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cette autre règle : la forme ne doit emporter le fond, que dans les cas où elle est nécessaire pour constituer ou conserver le droit. Cette dernière règle nous a paru l'expression la plus naturelle et la plus exacte de ce besoin essentiellement conservateur, de rendre à chaque citoyen ce qui lui est dû, et par cela même, de faire tourner à la confusion du plaideur de mauvaise foi l'emploi de ces moyens de forme, dont l'unique objet est souvent de détourner la main de la justice prête à le frapper.

Quel sera le jurisconsulte de bonne foi qui ne conviendra, que de tous les écueils dont le magistrat est environné, le plus dangereux est celui que présente tous les jours l'application de l'adage : la forme emporte le fond?

Combien de ces magistrats ne voit-on pas qui concluent, de cet adage, que la forme doit régner en souveraine dans les causes qui leur sont soumises, et qui, par cela même, cherchent la raison de décider dans un code de procédure plutôt que dans les faits du procès.

Singulière façon de rendre la justice! n'est-il pas évident, pour tous, qu'en vénérant ainsi la forme, on juge plutôt du mérite de l'avoué, de l'exactitude de l'huissier, que de la probité du plaideur, de la légitimité de sa demande ? Le juge voit de quel côté est la justice, mais il semble craindre de la faire triompher, parce qu'on lui dit qu'elle n'a point été environnée des formes ordinaires; on fait, en quelque sorte, à celle-ci le reproche de se montrer dans une tenue peu régulière, et d'oser se montrer. seule; on lui applique avec dérision les paroles du fabuliste :

Mais aussi, dame Vérité,

Pourquoi vous montrer toute nue?

Cela n'est point adroit.

Get abus existe encore dans beaucoup de tribunaux, et nous ne saurons trop le répéter, notre but est de le signaler pour le détruire.

Qu'on ne pense pas cependant que nous voulions prétendre que la forme des actes et les formalités des procédures puissent être absolument négligées. Nous nous empressons de reconnaître que, quelquefois, elles constituent le droit, que souvent elles le conservent, et que, plus souvent encore elles sont nécessaires pour lui donner l'action et la vie, sans lesquelles il serait illusoire. La forme alors est essentielle; elle fait partie du droit; elle est nécessaire pour rendre

la justice; et notre ouvrage renferme un grand nombre d'exemples qui témoignent, dans ce cas, de notre respect pour elle.

Expliquons donc toute notre pensée. Nous avons voulu prouver que la forme n'était, en général, que l'accessoire du droit; et que si, quelquefois, on lui donnait l'avantage sur celui-ci, ce ne devait être que dans les cas d'une absolue nécessité. Nous avons voulu prouver que la forme étant souvent en opposition à l'équité, elle était exceptionnelle; que dès-lors, au lieu de la faire dominer sur les jugemens, il fallait autant que possible chercher à se soustraire à la sécheresse de ses volontés, à la subtilité de ses entraves.

Nous devons toutefois l'avouer: nous n'aurions pas osé nous livrer d'une manière aussi prononcée à la conviction dont nous étions pénétré, si nous n'avions trouvé dans la jurisprudence un mouvement très marqué et progressif dans ce sens; mais ce progrès est si visible, que personne ne pourra le méconnaître, ni nous accuser de vouloir hâter son développement.

Ainsi, par exemple, lors de la promulgation de la loi du 25 ventôse an XI, sur le notariat, les Cours d'appel se montrèrent très rigoureuses sur la forme des actes, en général, et plus particulièrement sur la forme des testamens. La plus légère omission était un grief suffisant de nullité, et les procès uniquement basés sur des vices de forme, se multiplièrent avec une déplorable facilité. Mais bientôt l'abus se fit sentir, on abandonna cette jurisprudence rigoureuse qui portait tous les jours atteinte aux conventions les plus légitimes, aux dispositions les plus sages; et, de jour en jour, on s'appliqua à flétrir les procès de chicane, à proscrire les nullités sans objet.

Pareil changement s'opéra dans l'interprétation des lois sur la procédure civile; c'est une chose singulière et incroyable que la facilité avec laquelle certaines Cours royales prononcèrent le rejet des demandes les plus justes, sous le pretexte que l'action avait été mal intentée. Il semblait que le fond du droit n'était plus rien; que la justice avait cessé d'être la volonté ferme et constante de rendre à chacun ce qui lui était dû, que la forme seule était tout. Heureusement cette direction des esprits a été changée; et généralement on nous a paru sentir le besoin de ne reconnaître d'autres nullités de procédure que celles qui sont absolument nécessaires. Les magistrats et les jurisconsultes sont devenus questionneurs comme les moralistes ; ils ont voulu se fixer sur les conséquences de leurs décisions; et il est bien rare aujourd'hui qu'ils ne disent pas ce que l'auteur de l'Émile mettait toujours dans

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la bouche de son élève : En quoi ce que vous demandez est-il utile? à quoi cela est-il bon ?.... En quoi cela est-il justice?

Ce changement utile et sage ne peut pas être révoqué en doute; il se manifeste tous les jours dans la jurisprudence, et c'est pour en presser les heureux effets, que nous avons entrepris cet ouvrage.

Notre but aurait été manqué, si nous n'avions attaqué de tous nos efforts la puissance des brocards de droit, de ces adages nés du sein de la controverse des écoles, et que la plupart des docteurs avaient créés à une époque où ils s'occupaient beaucoup plus de se faire des élèves, et de créer des systèmes, que de bien interpréter la loi. Nous les avons soumis à un examen consciencieux; nous les avons dépouillés de cette couleur fausse, de ce prestige dont les ont empreints des docteurs secondaires, qui les avaient accueillis et transmis, en quelque sorte, sur la parole du maître.

