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INTRODUCTION.

L'EXÉCUTION des lois est une des conditions les plus essentielles à la stabilité des sociétés humaines; rien ne serait plus contraire à l'ordre public et à la paix des familles, que la facilité qui serait laissée aux citoyens de s'affranchir de l'accomplissement des devoirs qui leur sont imposés comme condition de la liberté et des droits dont ils jouissent.

Pénétrés de cette vérité, tous les législateurs se sont occupés de donner à la loi cette autorité active, cette force imposante, sans lesquelles il est évident que ses dispositions se réduiraient à de vains préceptes, à d'inutiles conseils.

En matière criminelle, l'exécution des lois a été, autant que possible, assurées par de peines corporelles ou infamantes; et celles-ci sont l'objet d'un Code particulier, dont les dispositions sont étrangères au sujet que nous avons voulu traiter.

En matière civile, cette même exécution se trouve assurée, soit par la certitude des avantages que le législateur avait rattachés à l'observation de la loi, soit par la privation des droits qu'on avait voulu acquérir ou se ménager en ne suivant pas la volonté du législateur, en d'autres termes, cette exécution est assurée par l'annulation des actes ou conventions illégalement consentis.

Une telle annulation est la garantie la plus efficace de l'exécution des lois; elle nous touche dans nos intérêts qui, comme on sait, sont le plus souvent le mobile de nos actions; elle nous menace dans les résultats de notre désobéissance; elle nous dit : Pourquoi violer la loi, lorsque vous ne devez en tirer aucun profit ?..

La menace d'annuler les actes et les conventions illicites, forme donc la sanction des lois qui règlent la forme de ces actes et les conditions essentielles à ces conventions; et la nullité qui réalise cette menace, fait, en quelque sorte, partie de la loi qu'elle a pour objet de faire respecter.

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Aussi verrons-nous qu'il existe une relation intime entre les nullités et les dispositions à l'inobservation desquelles elles ont été attachées, et que la nature d'une nullité, l'importance de ses effets, le droit de la proposer, etc., etc., dépendent entièrement de la disposition qui a été méconnue. C'est ainsi que nous verrons que la violation d'une loi générale et d'ordre public produit une nullité d'ordre public absolue, irréparable, tandis que la violation d'une loi dont l'objet est uniquement de régler les droits des citoyens entr'eux, ne produit qu'une nullité de droit privé, dont les effets sont bien moins graves et peuvent être facilement réparés ; c'est ainsi que nous verrons l'inobservation d'une loi sur la procédure produire un nullité de forme, tandis que la contravention aux lois qui règlent les conventions des citoyens entr'eux, qui assurent leurs garanties dans les transactions, etc., produit une nullité du fond.

Cette observation nous a été très-utile pour classer les nullités, pour en déterminer les conditions, l'importance et les effets; elle nous a servi surtout à faire une distinction qu'on ne doit jamais perdre de vue dans la pratique, nous voulons parler de la différence qu'il y a entre la nullité de la convention, et la nullité de l'acte qui est destiné à la prouver.

Acette première observation, fertile en conséquences, nous avons rattaché deux idées qui nous ont paru fondamentales, et dont notre ouvrage n'est, en quelque sorte, que le développement et la justification.

La première, c'est que les uullités sont, pour la partie dans l'intérêt de laquelle elles ont été portées, un remède de droit remedium juris, dont l'objet est d'empêcher cette partie de souffrir de la contravention. La loi lui donne l'action en nullité pour empêcher le mal, s'il n'est point encore fait, ou pour le réparer, si déjà cette partie a eu à en souffrir. (VANTIUS, de nullitatibus).

La deuxième, c'est que la nullité est, relativement à celui qui a violé la loi, la punition de sa désobéissance. C'est une véritable peine qui consiste dans la privation des droits, ou avantages que l'acte aurait conférés, s'il eut été conforme à la loi, et qui enlève tous les profits qui sont résultés de l'acte, pour remettre les parties dans l'état où elles étaient lorsqu'a été fait l'acte illégal. Restitutio ità facienda est ut unusquisque integrum jus suum recipiat.

C'est dans ces deux idées fondamentales que nous avons cru retrouver toute la théorie des nullités; c'est dans la combinaison des conséquences qui en résultent, que nous avons puisé la plupart des règles répandues dans notre ouvrage.

