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tion de celui qui garde le silence, et qui autorisent l'application de l'adage contrà non volentem agere non currit prescriptio.-Voir l'article 1676 du Code civil, et Delvincourt, tom. 6, pag. 117.

Enfin, la Cour de cassation a jugé la question de manière à faire cesser toute incertitude.

Un mineur avait institué contractuellement son frère pour son héritier dans tous les biens qu'il laisserait au jour de son décès, Le mineur pouvait se faire restituer contre cette institution, d'après les art. 294 et 296 de la coutume de la Manche. — Il n'usa pas de ce droit, quoiqu'il vécut 41 ans après avoir consenti ladite institution. A sa mort, ses héritiers prétendirent qu'il avait été incapable d'instituer contractuellement, à cause de sa minorité à l'époque du contrat; que la nullité de cette institution était absolue, et n'avait pu se prescrire à cause que, suivant l'opinion de M. Merlin, en ses Questions de droit. V° inst. contract., ce genre de contrat ne transférait à l'institué qu'un droit éventuel qui pouvait ne jamais s'ouvrir : qu'ainsi la prescription de la chose elle-même n'avait pu courir avant l'événement de la condition, Leg. 7, 4. cod. de præscript. trigent. et quadrag. annis; et qu'ainsi ce n'était qu'après la mort de l'instituant, et contre ses héritiers, que la prescription avait pu courir; et qu'alors seulement, le silence de la part des héritiers pourrait être considéré comme une ratification tacite.

On répondait que la coutume de la Manche, sous l'empire de laquelle l'institution avait été faite, ne rendait pas le mineur absolument incapable de contracter, mais lui réservait seulement une action en rescision ou restitution pour cause de lésion, et que cette action s'était prescrite pendant la vie de l'instituant par un laps de dix

(1) Hoc enim ipso deceptus videtur minor quod cum posset restitui intrà tempus sta

années, écoulées sans aucune réclamation de sa part, conformément à l'art. 134 de l'ordonnance de 1539.

;

Ce dernier système fut accueilli par le tribunal de Guéret, le 26 août 1808 et confirmé par arrêt de la Cour de Limoges, du 24 août 1812. Et sur le pourvoi, la Cour décida n'y avoir lieu à cassation. Arrêt du 30 nov. 1814, Sirey, 1815, p. 53.

492. Nous n'avons pas cru devoir citer d'autres exemples à l'appui de la proposition suivant laquelle les dix ans nécessaires pour opérer la prescription de l'action en nullité, ne commencaient à courir que le jour où l'obligation pourrait être expressément ratifiée, ou exécutée volontairement. Cette proposition est suffisament prouvée par tout ce qui précéde.

493. Troisième Conséquence. Le silence gardé par la partie qui pouvait invoquer l'action en nullité ou en rescision, n'équivalant à ratification, et ne validant un titre qu'autant qu'il s'est continué pendant dix ans, il faut que ces dix années se soient écoulées utilement, et dans leur entier, c'est-àdire, qu'il est nécessaire que tous les jour dont ils se sont composés, la convention ou l'acte aient pu être confirmés ou ratifiés, si bien que si pendant deux ou plusieurs jours il y avait eu une des causes ordinaires de suspension de prescription, ces jours ne compteraient pas.

C'est ainsi qu'on tient pour certain que la prescription de l'action en nullité ou en rescision est suspendue, lorsque cette action passe à un mineur ou à un interdit, et que ce qui manque aux dix ans ne commence à courir qu'à la majorité ou à la levée de l'interdiction. Cette décision est consignée dans la disposition générale de l'art. 2252 du Code civil. Elle est surtout motivée sur ce que la prescription, en ce cas, établirait à leur préjudice une véritable lésion. (I) – Cette décision ré

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tutum ex persona defuncti hoc non fecit. Leg. 19. ff. de minorib.

sulte encore de ce que nous avons dit que la prescription ne pouvait s'acquérir que contre l'individu ayant capacité pour ratifier l'acte ou l'obligation annulables, et que le mineur et l'interdit ne peuvent pas plus ratifier l'engagement de celui ou ceux qu'ils représentent, qu'ils ne pourraient ratifier leur propre engagement.

Malgré le nombre et la justesse de ces motifs, M. Toullier, tom 7, (édit. Tarlier, tom 4,) nos 614 et 615, n'est pas de l'opinion que nous avons adoptée ce n'est, dit-il, qu'à l'égard des actes faits par le mineur ou par l'interdit, que l'art. 1304 fait courir la prescription à compter du jour de la majorité ou de la levée de l'interdiction; il doit en être autrement pour les actes faits par ceux auxquels ils succèdent.

