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même permis de remonter à ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors, ou depuis l'acte (1341), pour proposer la preuve de stipulations ou de conditions qui ne s'y trouveraient pas consignées; attendu que l'écriture n'est employée dans les actes que pour établir la preuve de tout ce que les parties ont voulu faire; fiunt autem scripturæ ut quod actum est probari possit (1); qu'en conséquence on ne doit rien supposer de plus que ce qui est arrêté par écrit, à moins qu'il ne s'agisse de droits et d'obligations qui, quoique non exprimés, ne laissent pas d'être sous-entendus, comme étant les effets naturels de la convention dans son espèce.

Une autre maxime non moins avérée, c'est que, pour bien déterminer l'espèce d'une convention, il ne faut pas la voir seulement dans les mots, mais dans les choses; qu'il ne faut point s'arrêter à la dénomination plus ou moins impropre qu'elle aurait reçue, soit par erreur, soit dans la vue de faire un acte simulé; et qu'en conséquence il faut, sur ce point, distinguer soigneusement le scriptum et le gestum, comme deux choses très-différentes.

Nous empruntons ces expressions du droit romain comme particulièrement propres à rendre nos idées. Le scriptum consiste dans le nom ou la qualification qu'on a voulu donner ostensiblement à l'acte, par l'écriture. Le gestum, au contraire, est ce qu'on a voulu obtenir en exécution; c'est ce qui se rapporte à l'action exé

(1) L. 4, ff. de fide instrumentorum, lib. 22, tit. 4.

cutive du contrat et qui caractérise cette action. Eclaircissons cela par des exemples..

Pierre et Paul se présentent devant un notaire pour rédiger, en forme authentique, un acte par lequel l'un déclare qu'il fait vente de son domaine à l'autre, pour une somme de 12,000 fr. qui lui sont payés comptant, en présence du notaire et des témoins; au moyen de quoi l'acquéreur est envoyé en possession du domaine vendu avec promesse de toute garantie. Le scriptum de ce contrat consiste dans la dénomination de vente qu'on lui a donnée par l'écriture; et le gestum se rapporte à la numération effective du prix, à l'envoi en possession de l'immeuble, et à la garantie promise par le vendeur, parce que toutes ces choses appartiennent à l'action exécutive du contrat.

Si, au lieu d'énoncer une vente, ils déclaraient que l'un a consenti, au profit de l'autre, un bail à ferme du même domaine, pour neuf années, moyennant une TELLE somme d'argent, ou une TELLE quantité de blé payable annuellement au propriétaire, par le preneur, le scriptum se rapporterait à la dénomination de bail à ferme, et le gestum à la mise en jouissance du fermier, avec toute garantie de droit, d'une part, et à la délivrance annuelle du prix du fermage, d'autre part.

Souvent, dans les conventions, le gestum est plus ou moins sous-entendu, sans être exactement exprimé; alors la prévoyance du législateur supplée à l'imprévoyance de l'homme, et le contrat n'en doit pas moins être exécuté

dans toute l'étendue des droits et obligations que la loi attache à son espèce: Si nihil convenit, tunc ea præstabuntur, quæ naturaliter insunt hujus judicii potestate (1). Ainsi, quoique, dans un contrat de vente, on n'ait pas stipulé, à la charge du vendeur, d'autre obligation que celle de livrer la chose aliénée, il n'en est pas moins tenu, de plein droit (1626), de garantir l'acquéreur de l'éviction totale ou partielle que celui-ci pourrait souffrir, ainsi que des charges prétendues sur l'objet vendu, et qui ne seraient point déclarées dans le contrat, comme dans le cas du bail le propriétaire est tenu de livrer la chose en bon état de réparations de toute espèce, et de faire, pendant la durée du fermage, toutes celles qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives (1720), encore que les parties ne s'en soient pas expliquées dans l'acte d'amodiation.

On voit souvent aussi que le gestum se trouve exprimé d'une manière contraire au scriptum, et c'est là sur-tout la marque distinctive des actes simulés qui ont lieu lorsque, sous l'apparence d'un acte ostensible, les parties agissent dans la vue d'exécuter une autre convention.

Supposons, par exemple, que, dans un acte auquel les parties donnent le nom d'échange, l'une soit convenue de livrer sa maison en toute propriété à l'autre qui, de son côté, doit rendre une somme de 12,000 fr. en contre-échange; un pareil acte sera une véritable vente, et n'aura que le nom du contrat d'échange. Suppo

(1) L. 11, §. I in fine, ff. de action. empt. et vendit. lib. 19, tit. 1.

sons encore, pour un autre exemple, que, dans une convention à laquelle les parties donnent le nom de vente, il soit dit que le vendeur a fait ou doit faire remise du prix à l'acquéreur: cet acte n'aura de vente que le nom, et ne sera, dans la vérité du fait, qu'une donation déguisée sous l'apparence trompeuse d'une alié

nation à titre onéreux.

Dans les cas de cette dernière espèce, c'est par le gestum qu'on doit apprécier la nature de la convention, et appliquer cette maxime du droit romain: Non quod scriptum, sed quod gestum est inspicitur (1); parce que les contrats ne sont pas de simples mots, mais des choses; ce n'est donc ni l'erreur ni le mensonge renfermés dans les mots, qu'on doit prendre pour guides lorsqu'il faut apprécier l'espèce du contrat, mais la vérité des faits : Quia in contractibus rei veritas, potiùs quàm scriptura prospici debet (2); c'est donc seulement à ce que les parties ont voulu obtenir en exécution qu'on doit s'attacher pour déterminer la nature de la négociation, et non pas à une fausse dénomination qui, ou par méprise, ou par affectation, aurait été donnée au contrat.

Mais, pour appliquer sagement cette règle dans l'interprétation d'une convention, il faut qu'il paraisse clairement, par l'acte même, que le gestum n'est pas concordant avec le scriptum, ou que cela soit d'ailleurs démontré; car, supposer, sans preuve, que l'écriture d'un acte

(1) L. 3, cod. plus valere, lib. 4, tit. 22. (2) L. 1, cod. eodem.

est mensongère, et le supposer pour détourner l'exécution directe du contrat, ce serait se jeter dans l'arbitraire au lieu de faire une juste appréciation de la chose; ce serait faire une hypothèse condamnée par l'écriture même, et en tirer une conséquence que rien ne saurait justifier.

les

Ainsi, toutes les fois qu'il n'est pas démontré que le gestum ou l'action exécutive du contrat se trouve en opposition avec le scriptum ou la dénomination donnée à l'acte, c'est l'écriture qui doit faire la loi, credenda est scriptura (1); alors on ne doit plus voir que la par convention telle qu'elle est dénommée parties, parce que les contractans n'ont voulu s'expliquer ainsi, que pour choisir une espèce plutôt qu'une autre; et comme en admettant un principe, on veut virtuellement aussi toutes les conséquences qui en dérivent, il faut en conclure que si les traitans ne se sont pas expliqués sur tout ce qu'ils sont censés avoir voulu obtenir l'un de l'autre, ils n'en sont pas moins obligés à toutes les suites que l'équité, l'usage, ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature (1135); car en donnant leur consentement à la cause, ils sont censés avoir voulu tous les effets qu'elle doit naturellement produire. 105. Appliquons actuellement ces principes à toutes les hypothèses où il pourrait être question de comparer la constitution d'usufruit avec le bail à vie.

(1) L. 37, §. 5 in fine, ff. de legat. 3.

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