Page images
PDF
EPUB

170. Une question importante qu'il nous reste à examiner sur cet article, consiste à savoir dans quel délai l'inventaire doit être fait par le survivant des père et mère pour la conservation de son droit.

Peut-on impunément retarder l'accomplissement de cette mesure voulue par la loi? Suffirait-il qu'un père, parvenu à l'époque où il devra rendre son compte pupillaire, fît préalablement un inventaire de la communauté, pour se soustraire au rapport des revenus de ses enfans, sous prétexte que la loi ne prescrit ici aucun délai de déchéance?

A mesure que les enfans parviennent à leur majorité, ils peuvent demander leur compte de tutelle. Supposons donc que l'aîné d'une famille plus ou moins nombreuse, étant devenu majeur, exige le sien, et que, faute de représenter un inventaire de la communauté, le père se voie forcé à la restitution des fruits dès le décès de la mère averti par là des suites de sa négligence, pourrait-il encore faire inventaire à l'égard de ceux de ses enfans qui n'ont pas leurs dix-huit ans accomplis, afin de parer au même rapport qui pourrait lui être demandé un jour de leur part?

En un mot, suffirait-il de faire inventaire plusieurs années après la dissolution de la communauté, soit pour garder les fruits perçus avant de l'avoir fait, soit pour gagner ceux qui ne. seraient échus qu'après avoir rempli cette condition?

Pour résoudre ces questions, il faut d'abord

examiner quelle est la nature de la condition prescrite au survivant des époux.

La loi lui impose le devoir de faire inventaire de la communauté, et elle subordonne l'exercice de son droit d'usufruit à l'exécution de cette condition; mais, en fait, il peut négliger de l'accomplir; ce n'est donc là qu'une condition potestative: or, dans les principes du droit, l'événement de la condition potestative, quand son accomplissement consiste dans un fait positif, n'opère que du jour où il a lieu: on ne lui donne pas d'effets rétroactifs (1), par la raison qu'étant dépendant de la volonté de l'homme en faveur duquel il doit produire son effet, celui-ci ne peut être censé avoir voulu profiter de la chose avant de s'être soumis à ce qu'il devait faire pour l'obtenir.

171. Si, dans la question qui nous occupe, on devait suivre avec rigueur cette règle de nonrétroactivité, il faudrait dire que le survivant des époux devrait toujours perdre les revenus échus avant qu'il eût fait inventaire; mais cela ne peut être : il ne serait pas juste d'appliquer ici ce principe sans tempérament, soit parce la confection d'un inventaire n'est pas un fait instantané, mais successif, soit parce qu'il s'agit d'une disposition pénale, et qu'on ne peut im

que

(1) Vide 1. 9, §. 1; et l. 11 in princip., ff. qui potiores in pignor., lib. 20, tit. 4; 1. 47, §. 1, ff. de fidejussor., lib. 46, tit. 1.-Dans MONTVALON, epitome juris, n.o 1047.—Dans GOMES, variarum resolut., cap. 11, n.o 30. Dans DUMOULIN, sur l'art. 136 de la coutume de Paris, n.o 3.

poser un devoir à quelqu'un, et le punir de l'omission, sans lui avoir donné le temps moralement nécessaire pour le remplir. Il faut un espace de temps quelconque, passé lequel seulement l'omission de l'inventaire doit être envisagée comme étant l'effet d'une négligence coupable, parce qu'on ne peut appliquer de peine que là où il y a faute à punir il faut donc que le survivant des père et mère ait un délai durant lequel il lui suffise d'avoir fait inventaire, pour jouir de son usufruit rétroactivement et sans interruption depuis le jour de la mort du prédécédé; mais quel est ce délai, et à quoi pouvons nous nous rattacher pour le déterminer, puisque la loi ne le fixe pas ?

Aux termes de l'article 451 dù code, le tuteur doit, dans les dix jours de son entrée en fonctions, requérir la levée des scellés et faire immédiatement procéder à l'inventaire des biens des mineurs ce qui ne signifie pas que l'inventaire doive être terminé dans les dix jours, mais seulement qu'il doit être de suite commencé comme chose urgente. Cette disposition est applicable à la cause des père et mère, comme à celle de tout autre tuteur: mais un inventaire commencé n'est pas ce que la loi exige d'eux elle veut un inventaire légalement consommé; ce n'est qu'à la perfection de cette mesure conservatrice, qu'elle subordonne leur droit de jouissance, et il s'agit ici, non de dommages et intérêts, mais d'une véritable peine à infliger il faut donc assigner un terme audelà

delà duquel ils doivent être réputés coupables de négligence si, sans avoir éprouvé d'obstacle involontaire, ils ne l'ont pas terminé; cependant la loi ne porte aucune disposition particulière là-dessus.

172. Cela étant ainsi, nous croyons qu'on doit s'en référer, sur ce point, au délai ordinaire de trois mois qui sont accordés à l'héritier bénéficiaire et à la veuve, pour faire inventaire à l'effet de s'assurer s'ils doivent, ou non, accepter la succession ou la communauté; sauf au survivant des père et mère à se pourvoir en justice pour demander une prorogation de délai dans le cas où, par des retards involontaires, il n'aurait pas pu terminer l'inventaire durant les trois mois.

Pour faire sentir la justesse de cette décision, supposons que ce soit la mère qui soit prédécédée: si le père survivant veut, en tous points, se conformer à la loi, il n'acceptera la succession, au nom des enfans mineurs, que sous bénéfice d'inventaire (461): et pour cela, il aura le délai ordinaire de trois mois; or, l'inventaire qui sera fait dans l'intérêt des enfans comme héritiers bénéficiaires, sera nécessairement commun entre eux et leur père, et il serait absurde d'exiger qu'on en fit deux, puisqu'il n'en faut qu'un donc il suffit à la conservation des droits. du père, qu'il l'ait fait dans les trois mois.

:

Supposons, au contraire, que ce soit par le prédécès du père que la communauté se trouve dissoute; outre qu'il y aura même raison d'accorder à la mère le délai de trois mois pour faire, comme tutrice, l'inventaire bénéficiaire

TOM. I.

15

de ses enfans mineurs, elle a encore le même délai pour faire cette opération dans son intérêt propre, comme commune (1456). Jusque-là elle ne peut être accusée d'aucun retard; donc il lui suffit également d'avoir fait inventaire dans les trois mois.

173. Le survivant des père et mère doit donc avoir trois mois pour la confection de son inventaire pupillaire. Nous ajoutons que, hors le cas de nécessité, on ne doit pas lui accorder un plus long délai, parce que la loi prescrit cette mesure comme une chose urgente. Si cependant il éprouvait des obstacles tels qu'il ne pût le terminer dans ce délai, les retards involontaires ne devraient porter aucun préjudice à son droit de jouissance. On ne pourrait, par cela seul, l'en déclarer déchu, parce qu'il ne peut y avoir de peine à prononcer là où il n'y a pas de faute à punir; mais comme son inculpabilité ne pourrait uniquement dépendre de sa propre opinion, il devrait encore, en ce cas, se pourvoir au tribunal d'arrondissement, pour demander, contradictoirement avec le subrogé tuteur, et en connaissance de cause, une prorogation de délai proportionnée aux circonstances. Ce n'est que par ce moyen qu'il pourrait mettre ses droits à couvert; parce que, ne devant point être juge dans sa propre cause, il serait obligé de faire prononcer l'autorité compétente sur le mérite de

son excuse.

Lorsque le survivant des époux a laissé passer les trois mois sans satisfaire au devoir que la loi lui impose, ni justifier des obstacles qui l'en

« PreviousContinue »