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même qu'au terme de son usufruit, il devrait rendre la somme à un autre qu'à l'héritier. 121. Les interprètes du droit romain ne sont pas d'accord sur la question de savoir si les habits et vêtemens de l'homme, ou autres meubles qui, sans se consommer par le premier usage, s'usent néanmoins plus ou moins. promptement lorsqu'on s'en sert, peuvent être l'objet d'un usufruit proprement dit; et si, en conséquence, l'usufruitier, quant à ces sortes d'objets, n'est tenu à autre chose qu'à en user en bon père de famille, et à les rendre dans l'état où ils se trouveront à la fin de sa jouissance; ou si, au contraire, on doit les estimer lors de son entrée en possession, pour les mettre à ses risques et périls, comme si c'étaient des choses fongibles, et l'obliger par là à en rendre seulement le prix à la cessation de son usufruit.

D'après la doctrine de quelques-uns d'entre eux (1), on doit généralement ranger en deux classes les meubles livrés à l'usufruitier, suivant qu'ils sont de nature à résister plus ou moins long-temps à l'usage qu'on en fait, et dire qu'il n'y a que ceux qui s'usent promptement qu'on doive comparer aux choses fongibles.

D'autres vont jusqu'à soutenir que tous les meubles quelconques qui sont susceptibles d'être détériorés et atténués par l'usage, doivent être estimés lors de l'entrée en jouissance de l'usufruitier qui, moyennant cette estimation, en ac

20,

(1) Voy. dans CANCERIUS, variat, resolut., part. 3, cap. n.o 212 et suiv.

par

quiert le domaine, en sorte qu'ils restent à ses risques et périls, et qu'il peut dès-lors les vendre et en disposer comme si c'étaient des choses fongibles, à la seule charge d'en rendre le prix estimatif à la fin de l'usufruit (1). Ils fondent cette opinion sur ce que, s'il en était autrement, et si l'usufruitier pouvait se libérer la restitution de meubles usés, il lui serait permis de rendre moins qu'il n'aurait reçu, ce qui serait contraire à l'équité. Ils se fondent encore sur un passage des institutes où Justinien paraît le décider ainsi pour les habillemens dont l'usufruit aurait été légué : Constituitur autem ususfructus non tantùm in fundo et ædibus, verùm etiam in servis et jumentis et cæteris rebus: (exceptis quæ usu ipso consumuntur.) Nam hæ res neque naturali ratione, neque civili recipiunt usumfructum. Quo in numero sunt vinum, oleum, frumentum, VESTIMENTA: quibus proxima est pecunia numerata. Namque ipso usu assidua permutatione quodammodò extinguitur. Sed utilitatis causa senatus censuit, posse etiam earum rerum usumfructum constitui: ut tamen eo nomine hæredi utiliter caveatur. Itaque, si pecuniæ ususfructus legatus sit; ita datur legatario, ut ejus fiat, et legatarius satisdet hæredi de tantâ pecuniâ restituendâ, si moriatur, aut capite minuatur. Cæteræ quoque res ita traduntur legatario, ut ejus fiant; sed æstimatis his, satisdatur, ut si moriatur,

(1) Voy. dans SOTOMAYOR, de usufructu, chap. 17, n. 30 et suiv.

aut capite minuatur, tanta pecunia restituatur quanti fuerint æstimatæ (1). Mais ce passage, qui ne doit être considéré que comme un extrait du Digeste, se trouve, sur ce point, en opposition avec les textes les plus formels dans lesquels on voit que l'usufruit établi sur des vêtemens ne doit point être comparé à celui qui n'aurait que des quantités ou choses fongibles pour objet : Et si vestimentorum ususfructus legatus sit, non sicuti quantitatis ususfructus legetur, dicendum est; ita uti eum debere, ne abutatur (2): c'est-à-dire, qu'on ne doit pas confondre ce legs avec celui des quantités dont l'usufruitier ne peut jouir sans abuser, et qui, par cette raison, lui sont acquises par la délivrance qu'il en reçoit, tandis que les vêtemens, quoique de nature à être promptement usés, n'étant pas des choses fongibles, restent dans le domaine de l'héritier, et ne sont acquis qu'en jouissance seulement à l'usufruitier, qui peut, à la fin de son usufruit, se libérer en les restituant dans l'état d'usure où