Ainsi, considérant les nullités comme un remède de droit, nous avons reconnu et prouvé que les juges ne devaient jamais en admettre d'inutiles, et qu'il n'y avait pas de nullités sans griefs.

Par la même raison nous avons pensé que, généralement, le remède devait appartenir à tous ceux qui auraient souffert, ou pourraient avoir à souffrir, et que dans le silence de la loi, il n'y avait pas de raison pour refuser, à un individu plutôt qu'à un autre, le droit de proposer une nullité. Nous avons considéré que tous les citoyens étant égaux devant la loi, la justice exigait qu'ils eussent les mêmes droits; prima enim pars æquitatis est æqualitas. Senèque, lett. 30.

Nous avons dû aussi soutenir que le mal ne pouvant exister qu'autant que la loi aurait été violée, il fallait que la violation fut manifeste, entière, que la volonté du législateur fut totalement méconnue. S'il n'en était point ainsi, le juge ne peut pas avoir le droit d'administrer le remède, de prononcer la nullité. Aussi avons-nous raisonné dans ce sens, qu'il était juste et raisonnable d'admettre dans bien des cas les équipollens, les inductions, et d'être indulgens toute les fois que la volonté du législateur avait été observée. quoique d'une manière indirecte, ou implicite.

D'un autre côté, frappé de cette idée que les nullités étaient une peine, nous en avons diminué le nombre autant que possible, et nous avons raisonné dans ce sens, qu'en général, les nullités sont odieuses.

Cet adage cependant nous a paru manquer par trop de généralité. Il est bien vrai que les nullités sont odieuses; mais ce n'est que lorsqu'il s'agit d'une nullité de pure forme. Que signifie, en effet, dans le' for intérieur, l'irrégularité d'une demande dans sa forme, si cette demande est juste? que signifie l'imperfection d'un acte, lorsque la convention, dont il avait pour l'objet de fournir la preuve, se

trouve établie d'une autre manière, et se trouve parfaite en elle-même ? Mais, au contraire, les nullités sont favorables quand elles sont la conséquence d'une omission qui blesse la convention dans son essence, ou qui donne à penser que la demande n'est point fondée ou qu'elle a été formée de manière à faire une surprise au défendeur. La nullité, dans ce cas, doit être le triomphe de la justice, elle est véritablement le remedium juris; elle est favorable, et l'interprétation doit toujours se faire dans le sens le plus opposé à une convention injuste, à une demande mal fondée, ou malicieusement faite.

En d'autres termes, la nullité est odieuse quand elle devient l'arme de la mauvaise foi, elle doit être repoussée dans tous les cas où le législateur ne s'y oppose pas formellement, et que la contravention à la loi n'a pas empêché que la convention ne soit parfaite quid enim tàm congruum est fidei humanæ quàm ea quæ inter homines placuerunt servare ? au contraire, la régularité de l'acte, dans sa forme, dispense pas de rechercher les moyens de faire annuler une convention illicite dans son objet, ou surprise par de mauvais moyens.

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Il en est de même en procédure; nous avons pensé qu'on devait, autant que possible, séparer l'objet d'une demande de la forme dans laquelle elle avait été faite, et que l'irrégularité des actes ne devait pas empêcher de prendre tous les moyens de faire droit à la demande, si elle est légitime et justifiée.

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Cette manière de raisonner ne sera pas du goût de toute le monde; elle sera improuvée par les formalistes; ils s'élèveront contre ce qu'ils appellent une dangereuse innovation, ils signaleront les inconvéniens graves qui doivent résulter, suivant eux, de l'affranchissement des formes. Et nous ne serions pas étonnés de voir renouveler, par rapport à la manière de former les actions et de rendre la justice, la querelle qui s'est élevée de nos jours entre les classiques et les romantiques, sur le plus ou moins d'importance des règles littéraires. Nous désirons que cette lutte ait lieu, qu'elle intéresse les jurisconsultes; et nous n'hésitons pas à le dire: elle ne peut que tourner au profit de la justice et de la vérité. L'on sera tout étonné de voir que la procédure ait joué un si grand rôle dans les actions des hommes, que, très-souvent, elle ait été employée contre le bon droit, et que le plus souvent elle ait encouragé et fait triompher la fraude.

Quant à nous, notre conviction est formée; nous nous sommes déclaré contre la rigueur des formalistes. Notre p us grand désir a été de substituer à la règle subtile et fausse la forme emporte le fond,

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