Nous ne concevons pas sur quelles raisons M. Toullier peut faire reposer son opinion. Nous admettrons pour un moment que l'art. 1304 ne s'applique pas directement à l'espèce ci-dessus, nous admettrons même qu'on ne puisse pas trouver l'indentité des motifs pour approprier à cette espèce celle que l'article 1304 a eu pour objet; el bien ! qu'en résulterait-il? c'est que la question ne pouvant pas être résolue par la disposition de cet article, on devra chercher les règles de solution dans les dispositions relatives à la prescription en général. Or, l'art. 2252 du Code civil, comme l'art. 1304, s'oppose à cé que la prescription puisse courir contre le mineur et l'interdit, et dèslors, la décision doit être la même, soit que l'on in voque la règle générale, soit que l'on se détermine par la disposition particulière.

M. Toullier l'a bien senti; aussi a-t-il cherché à éviter l'application de l'un et de l'autre de ces deux art. ; il argumente de l'art. 1676 du Code civil, qui porte que «le délai donné pour la rescision court contre les absens, les interdits et les mineurs venant du chef d'un majeur, « et prévoyant l'objection qu'on doit lui faire, il dit : « A la vérité, cet article est relatif à la rescision pour lésion

d'outre-moitié dont l'action ne dure que deux ans, mais il y a non-sculement identité de raison, mais une raison de plus pour appliquer cette disposition aux autres actions en nullité ou en rescision, etc. »>

Quelle autorité peut avoir l'art. 1676 dans la solution de la question? N'est-il pas évident qu'il n'y a aucune analogie entre l'action en rescision pour cause de lésion, et l'action en nullité basée sur les causes ordinaires. N'est-il pas établi que l'art. 1676 s'applique à une espèce particulière, exceptionnelle, et qui, par cela même, ne doit pas tirer à conséquence? Nous l'avons dit, en examinant les diverses causes de nullité et de rescision, au lieu des dix ans qui forment la durée des actions ordinaires en nullité, le législateur a borné à deux ans le terme de l'action en rescision pour cause de lésion d'outre-moitié. En limitant ainsi la durée de cette action, le législateur a concilié les justes droits du vendeur, et les exigences de l'ordre public, qui ne permettent pas qu'on laisse trop long-temps incertaines les aliénations de propriétés immobilières. Mais dans la fixation de ce délai, dans les conditions qui s'y rattachent, tout est spécial, et rien ne tire à conséquence; et l'on ne peut trouver aucun motif plausible pour s'en prévaloir dans l'interprétation des dispositions relatives aux actions ordinaires en nullité ou en rescision. Bien loin de là; nous devons penser que si le législateur avait partagé l'opinion de M. Toullier, il n'aurait pas manqué de faire une règle générale de la disposition qu'il a faite pour le cas particuliers de l'action en rescision. Son silence ne peut s'interprêter autrement que nous ne le faisons: surtout si on le rapproche de l'art. 2264 du Code civil, suivant lequel les règles de la prescription, sur d'autres objets, que ceux mentionnés dans le titre 20 du liv. 3, sont expliquées dans les titres qui leur sont propres

Disons-le donc: la question proposée ne peut être résolue que par l'art. 1304, ou par l'art. 2252, d'après lesquels la

prescription ne court pas contre les mineurs ni contre les interdits.

494. Telles sont les principales conséquences auxquelles nous avons dû nous rattacher; il en est une infinité d'autres, mais elles résultent de celles que nous avons examinées et ce serait se livrer à des longueurs inutiles que de les discuter toutes; le bon esprit de nos lecteurs puisera, dans ce qui précède, les moyens de résoudre les questions les plus importantes et les plus difficiles.

495. L'art. 1304 limite seulement l'action en nullité ou en rescision des conventions, il ne parle pas de l'exception; celle-ci est perpétuelle, quæ sunt temporalia ad agendum sunt perpetua ad excipiendum, c'est-à-dire, qu'elle dure autant que l'action, tandiù durat exceptio quamdiù actio.-Domat, delectus legum; lib. 44, tit. 4, n. 11; de telle sorte, que si celui à qui la loi donne l'action en rescision contre un acte est resté en possession de sa chose, il n'a pas à craindre la prescription : à quelque époque qu'on l'assigne, il peut exciper de la nullité ou de l'imperfection de l'acte, car, pour déposséder le détenteur d'un bien, il faut que le demandeur appuie sa demande d'un titre bon et légitime qui lui attribue la propriété, autrement il ne doit pas être admis dans sa demande. (1)

Si donc, une femme avait vendu son héritage sans le consentement de son mari, si un mineur avait vendu le sien sans l'observation des formalités prescrites par la loi, ils pourraient se prévaloir de la nullité de l'aliénation qu'on leur oppose, tant qu'ils seraient en possession de leur héritage. L'ordonnance de 1510 avait accueilli cette différence dans la durée de l'action en nullité et de l'exception; plus tard, l'art. 134 de l'ordonnance de 1539 l'avait supprimée, et il soumettait l'ac

