par un huissier priseur, après évaluation, par un homme de l'art, de l'objet vendu, et si d'ailleurs il était constant que le prix fût un juste prix et eût tourné à l'avantage des mineurs, et qu'en maintenant une pareille vente, une Cour ne se mettais pas en contradiction avec l'art. 452 du Code civil.

70. Les considérations sur lesquelles repose cet arrêt seraient assez importantes pour nous faire désirer la révision des divers articles du Code qui intéressent les mineurs souvent, en effet, nous avons déploré les longueurs et les frais des procédures relatives à la vente ou

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71. Sous toutes les législations, on a pensé que les besoins et les intérêts des mineurs pouvaient leur rendre nécessaires les mêmes actes, les mêmes engagemens que les majeurs sont dans l'habitude de consentir; ces mineurs, en effet, appartiennent à la grande famille sociale, ils ont une fortune à conserver ou à acquérir; et les frapper d'une incapacité absolue eût été d'une injustice évidente; c'eût été même être injuste envers eux, que de ne pas leur permettre de faire, par eux ou par leurs tuteurs tous les actes qui rentrent dans l'exercice des droit civils.

72. Néanmoins, tout en reconnaissant les droits du mineur à cet égard, les législateurs n'ont pas perdu de vue qu'il n'était point d'un âge assez mûr et d'une expérience assez avancée, pour discerner l'utile de ce qui ne l'était pas, et pour échapper aux pièges que la cupidité ne cesserait de lui tendre; ils ont senti qu'il y aurait imprudence de mettre sa fortune à sa propre discrétion, ou même de la livrer au libre arbitre d'un tuteur ignorant ou de mauvaise foi, en permettant à l'un ou à l'autre, ou à tous les deux simultanément, de prendre toute sorte d'engagemens.

73. Dès-lors, ils ont dû distinguer parmi ces engagemens ceux qu'il serait nécessaire de soumettre à des conditions ou formalités spéciales, dont l'observation offrirait la garantie que les intérêts des mineurs ne seraient point compromis, et ceux, au contraire, desquels il était inutile de s'occuper d'une manière particulière, par le motif que le droit qu'aurait le mineur de le faire arnuler ou rescinder, au cas de lésion, serait une

garantie assez forte de la conservation de ses intérêts.

74. De là, la nécessité de distinguer parmi ces engagemens ceux qui seraient nuls dans la forme, c'est-à-dire, ceux qui seraient faits au mépris des dispositions spéciales, requises par les lois sur la minorité, comme garantie des intérêts du mineur, et ceux qui, n'ayant point été soumis à ces formalités ou ces conditions, seraient seulement rescindables - Cette ponr cause de lésion. distinction étant fondée sur l'ordre public, a toujours été d'une utilité incon-testable, et les législations qui nous ont précédé l'ont, toutes, admise.

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75. La loi romaine, à laquelle précisément on emprunte tous les jours la maxime: Minor non restituitur tanquàm minor, sed tanquàm læsus, n'en reconnaissait pas moins qu'en certains cas la minorité était une cause de nullité des conventions, sans qu'il fût besoin de prouver, ni même d'alléguer la lésion: peu importe disait-elle, la vileté du prix, lorsque les biens du mineur ont été vendus sans l'observation des formalités prescrites: Supervacuum est tibi de vili pratio tractare cum Sénatús-Consulti autoritas retento dominio alienandi viam obstruxerit. Leg. 11. Cod. de præd. minor. sine decret. non alien.

Dans la loi 49 ff. de minor, Ulpien consacre la distinction entre les actes nuls et les actes rescindables, « Si res pupil» laris, dit-il, vel adolescentis distracta » fuerit quam lex distrahi non prohibet; >> venditio quidem valet : verumtamen >> si grande damnum pupilli vel adoles>> centis versetur, etiamsi collusio non >> intercessit, distractio per in integrum >> restitutionem revocatur. »>

Pothier, dans ses Pandectes, liv. 4, tit. 4, no 14, à la note, rapporte les mots : quam lex distrahi non prohibet. Et il ajoute fort à-propos : Nàm si ea res sit quam lex distrahi prohibet, putà prædium rusticum, distractio ipso jure nulla est, nec opus est restitutione.

76. Dans l'ancienne jurisprudence, on avait consacré aussi la distinction entre les engagemens nuls pour vice de

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