Rapportant toutes nos idées et nos opinions sur ce point, à cette pensée première et fondamentale, qu'avant tout les lois avaient pour objet de faire rendre à chacun ce qui lui est dù, nous n'avons admis d'autre règle générale et absolue, que celle qui tendait au triomphe de la justice, à la conservation de l'ordre public. Nous en avons tiré la conséquence que c'était seulement par leurs effets que l'on devait déterminer le sens et l'application des règles de droit.

On ne s'étonnera donc pas que nous ayons souvent cité les lois romaines; c'est comme raison écrite, comme règles d'équité, comme règles d'interprétation, que nous les avons accueillies, et que nous en avions le droit. ( Arrêt de la Cour de cassation, du 2 messidor an XI; Sirey, vol. 3-1-306).

C'est dans le même' esprit que nous avons trouvé un encouragement pour combattre les opinions qui nous ont paru injustes ou dangereuses. L'autorité des jurisconsultes dont nous avons eu à critiquer les décisions, ne nous a nullement arrêté; la franchise de notre opposition fera notre excuse, et nous fera d'ailleurs, pardonner les erreurs dans lesquelles nous avons pu tomber nous-même.

Au reste, nous ne nous sommes occupé de l'examen des questions que comme exemples des principes que nous avions posés. On sentira facilement que notre ouvrage eût été immense, si nous eussions voulu examiner et approfondir les questions nombreuses et graves qui devaient se présenter à notre pensée. Et comme nous n'avions nullement le désir de faire parade de logique et de science, nous prévenons nos lecteurs que nous n'avons voulu qu'exposer notre plan, faire connaître les

principes de la matière, et que l'examen des questions a été pour nous d'un intérêt presque nul.

Nous ne ferons point ici l'analyse des opinions que nous avons adoptées sur les diverses parties du Traité que nous livrons au public, nous avons fait connaître les idées générales qui nous ont dirigé dans l'ex posédes principes et dans la solution des questions qui nous ont servi d'exemple.

Ces idées nous ont conduit à faire sentir la nécessité d'apporter plus de respect pour le fond d'une demande, et l'objet d'une convention, que pour les formes dont elles ont été entourées;

De ne point reconnaître de privilége, dans le droit de proposer les nullités ;

D'admettre une interprétation large, généreuse, favorable aux actes faits de bonne foi;

De ne jamais poursuivre des contraventions sans griefs; de ne jamais accueillir des nullités inutiles;

De ne pas refuser trop légèrement l'offre de preuve de la violence, de la fraude ou d'une autre cause illicite;

D'être facile pour admettre la ratification d'un acte nul dans la forme, et d'être réservé pour la ratification d'une convention illicite, ou viciée dans son essence;

De voir modifier autant que possible les effets des nullités qui n'auraient point pour objet de punir la fraude, et, au contraire, de les voir étendre quand elles proviennent d'une cause injuste;

De voir dominer surtout les principes de justice et d'étiquité naturelle, qui, dans toutes les matières, sont les interprètes les plus parfaits, les guides les plus sûrs.

Aurons-nous suffisamment fait connaître la nécessité d'une pareille innovation? C'est ce que nos lecteurs jugeront, et qu'ils jugeront surtout avec bienveillance, quand ils sauront que nous n'avons pas eu l'ambition de devenir auteur; que nous avons commencé notre travail à un áge où bien loin de chercher à instruire les autres, on ne fait que sentir le besoin qu'on a soi-même d'instruction.

Notre seule ambition a été de signaler une innovation possible, un progrès dans l'interprétation et l'application des lois. Si nous sommes assez heureux pour faire comprendre la nécessité de ce progrès, nous serons suffisamment récompensé de nos soins et de notre travail.

DES NULLITÉS,

DES CONVENTIONS ET DES ACTES,

DE TOUT GENRE,

EN MATIÈRE CIVILE.

CHAPITRE PREMIER.

Des diverses espèces de Nullités.

riées, en quelque sorte, que les actions
des hommes, leurs dispositions n'ont
point toujours la même gravité, et
leur exécution n'est pas toujours aussi
essentielle. Toutes ont bien
pour objet
l'intérêt public, elles y concourent
même; mais ce n'est pas de la même
manière; les unes y concourent directe-
ment, elles constituent la société ou le
pays qu'elles régissent, elles forment la
base de son organisation; ce sont celles
qui forment son droit public.

1. Nous avons dit, dans l'introduction, que la clause de nullité était une véritable peine, dont l'objet était d'empêcher la violation de la loi, qu'elle fesait partie de celle-ci, qu'elle en était, en quelque sorte, la sanction. Nous avons dit que, par cela même, il existait une relation intime entre les nullités et les lois à l'inobservation desquelles elles avaient été attachées, et que la nature d'une nul ité, l'importance de ses effets, dépendaient entièrement de l'objet de la disposition à laquelle il avait été contrevenu. Ces idées une fois admises, il est certain que pour bien classer les nullités, pour faire connaître leurs diverses espèces, nous avons dû jeter un coup d'œil rapide sur l'objet et le caractère des diverses lois qui nous régissent.

2. Or, ces lois se rapportent à une infinité d'intérêts distincts: aussi va

SOLON.

3. D'autres y concourent d'une manière plus indirecte, promulguées dans l'unique but de protéger des intérêts qui, sans se rattacher au droit public, s'élèvent cependant au-dessus des intérêts purement privés, il est certain que, lorsque ces intérêts sont conservés malgré la contravention, celle-ci est peu grave, et il est bien rare que le juge ne trouve pas dans la loi, ou dans ses

1.

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