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le patri

meilleur économe que lui. Ce sont là des choses notoires dans toute la province dans laquelle le procès a été jugé tant en première instance qu'en cause d'appel. Quoique nous ne voyons rien dans les motifs de l'arrêt qui nous démontre littéralement que ces circonstances aient influé sur la détermination des Juges qui l'ont rendu, il n'est cependant guère possible de le supposer autrement; car, dans une cause dont l'objet principal est tout dans l'intérêt d'un mineur, comment supposer qu'on ait fait une entière abstraction des circonstances au moyen desquelles cet intérêt se trouvait parfaitement à couvert, en prenant le parti adopté par cette Cour? 241. Supposons, pour un moment, que moine légué au jeune Magnoncourt n'eût consisté qu'en effets mobiliers; supposons encore qu'au lieu d'être riche et bon économe, son père n'eût été qu'un homme insolvable, tombé en faillite ou en déconfiture; n'est-il pas à croire que la Cour de Besançon, pénétrée de cette vérité que les intérêts des mineurs sont spécialement placés, par la loi, sous la sauvegarde de l'autorité publique, eût conservé l'exécuteur testamentaire dans les fonctions d'administrateur qui lui avoient été déléguées par le testament, plutôt que de prononcer indirectement la ruine du mineur, en ordonnant la remise de sa fortune mobilière entre les mains dissipatrices d'un homme qui n'aurait offert aucune garantie sur le compte à rendre de sa gestion?

Cependant, le père de famille qui a éprouvé des revers de fortune; le père qui qui a mal administré son patrimoine; le père, en un mot, qui est tombé en déconfiture, n'en est pas moins revêtu de la puissance paternelle sur ses enfans; il n'en est pas moins leur tuteur; il n'en doit pas moins conserver sa tutelle jusqu'à ce qu'on l'en ait fait déclarer indigne, par une procédure spécialement instruite à ce sujet. Si donc il était réellement vrai de dire que la clause par laquelle le testateur prohibe au père l'administration des biens donnés au fils, pour la confier à un exécuteur testamentaire, est contraire aux lois et aux bonnes moeurs, cette clause, disons-le, serait aussi nulle dans la cause du père tombé en déconfiture que dans celle du père opulent, puisque l'un est revêtu de la puissance paternelle comme l'autre, que ses enfans lui doivent le même respect, et que sa personne est également sacrée pour eux, que celle de l'autre pour les siens. Tous les raisonnemens faits par la Cour de Besançon pour justifier son arrêt, seraient les mêmes en points de droit, et pourraient être présentés avec le même fondement dans l'hypothèse que nous avons faite, que dans celle où cet arrêt a été rendu; néanmoins, comme nous l'avons déjà dit, il est à croire que si les mêmes juges avaient eu à prononcer dans cette dernière supposition, ils auraient porté une décision tout opposée; d'où nous devons conclure, malgré tout notre respect pour les décisions de cette Cour, que le véritable point de doctrine sur cette question

n'a été ni traité ni établi dans les motifs de cet arrêt.

242. Mais quel est donc, sous le rapport de sa conformité soit aux principes de la morale soit au prescrit de la loi, la nature d'une clause de cette espèce insérée dans un testament?

Ce n'est qu'après un mûr examen des circonstances de fait qu'il est possible de porter une juste décision sur cette question.

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S'il appert par le testament même, ou par quelques circonstances de fait, ou s'il est d'ailleurs prouvé que la clause qui prohibe au père l'administration des biens donnés au fils, n'est qu'une disposition ab irato, qu'elle n'a été consignée dans le testament que par des motifs de colère, ou de ressentiment, ou de haine, ou de mépris pour le père, et non pour prescrire une précaution salutaire aux intérêts de l'enfant; c'est alors le cas de dire qu'il faut la considérer comme non écrite; et sans contredit elle doit être déclarée nulle, parce que la morale réprouve les actes de vengeance, et que la justice ne peut sanctionner l'oeuvre de la passion.

Mais lorsque rien ne démontre, lorsque rien ne prouve que la clause du testament ne soit qu'une disposition ab irato; lorsqu'il paraît que cette clause a été inspirée plutôt au teștateur par un sentiment de défiance qu'il aurait conçu sur la solvabilité, ou la prodigalité et l'esprit de dissipation du père, ou même sur son ignorance et son incapacité aux affaires; lorsqu'en un mot il paraît que le testateur n'a prescrit cette précaution que dans l'intérêt du mineur, et pour assurer l'exé

cution de son bienfait, nous croyons que toute la question doit être réduite dans les termes suivans:

243. En fait, la clause par laquelle le testateur a prohibé au père l'administration des biens donnés au fils, est-elle, ou non, dans l'intérêt du mineur?

Si l'on n'accuse point le père d'être un dissipateur; s'il ne s'accuse pas lui-même par sa mauvaise administration, ou par un désordre connu dans ses propres affaires; s'il jouit de la réputation d'un homme probe et éclairé; si, dans sa fortune personnelle, il offre une garantie suffisante pour répondre de sa gestion, et qu'il en fasse preuve; si, en un mot, il paraît démontré que c'est par une opinion erronée sur la solvabilité et sur les moyens du père, que le testateur lui a prohibé l'administration, cette clause doit être rejetée, non comme immorale ou contraire aux lois, mais comme inutile au but que le testateur s'est proposé d'atteindre, et comme fondée sur une fausse cause; en sorte qu'on doit croire que, si l'auteur de la libéralité avait connu le véritable état des choses, il se serait abstenu d'une disposition qui ne peut être qu'injuste envers le père, du moment qu'elle se trouve sans avantage pour le fils: falsam causam legato non obesse verius est: quia ratio legandi legato non cohæret. Sed plerumque doli exceptio locum habebit, si probetur aliàs legaturus non fuisse (1). La vérité étant reconnue,

(1) L. 72, §. 6, f. de condition. et demonst., lib. 35,

tit. 1.

la justice ne doit pas sanctionner une mesure qui n'avait été prescrite que par erreur. D'autre part, les enfans étant sans intérêt pour que l'administration de leurs biens soit placée hors de la règle commune, nul ne doit être recevable à exiger cette exception pour eux.

Mais si la conduite du père l'accusait lui-même de dissipation; s'il y avait un désordre notoire dans ses affaires; s'il paraissait incapable d'administrer, soit par défaut de facultés mentales, soit par ignorance ou inexpérience; s'il ne prouvait pas qu'il fût suffisamment solvable pour répondre de sa gestion; si sa fortune, livrée aux hasards du commerce, ne présentait pas une garantie connue et assurée; si, après avoir interrogé le conseil de famille, ou prescrit tout autre moyen d'instruction, il restait aux yeux de la justice le moindre doute raisonnable sur la question de savoir si les intérêts des mineurs seraient en parfaite sureté, en confiant au père l'administration qui lui a été prohibée par le testateur, il faudrait obéir à la loi du testament, et la clause devrait recevoir toute son exécution. 244. La question ainsi entendue, voyons actuellement si l'on peut dire, avec raison, que la clause dont il s'agit est contraire aux bonnes mœurs ou aux lois.

Et d'abord, comment concevoir qu'un testateur qui prohibe au père l'administration des biens donnés au fils, pour la confier à un exécuteur testamentaire, fasse un acte immoral, lorsque, se défiant de la prodigalité ou de la solvabilité du père, il n'agit que dans la vue

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