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nant une certaine prestation en grains, annuellement payable au maître, par le fermier, et en outre à condition que celui-ci sera tenu de supporter toutes les charges usufructuaires, ou toutes les charges et conditions que les lois imposent aux usufruitiers.

Dans cette troisième hypothèse, le scriptum ou la dénomination du contrat indique par le sens littéral et naturel des termes, un véritable bail à vie; mais le gestum ou l'action exécutive porte directement sur un droit d'usufruit, parce qu'en imposant au cessionnaire toutes les charges qui sont inhérentes à l'usufruit, il doit avoir aussi tous les droits corrélatifs qui s'y rapportent. Ainsi, soit par la raison qu'il s'agit d'une jouissance à vie, soit parce que, pour l'exercice de ce droit, le cessionnaire est soumis aux règles établies pour les usufruitiers, nous devons appliquer à cette hypothèse la règle Non quod scriptum, sed quod gestum est inspicitur, et dire que cet acte renferme une véritable constitution d'usufruit, établi à titre onéreux.

Nous disons, soit parce qu'il s'agit d'une jouissance à vie, soit parce que l'exercice du droit cédé est soumis aux règles établies pour l'usufruit; car il faut bien remarquer qu'il ne suffit pas de trouver dans un acte, des stipulations donnant lieu à des droits ou à des charges extraordinaires, pour conclure de là que la convention dégénère en une autre espèce; qu'ainsi un bail ne change pas de nature, quoique les réparations usufructuaires y soient mises à la charge du preneur. Pour être fondé à dire que le con

trat dégénère véritablement de la dénomination qui lui est donnée, il faut que son exécution paraisse, en général, subordonnée aux règles établies pour une autre espèce, et que les parties l'ont ainsi voulu, même pour les détails naturellement sous-entendus entre elles et non exprimés dans l'acte.

108. SUPPOSONS, en quatrième lieu, qu'il s'agisse d'apprécier les droits résultans d'un acte par lequel le propriétaire d'un domaine a déclaré qu'il en cédait par bail à vie la jouissance à un autre, moyennant un rendage annuel fixé en argent ou en blé, sans rien ajouter de plus, sur les obligations respectives des parties; ou pour mieux dire, sans rien ajouter qui fût étranger à la nature propre de cette convention et qui fût capable de la faire dégénérer en une autre espèce.

L'auteur de l'article du répertoire que nous avons cité, soutient que, même dans cette hypothèse, le bail à vie emporte une véritable constitution d'usufruit.

« Peut-on constituer, dit-il, un usufruit par >> bail? ou, en d'autres termes, y a-t-il quelque » différence entre l'usufruit et le bail à vie?

»

<< Cette question était d'un grand intérêt avant » le code civil, pour savoir si le preneur à vie >> d'une maison pouvait exercer contre les sim>> ples locataires qui le précédaient en date, le >> privilége de la loi emptorem et celui de la loi »æde, c'est-à-dire, s'il pouvait les expulser pu>>rement et simplement, lorsqu'il ne s'était pas » obligé envers son bailleur d'entretenir leurs » baux,

» baux, et si, dans tous les cas, il pouvait les >> expulser pour occuper par lui-même.

» Elle peut encore se présenter aujourd'hui » pour différens objets, et notamment à l'effet » de savoir si un bail à vie est passible d'hy>> pothèque.

Il en est certainement passible, s'il emporte » le droit d'usufruit; car l'article 2118 du code >> civil déclare susceptible d'hypothèque l'usu» fruit des biens immobiliers et de leurs acces»soires pendant le temps de sa durée.

>> Mais s'il ne diffère pas, quant à son essence, » d'un bail ordinaire, il est meuble comme ce» lui-ci ; et par conséquent il est, comme celui»ci, incapable de recevoir l'impression d'une >> hypothèque.

>> Examinons donc s'il y a une différence » réelle entre un usufruitier et un preneur à vie.

» Il y en aurait sans doute une très-grande si, » par le bail à vie, le bailleur et le preneur avaient » expressément déclaré, l'un ne vouloir pas cé» der, l'autre ne vouloir pas acquérir, un droit » d'usufruit. Et il en serait de même, si, sans le » déclarer expressément, les parties avaient fait >> clairement entendre que telle était leur inten» tion; si, par exemple, elles étaient convenues » que le bailleur demeurerait chargé des répa>> rations usufructuaires, et supporterait toutes » les contributions.

>> Mais hors ce cas, nous n'imaginons pas » quelle différence on pourrait assigner entre » un usufruitier et un preneur à vie. »

L'auteur soutient, comme on le voit, que le

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bail à vie conçu sans mélange d'aucune stipulation étrangère à sa nature propre, opère une véritable constitution d'usufruit; mais a-t il bien raison?

Dans cette espèce, le scriptum de l'acte, la qualification donnée à la convention, le nom employé pour désigner la négociation, n'ont trait et ne se rapportent qu'à un contrat de louage ou de bail; et le gestum ou l'action exécutive n'a aucun caractère contraire : nous devons donc appliquer ici la règle credenda est scriptura. Les termes de la convention étant clairs, on doit croire que la volonté des contractans n'a été autre que celle qui est indiquée par le sens naturel de leurs expressions; on doit donc tenir pour constant qu'ils n'ont voulu faire qu'un simple bail, puisqu'ils n'ont parlé que d'un bail. Peu importe qu'il y ait quelque rapport de similitude entre le bail à vie et la constitution d'usufruit, puisqu'ils diffèrent d'ailleurs si essentiellement, comme nous l'avons démontré plus haut. Y eût-il même, dans cette question, lieu d'élever quelques doutes, par argumentation, ce que nous n'admettons pas, il faudrait encore s'en rapporter aux termes de la convention, plutôt que de la faire dégénérer en une autre espèce, suivant la maxime in re dubia meliùs est servire verbis (1); parce qu'on ne doit pas arbitrairement sortir des limites que les parties se sont elles-mêmes tracées.

Ce n'est que par forme d'interprétation sur le

(1) L. 1, §. 20, ff. de exercit. act., lib. 14, tit. 1.

choix des conséquences à attribuer à une pareille convention, qu'on pourrait en faire ressortir un droit d'usufruit, puisque rien n'en porte l'expression dans les termes dont elle est conçue mais voyons si cette interprétation ne serait pas forcée, et si elle pourrait être soutenable.

Aux termes de l'article 1135 du code, les conventions obligent non-seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage et la loi donnent à l'obligation d'après sa nature.

109. Quelle est donc véritablement la nature de la convention dont il s'agit?

par

Ce n'est point une donation; elle n'a point la nature d'un acte de libéralité, puisqu'elle n'a été consentie que moyennant un prix : c'est donc un contrat commutatif, par lequel l'une des ties est censée rendre à l'autre l'équivalent de ce qu'elle reçoit (1104); c'est-à-dire, par lequel le preneur ou fermier est censé rendre annuellement au maître du domaine l'équivalent de la jouissance qui lui est cédée par celui-ci : le prix du fermage doit donc être considéré comme équivalant à tout le revenu net du fonds, et le fermier ne doit rien au-delà puisqu'il n'a rien promis de plus.

Cela étant ainsi, ne serait-il pas contre tous les principes d'équité d'imaginer interprétativement, comme contenu dans ce bail à vie, un droit d'usufruit auquel le fermier n'avait jamais pensé, et d'imaginer ce droit comme un moyen d'étendre les obligations du preneur, jusqu'à lui faire supporter toutes les impenses des

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