(1) On lit dans la loi 5, § 6, ff. de dol. mal. et met. except.: » Non sicut de dolo actio certo tempore finitur, ità etiam exceptio eodem tempore dunda esl. Nam hæc per

tion et l'exception à un même délai de dix ans. Plus tard encore, cet article fut abrogé par l'usage, et on revint généralement à l'opinion qui voulait que l'exception fût perpétuelle. Voir Dunod, Traité des prescriptions, part. 1re, chap. 12; Denizart, vo Exception, no 5. —Au Parlement de Toulouse, on jugeait autrement, lorsque l'exception était de nature à pouvoir se changer en action : on voulait qu'alors l'exception fût prescrite par dix ans. Arrêt du 18 juin 1712, journal du Palais, vol. 3, pag. 430.

C'est dans ce sens qu'a été rendu un arrêt de cassation, du 18 juin 1826, Sirey, 1827, p. 379. Les circonstances particulières qui ont donné lieu à cet arrêt, la reconnaissance que semblait avoir faite de son obligation, la femme dont les héritiers voulaient, plus tard, la faire annuler, ont déterminé la Cour. Celle-ci a jugé en point de fait, et c'est par ce motif que la Cour de cassation a cru devoir rejeter le pourvoi.

496. Dans les numéros qui précèdent, nous ne nous sommes occupés que de la prescription ordinaire de l'action en nullité ou en rescision; de celle qui, aux termes de l'art. 1304, dure dix ans. L'on ne doit donc pas puiser nécessairement dans les dissertations que nous avons faites, les moyens de résoudre les questions relatives aux prescriptions particulières disséminées dans le Code. On doit se rappeler, en effet, que l'art. 1304 ne soumet au délai de dix ans que les actions en nullité, dont la durée ne se trouve pas limitée à un moindre délai par une loi particulière.-Disons un mot sur quelques-unes de ces prescriptions.

497. La nullité du mariage contracté sans le consentement des père et mère des ascendans, ou du conseil de famille dans le cas où il est nécessaire, se prescrit par le laps d'une année, qui com

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mence à courir utilement, savoir: pour ceux dont le consentement était nécessaire depuis qu'ils ont eu connaissance du mariage; et pour l'époux, à compter du jour où il a atteint l'âge compétent pour consentir lui-même au mariage; art. 148, 149, 150, 160, 182, 183. 498. La nullité du mariage résultant de ce que l'un des époux n'avait

atteint l'âge requis pour contracter pas mariage, ce qui est dix-huit ans pour l'homme et quinze ans pour la femme, est prescrite par le laps de six mois, depuis l'accomplissement de l'âge compétent; art. 144, 184, 185 du Code civil.

499. La nullité résultant de ce que le consentement des époux ou de l'un d'eux n'a pas été libre, ou de ce qu'il y a eu erreur dans la personne, se prescrit également par six mois de cohabitation, depuis que l'époux a acquis sa pleine liberté, ou depuis qu'il a reconnu son erreur; art. 180 et 181 du Code civil.

S'il n'y a point eu de cohabitation entre les époux, cette action ne se prescrit que par dix ans, car ne se trouvant pas dans le cas des articles ci-dessus, elle rentre nécessairement dans l'application des principes généraux qui soumettent à la prescription de dix ans, les actions en nullité ou

en rescision des conventions. ( (Article 1304 du Code civil.)

500. L'action en rescision pour cause de lésion, n'est plus recevable après l'expiration de deux années, à compter du jour de la vente, art. 1676, ou de la promesse de vente; Arrêt de cassation, du 2 mai 1827, Jur. du 19° s. 1827, p. 313; autrefois elle durait dix ans.

Les considérations d'ordre public qui ont porté le législateur à abréger le délai, l'ont également porté à décider que ce délai courrait contre les femmes mariées, les absens, les interdits et les mineurs venant du chef d'un majeur qui a vendu, et qu'il courrait aussi pendant la durée du temps stipulé pour le pacte de rachat. (Article 1676 du Code civil.)

501. Les mêmes considérations veulent que ce délai ne puisse être augmenté sous le prétexte que la vente n'aurait pas été exécutée, et que le vendeur exciperait de la lésion par voie d'exception. Les termes de l'article 1676, et les motifs qui l'ont fait porter, ne permettent pas de douter que les deux ans qu'il accorde, sont un délai de rigueur qu'on ne peut augmenter dans aucun cas. C'est une exception à ce que nous avons dit au n 495.

FIN.

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