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SUPPOSONS, en premier lieu, qu'on nous présente un acte dans lequel il soit dit que le propriétaire d'un fonds en a cédé ou aliéné P'usufruit au profit d'un autre, pour et moyennant une somme payable annuellement au maître de l'héritage, par l'acquéreur de l'usufruit, sans ajouter d'autres explications sur leurs engagemens respectifs, ni rien stipuler de plus qui puisse faire dégénérer la convention en une autre espèce.

Ne trouvant, dans cet acte, rien qui mette le gestum en opposition avec le scriptum, et par conséquent rien qui puisse nous porter à une interprétation contraire ou étrangère au sens littéral des mots, nous devons appliquer la règle posée ci-dessus, credenda est scriptura; et dire que c'est véritablement un droit d'usufruit que les contractans ont voulu établir, puisqu'ils l'ont énoncé ainsi, et que rien ne démontre qu'ils aient voulu autre chose que ce qu'ils ont dit.

Cet acquéreur d'usufruit est donc en tout semblable à celui auquel le propriétaire du même fonds en aurait légué la jouissance à charge de payer annuellement la même pension à son héritier ou à un tiers. Tel est le principe; voyons-en les conséquences.

C'est un droit d'usufruit et non un droit de location qui se trouve établi par cet acte; donc l'acquéreur doit conserver la jouissance du fonds jusqu'à sa mort, quoique cela ne soit pas explicitement porté dans son titre, parce que l'usufruit établi sans terme dure naturellement

jusqu'au décès de l'usufruitier; tandis que si c'était un bail, le fermier n'aurait le droit de jouir que jusqu'à ce qu'il eût perçu tous les fruits du fonds (1776, 1774).

C'est un droit d'usufruit que les parties ont voulu établir: or, l'usufruitier n'a droit de jouir qu'à la charge de conserver la substance de la chose; donc l'acquéreur, outre la pension promise au propriétaire, sera tenu encore de toutes les impenses nécessaires à l'acquit des charges annuelles imposées au fonds, et aux frais des réparations de gros entretien, quoiqu'on ne s'en soit pas nominativement expliqué, puisque la loi veut que toutes ces charges soient naturellement inhérentes à l'usufruit (605, 608); tandis que, si ce n'était qu'un bail, le preneur ne devrait que la prestation annuelle stipulée dans l'acte, et les simples réparations locatives provenant de son fait (1754, 1755).

C'est un droit d'usufruit qu'on a voulu établir donc l'acquéreur usufruitier n'aura rien à répéter à la fin de sa jouissance pour les améliorations qu'il pourra faire dans le fonds (599); tandis que, si c'était un bail, le preneur aurait une action en indemnité pour le même objet (1).

C'est un droit d'usufruit qu'on a voulu établir donc l'acquéreur est tenu de prendre la chose dans l'état où elle se trouve, puisque la loi impose généralement cette obligation à l'u

(1) L. 61 in principio, ff. locati, lib. 19, tit. 2. — Voy. aussi dans GARCIAS, de expensis et meliorationibus cap. 6, n.o 20.

sufruitier (600), et que le silence des parties à cet égard fait présumer de leur part la volonté tacite de s'en rapporter aux dispositions générales de la loi (1135); tandis que si c'était un bail, le propriétaire devrait au contraire mettre la chose en bon état de toutes espèces de réparations (1720), avant d'en livrer la jouis

sance au fermier.

C'est un droit d'usufruit qu'on a voulu établir or, l'usufruitier peut toujours renoncer à son usufruit pour se dégager des charges qui y sont inhérentes (621, 622), parce que son droit et ses obligations sont entièrement dans la chose; donc l'acquéreur de l'usufruit dont il s'agit ici, pourra en faire l'abandon pour se soustraire, dans l'avenir, soit au paiement de la prestation annuelle promise au propriétaire, soit aux frais des réparations d'entretien; comme le légataire d'un droit d'usufruit à charge de payer annuellement une pension à un tiers, pourrait en faire abandon, après l'avoir accepté; comme encore celui qui, par un contrat d'arrentement, a acquis un acquis un héritage moyennant une rente foncière, peut se dégager du paiement de la rente et de l'obligation d'entretenir le fonds, dans le futur, en déguerpissant l'héritage (1); tandis que, si c'était une location ordinaire ou à vie qu'on eût voulu contracter, le preneur ne pourrait y renoncer, parce que l'objet de cette espèce de contrat ne consiste

(1) Voy. dans Loiseau, traité du déguerpiss., liv. 4; chap. 9; et dans Pothier, traité du contrat de bail à rente, n.o 123.

principalement que dans les obligations personnelles respectivement consenties entre le preneur et le bailleur, et qu'il est de l'essence de toute convention, que nul ne puisse, contre le gré de l'autre partie, se dégager des obligations personnelles qu'il y a légalement con

senties.

106. SUPPOSONS, en second lieu, qu'il soit dit, dans un contrat, que le propriétaire d'un domaine en a cédé et aliéné l'usufruit à un autre, pour en jouir, sa vie durant, comme un véritable usufruitier, à la charge de payer annuellement au maître du fonds une somme en argent, ou une prestation fixée en denrées; mais qu'on ait ajouté que l'usufruitier ne sera néanmoins passible que des charges et réparations locatives.

Dans cette seconde espèce, le scriptum ou la dénomination donnée à la chose par l'écriture, indique bien une constitution d'usufruit; mais le gestum ou l'action exécutive de la convention n'appartient qu'au bail à vie, puisque le preneur n'y contracte que les obligations d'un fermier. Nous devons donc appliquer ici la règle Non quod scriptum, sed quod gestum est inspicitur; et si nous voulons interroger le code sur le détail et l'étendue des devoirs qu'un tel acte impose au preneur, ce n'est pas au chapitre de l'usufruit, mais à celui du louage qu'il faudra chercher, puisqu'il ne doit supporter que les charges locatives. Il en est de même quant à l'appréciation des droits respectifs des parties; car c'est une règle constante que, dans

toute espèce de négociation, les droits de l'un sont toujours en correspondance avec les devoirs de l'autre. Ainsi, l'un ne peut pas être fermier que l'autre ne soit bailleur ou amodiateur; et comme, sous cette double qualité, P'un et l'autre sont nécessairement tenus de toutes les obligations respectives que la loi fait dériver du contrat de bail, sur les objets dont les parties ne se sont pas positivement expliquées; de même encore, l'un et l'autre ont respectivement à exercer entre eux tous les droits sous-entendus dans cette convention d'après sa nature propre.

Ainsi, dans cette seconde espèce, le preneur ne devra rien au-delà du paiement annuel de son fermage, si ce n'est les impenses de réparations locatives; et s'il fait des constructions utiles ou autres améliorations sur le fonds, il aura une action en reprise à ce sujet.

De son côté le propriétaire sera tenu de mettre préalablement le fonds en bon état de toutes espèces de réparations: il devra par la suite faire toutes celles de gros entretien et supporter en outre toutes les charges annuellement imposées au fonds; tandis que s'il s'agissait d'un droit d'usufruit acquis au preneur, celui-ci devrait prendre la chose dans l'état où elle se trouve, supporter toutes les impenses pour impôts et réparations d'entretien, et n'aurait aucune action en reprise pour améliorations.

107. SUPPOSONS, en troisième lieu, qu'il soit dit, dans un acte, que le propriétaire d'un domaine l'a amodié, par bail à vie à un autre, moyen

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