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étaient appelées comme les pères. Ecoutons à cet égard M. Réal, orateur du Gouvernement, chargé d'exposer les motifs de la loi.

« Le législateur, dit-il, a dû établir un droit » égal là où la nature avait établi une égalité de » peines, de soins et d'affections: il répare, par » cette équitable disposition, l'injustice de plu>>sieurs siècles; il fait, pour ainsi dire, entrer » pour la première fois la mère dans la famille, » et la rétablit dans les droits imprescriptibles » qu'elle tenait de la nature; droits sacrés, trop » méprisés par les législations anciennes, recon» nus, accueillis par quelques-unes de nos cou»tumes, et notamment par celle de Paris, mais » qui, effacés de nos codes, auraient dû se retrou>> ver écrits en caractères ineffacables dans le >> cœur de tous les enfans bien nés (1). »

Nous devons donc donner encore ici quelques notions sur l'institution de la garde coutumière, puisqu'elle est une des sources de notre législation actuelle sur la puissance paternelle ; et cela est nécessaire pour l'intelligence de beaucoup de choses qui seront dites ci-après. Pour cela, nous consulterons les meilleurs auteurs qui ont écrit sur cette matière, tels que Ferrière, Duplessis, et Bourjon, sur la coutume de Paris, et Pothier.

« La tutelle, dit Duplessis, est au profit des >> mineurs, mais la garde-noble au contraire est >> en faveur du gardien contre les mineurs, en » ce qu'il a l'usufruit de leurs biens, durant

(1) Voy, dans Locré, tom. 4, p. 415.

» leur bas âge, de sorte que c'est un moyen » d'acquérir par la loi. »

Voilà donc une institution coutumière qui établit aussi un usufruit légal sur les biens des enfans.

<< Son origine vient des fiefs, lesquels ne pou>> vant être anciennement possédés qu'à la >> charge de servir le seigneur en guerre, les >> mineurs en étant incapables, cela était cause >> que l'on donnait la garde et l'usufruit de » leurs fiefs à leur plus proche parent, pour en >> faire la fonction d'eux, et à la charge de » les nourrir jusqu'à ce qu'ils fussent en âge; >> ce qui attirait aussi l'usufruit de tous les >> autres immeubles, d'où est arrivé par la suite » des temps, qu'on a fait un droit certain et » réglé par la coutume, sans plus considérer » s'il y avait des fiefs ou non, ni cette ancienne >> cause, mais la seule minorité des enfans.

» De là vient que naturellement la garde » n'est que pour les nobles; mais les Rois l'ont » aussi accordée par privilége aux habitans de >> Paris qui ne sont pas nobles; de sorte que, » dans cette coutume, il y a garde noble et >> garde bourgeoise; mais il y a deux différences >> essentielles entre l'une et l'autre la première, » que la garde bourgeoise n'est jamais donnée » qu'aux père et mère, et la garde noble est >> aussi donnée aux aïeuls, etc. >>

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Ainsi il est évident, à vue de ces rapprochemens, comme l'a déclaré l'orateur du Gouvernement chargé d'exposer les motifs de la loi nouvelle, que les auteurs du code, nourris dans

les principes du droit coutumier, en ont adopté les dispositions plutôt que celles du droit écrit, et que c'est à l'institution de la garde qu'ils s'en sont principalement rapportés pour déterminer les émolumens qui seraient attachés à la puissance paternelle.

Néanmoins, comme le droit romain est toujours ici le type primitif: comme il est d'ailleurs de sa destinée d'étendre par-tout son empire d'une manière plus ou moins absolue, on n'a pu le perdre entièrement de vue, et nous retrouvons encore des traces de sa puissance jusque dans ce point de notre législation, où l'on paraît s'en être le moins occupé.

154. Notre puissance paternelle, considérée sous le rapport des émolumens qui en dérivent pour les père et mère, n'est donc ni la même chose que la puissance paternelle des Romains, quoiqu'elle en soit encore une faible image; ni la même chose que la garde qui était en usage dans les pays de coutume, quoiqu'elle lui ressemble sous plusieurs rapports: mais c'est une institution nouvelle portant l'empreinte de sa double origine; institution dont nous ne pouvons mieux indiquer le caractère propre, qu'en présentant encore quelques rapprochemens de comparaison entr'elle et les deux qui l'ont précédée et dont elle émane.

A Rome, le droit d'usufruit légal ne pouvait appartenir qu'aux mâles, puisqu'eux seuls étaient revêtus de la puissance paternelle; tandis que dans nos provinces coutumières, la mère devenue veuve avait aussi le droit de garde, et qu'au

jourd'hui, dans toute la France, la femme qui survit au mari a également la puissance paternelle sur ses enfans mineurs, et conséquemment l'usufruit légal sur leurs biens (384).

A Rome, la puissance paternelle ainsi que l'usufruit qui y est attaché, n'appartenaient pas seulement au père, mais à tout ascendant mâle du côté paternel qui se trouvait premier chef de la famille à défaut de père et mère, les aïeuls ou aïeules étaient concurremment appelés au droit de garde noble; tandis que la garde bourgeoise n'était jamais donnée qu'aux père et mère; comme aujourd'hui, dans toute la France, nul autre ascendant que le père ou la mère ne peut être revêtu de la puissance paternelle en tant qu'elle donne le droit de jouissance sur les biens des enfans (373, 384).

A Rome encore, l'usufruit légal s'étendait jusqu'à la mort du père ou autre ascendant usufruitier (1); tandis que celui qui était inhérent à la garde ne durait que jusqu'à l'âge de vingt ans envers les enfans mâles, et jusqu'à quinze ans envers les filles, s'ils étaient nobles; et seulement jusqu'à quatorze ans pour les garçons et douze pour les filles, lorsqu'ils n'appartenaient point à la classe des nobles; en sorte que, depuis cet âge atteint par les enfans, le gardien n'était plus usufruitier, mais seulement tuteur comptable des revenus de ses mineurs (2); comme

(1) L. 7, S. 1, cod. ad S.-C. Tertullian., lib. 6, tit. 56.

(2) Voy. dans Pothier, introduction à la coutume d'Orléans, tit. des fiefs, n.° 343.

aujourd'hui, dans toute la France, le père ou la mère cesse d'être usufruitier des biens de ses enfans du moment que ceux-ci sont âgés de dix-huit ans révolus, et n'est plus, dès cette époque, que leur tuteur comptable.

Dans quelques coutumes, le survivant des père et mère, gardien de ses enfans, gagnait de plus, en acceptant la garde, le mobilier dépendant de la succession du prédécédé, lequel lui demeurait acquis en toute propriété; mais ce bénéfice qui n'était pas par-tout attaché à la garde, n'était plus, dans le dernier état du droit écrit, inhérent à la puissance paternelle des Romains, et ne l'est pas non plus à la puissance paternelle, décrétée par le code.

Chez les Romains, la majesté de la puissance paternelle ne permit jamais de placer un tuteur ou un curateur à côté du père: dans les pays de coutume, au contraire, on nommait un tuteur ou un curateur pour surveiller l'administration du gardien; comme nous faisons nommer aujourd'hui un subrogé tuteur pour surveiller celle du survivant des père et mère.

En ce qui touche aux obligations de l'usufruitier, le gardien était, comme le père ou la mère sont aujourd'hui, tenu de toutes les charges usufructuaires, pour la conservation, l'entretien du fonds, et le payement des impôts; et en cela leur condition est identiquement la même que celle de l'usufruitier paternel des Romains. Le gardien était obligé, comme le survivant des père et mère l'est aujourd'hui, de prendre sur son usufruit les impenses nécessaires pour

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