ils peuvent se trouver, pourvu qu'ils n'aient point été détériorés par fraude: Si vestis ususfructus legatus sit, scribit Pomponius, quanquam hæres stipulatus sit, finito usufructu vestem reddi, attamen non obligari promissorem, si eam sine dolo adtritam reddiderit (3); parce qu'il n'est

(1) Instit., §. 2, de usufructu, lib. 2, tit. 4. (2) L. 15, §. 4, ff. de usufructu, lib. 7, tit. I. (3) L. 9, S. 3, ff. usufructuarius quemadmodùm caveat, lib. 7, tit. 9.

point de la nature des obligations de l'usufruitier qu'il soit tenu de rendre la chose dans le même état de valeur où elle était quand il l'a reçue.

C'est conformément à l'esprit de ces derniers textes, que les auteurs du code ont tracé nos règles actuelles sur l'usufruit des divers objets mobiliers, puisqu'ils ont établi, comme un principe général, qu'il n'y a que les choses fongibles qui viennent en compensation l'une de l'autre (1291), comme les quantités abstraites; que c'est seulement dans le cas où l'usufruitier reçoit des choses de cette nature, dont il ne peut faire usage sans les consommer, comme l'argent, les grains, les liqueurs, etc., qu'il doit en rendre une pareille quantité ou l'estimation à la fin de sa jouissance (587); et que si l'usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l'usage, comme du linge, des meubles meublans, l'usufruitier a le droit de s'en servir pour l'usage auquel elles sont destinées, et n'est obligé de les rendre à la fin de l'usufruit, que dans l'état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa faute (589).

Il est évident que si, dans ce texte que nous rapportons littéralement, les auteurs du code ont cité le linge et les meubles meublans, ce n'est que exempli gratiá, et non pas limitandi causâ; puisque la disposition de cet article embrasse généralement toutes les choses qui ne se consomment pas de suite par l'usage qu'on en fait. D'où nous devons tirer cette consé

quence, que, sans faire aucune distinction entre les meubles qui s'usent promptement et ceux qui ont naturellement une plus longue durée, il faut tenir pour constant que l'estimation qui peut en être faite n'en transfère pas la propriété à l'usufruitier, à moins qu'on n'en soit formellement convenu; et qu'il n'y a que les choses fongibles qui lui soient acquises potentiá rei, et qui restent à ses risques et périls.

Nous verrons dans la suite que l'usufruit d'un fonds de commerce n'est qu'un usufruit improprement dit, ou un quasi-usufruit, dans le sens expliqué ci-dessus, parce qu'un fonds de commerce ne peut être comparé qu'à une masse de choses fongibles représentées par la valeur estimative qu'elles ont dans l'exercice du commerce, en sorte que c'est la jouissance de cette valeur et non celle des choses représentées, qui constitue tout l'avantage légué à l'usufruitier. 122. Mais dans quelle classe doit-on, en général, ranger les créances? Doit-on les placer au rang des meubles ordinaires, ou doit-on les considérer comme des choses fongibles?

11 y a des auteurs qui ont prétendu qu'on devait considérer les créances comme des choses fongibles en matière d'usufruit (1), d'où résulterait cette conséquence que l'usufruitier en deviendrait propriétaire par la délivrance des. titres qui lui en serait faite, et qu'il devrait rendre le montant des capitaux, lors même qu'il n'en aurait pas reçu le remboursement; mais

(1) V. dans TULDENUS sur le Digeste, de usufructu earum rerum, cap. I.

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