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réparations de gros entretien et des charges annuelles imposées au fonds; tandis qu'aux termes du bail, il n'a promis et ne doit autre chose que le prix de son fermage, prix qui est censé porté à toute la valeur de la jouissance qui lui est cédée: où est la loi, où est l'usage qui puissent autoriser une interprétation aussi peu conforme à l'équité? Il n'y a, et il ne peut y avoir ni loi ni usage aussi injustes. Et loin de là, s'il pouvait y avoir du doute, c'est encore en faveur du fermier qu'il devrait être levé, puisque la loi veut que, dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation (1162): donc on ne doit pas admettre une pareille interprétation; donc ce n'est pas dans le chapitre de l'usufruit, mais bien seulement dans celui du louage, qu'on doit interroger le code sur les suites et les effets qui résultent d'une convention de cette nature.

Sans doute on aurait pu stipuler dans le contrat, que le preneur serait chargé soit des impôts annuels, soit de tel ou tel genre de réparations; mais alors il se serait défendu sur le prix du bail qui aurait été d'autant moins élevé on ne pourrait donc, sans offenser tous les principes d'équité, appliquer à cette convention un système interprétatif qui étendrait ainsi ses charges, et qui pourrait les porter au-delà du double de ce qu'il avait promis.

110. L'auteur dont nous osons combattre l'opinion, cherche à établir son système par les rai

sonnemens suivans:

<< Tout le monde convient, dit-il, qu'il n'y a

» aucune différence entre les droits de l'acqué» reur à vie et les droits de l'usufruitier. En effet, >> vendre à vie la jouissance d'un immeuble, et >> en vendre l'usufruit, c'est évidemment la même >> chose. Aussi trouve-t-on dans la gazette des » Tribunaux, tome 15, page 257, un arrêt de » la grand'chambre du parlement de Paris, du » 23 décembre 1772, qui a jugé, plaidant Rim>> bert et Picard, que l'acquéreur à vie d'une » maison pouvait, comme jouissant de tous >> les droits d'un véritable usufruitier, exercer >> contre un locataire antérieur, le privilége de >> la loi æde.

» Et pourquoi en serait-il autrement d'un » bail à vie pur et simple, que d'une vente à vie?

>> On ne pourrait en donner qu'une raison: » ce serait de dire que le prix du bail à vie dé»pend de la vie du preneur et se paye chaque » année; au lieu que le prix de la vente à vie est » fixe et se paye comptant.

» Mais cette différence est absolument insi»gnifiante quant à la nature du droit conféré >> par l'un et l'autre acte. >>

Observons d'abord que cette manière de prou ver une chose est essentiellement défectueuse, en ce qu'elle ne repose sur aucun principe d'où l'on doive déduire, comme une conséquence nécessaire, que le bail à vie et la constitution d'usufruit soient d'une nature identique: ce n'est là qu'une argumentation par comparaison d'une chose à une autre; c'est-à-dire, une argumentation qui sup pose précisément la base qu'il faudrait préala blement établir. Quelque séduisante que puisse

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être une semblable manière de raisonner, elle ne peut figurer qu'au rang des preuves accessoires elle sera toujours dans le genre de celles qui sont loin d'opérer, par elles-mêmes, une véritable conviction; car il n'y a rien dans la nature qui ne soit susceptible d'être attaqué par des objections de comparaison, et il ne nous resterait, sur-tout dans l'ordre moral, aucune vérité constante, si, pour révoquer en doute les principes les plus certains, il suffisait de les combattre par des objections plus ou moins fortes et dont notre faible raison ne verrait pas même de solution bien tranchée.

un

En usant de la même manière d'argumenter, on peut faire voir que le raisonnement transcrit ci-dessus, prouve trop ou qu'il se rétorque contre le système à l'appui duquel il est invoqué. L'usufruit, en effet, peut être établi pour temps déterminé, comme il peut l'être pour la vie de l'usufruitier. Si donc on veut partir de la double hypothèse que la vente de jouissance n'est qu'un droit d'usufruit établi à titre onéreux, et qu'il n'y a pas réellement de différence entre cette vente et le bail; on dira: vendre la jouissance d'un fonds pour neuf années, c'est établir un droit d'usufruit neuf ans: or, il pour n'y a pas de différence essentielle entre la vente de jouissance et le bail; donc un bail de neuf ans est un véritable droit d'usufruit.

111. Opposera-t-on à ce raisonnement que la comparaison que nous venons de faire ne peut avoir lieu relativement au bail de neuf ans, parce qu'il

n'opère aucun droit réel acquis au preneur sur le fonds, comme quand il s'agit du bail à vie? La rétorsion, va se représenter avec plus de force encore.

Il est vrai que, suivant la jurisprudence attestée par les auteurs et fondée sur les expressions de la loi romaine, le bail ordinaire n'opérait sur le fonds aucun droit réel acquis au fermier, et au moyen duquel il fût garanti de la crainte de se voir expulsé par le nouvel acquéreur à titre singulier; il est vrai encore que ce droit, qu'on refusait au preneur par bail ordinaire, on l'accordait à celui qui avait amodié pour un temps plus long; mais il n'était pas opéré seulement par le bail à vie : il l'était aussi par tout fermage consenti pour plus de neuf ans (1), suivant la disposition du droit écrit: Et sanè causâ cognitá ei qui non ad modicum tempus conduxit superficiem, in rem actio competet (2). Cela étant ainsi, nous pouvons faire, avectoute justesse, le raisonnement suivant:

Le droit réel qui résulte de la location à longues années est de même nature, quel que soit d'ailleurs l'espace de temps pour lequel le fermage a été consenti; il est donc le même dans le bail à vie que dans celui de douze ou dix-huit ans: or, dans le bail de douze ou dix-huit ans, il n'opère point un droit d'usufruit; donc il ne l'opère point non plus dans le bail à vie.

112.

Abordons actuellement, sous d'autres rap

(1) Voy. dans Depeisse, et les auteurs par lui cités sur le contrat de louage, sect. 5, n. nono.

(2) L. 1, §. 3, ff. de superficiebus, lib. 43, tit. 18.

ports, le raisonnement que nous avons à combattre.

L'acte de vente d'une jouissance à vie établira, si l'on veut, un droit d'usufruit à titre onéreux, puisque le droit d'usufruit n'est autre chose que le droit de jouir du fonds dont un autre a la propriété; mais est-il bien vrai qu'il n'y ait pas de différence essentielle entre cette vente et un bail à vie, quoique l'un et l'autre soient faits pour le même temps?

La vente d'une jouissance à vie est un contrat absolument aléatoire : l'intérêt du prix payé ne peut équivaloir à l'estimation de la jouissance annuelle, car autrement il y aurait donation du capital: l'acquéreur peut donc beaucoup gagner par sa longévité, comme il peut tout perdre par une mort prématurée; le bail à vie n'a au contraire rien d'aléatoire, puisque le prix ne peut en être dû que jour par jour, au fur et mesure de la jouissance du fermier: convenons donc que, sous ce seul rapport, il y a déjà une différence essentielle entre l'un et l'autre.

Dans le cas de la vente d'une jouissance à vie (1614), comme dans celui de l'usufruit établi à tout autre titre ( 600 ), l'acquéreur ou l'usufruitier est également tenu de prendre la chose en l'état où elle se trouve; dans le bail au contraire, le propriétaire doit préalablement pourvoir aux réparations de tous genres (1720). Ainsi les droits des parties sont bien loin d'être identiques dans l'une et l'autre espèce.

Dans la vente de jouissance à vie, la chose

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