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d'assurer l'exécution de sa libéralité, et de mettre les intérêts du fils hors des atteintes des dissipations du père? Rien n'est assurément plus conforme à la saine morale, que l'esprit d'ordre et de conservation : donc le testateur qui n'est guidé que par cet esprit dans la précaution qu'il prescrit pour conserver le bien de son légataire, ne fait qu'un acte de sagesse; donc il ne peut en-, courir le reproche d'avoir offensé les principes de la morale.

On a toujours vu et on ne cessera jamais de voir un désordre affligeant pour les mœurs dans la conduite du père de famille qui se montre dissipateur: donc la disposition du testateur qui vient mettre obstacle à ce désordre, ne peut être encore, sous ce point de vue, que très-conforme à la saine morale.

Lors même qu'on ferait abstraction de tout esprit de dissipation ou de prodigalité dans le père; si, dans sa fortune personnelle, il ne présente pas assez de garantie pour répondre de sa gestion, et des restitutions qu'il devra faire, comment y aurait-il de l'immoralité à mettre obstacle aux dissipations possibles de sa part? Et, puisque les dissipations qu'on peut craindre seraient alors consommées sans retour, la précaution prise pour les éviter n'est-elle pas dictée par la plus saine raison?

L'incapacité est placée par la loi au nombre des causes de destitution de la tutelle (444); comment pourrait-il être immoral d'en prévenir les funestes effets, en écartant de l'administration du patrimoine des mineurs un père qui,

par son ignorance ou son inaptitude, pourrait chaque jour mettre ses enfans sur le penchant de leur ruine?

Un père qui perçoit et dépense des revenus qui ne lui appartiennent pas; un père qui sait qu'il devra un jour rendre compte de sa gestion, sans avoir les moyens de se libérer, commet un véritable vol au préjudice de ses enfans: comment donc ne pourrait-on, sans offenser les principes de la morale, prévenir le danger, et mettre obstacle même à la possibilité de cette espèce de vol?

Mais, dit-on, cette clause est contraire aux bonnes mœurs, en ce qu'elle tend à inspirer aux enfans du mépris ou de la défiance contre les auteurs de leurs jours, et à affaiblir la puissance paternelle, l'une des bases de l'ordre social.

Ce n'est là qu'une confusion d'idées et de mots. Lorsque la disposition n'a point été faite ab irato, lorsque le testateur n'a eu en vue que la conservation des biens des enfans; lorsqu'il n'est pas constant qu'il se soit trompé sur les moyens de garantie du père, cette objection est sans application à la question.

D'une part, le testateur disposant en maître de ce qui lui appartient, et ne devant personnellement aucun témoignage de déférence au père de son légataire, ne peut être tenu d'adopter une forme plus respectueuse à son égard, vu sur-tout que cette forme s'opposerait au but qu'il se propose, qui est d'assurer l'exécution de son bienfait.

D'autre côté, le respect dû aux père et mère

par

par les enfans, impose bien à ceux-ci le devoir de ne jamais agir, par des motifs injurieux, contre les auteurs de leurs jours; mais ce respect n'est pas toujours tel qu'on doive, en silence, lui faire le sacrifice de la fortune des enfans, lorsque leurs intérêts sont en opposition avec ceux des père et mère : la loi est loin de l'entendre ainsi, puisqu'elle veut que le père ou la mère soient, comme tous autres tuteurs (405 et 444), poursuivis, au nom des enfans, pour se voir déclarer indignes et déchus de la tutelle, lorsqu'ils administrent mal leurs biens, quoique le jugement de destitution frappe d'une espèce d'infamie, puisque le tuteur destitué ne peut plus être membre du conseil de famille (445).

Enfin, la clause prohibitive de l'administration, n'ayant aucun rapport au pouvoir du père sur le gouvernement de la personne des enfans, ne touche en rien à la puissance paternelle, et ne peut conséquemment tendre à l'affaiblir.

245. C'est sur-tout à Rome qu'on fut jaloux des

prérogatives de cette puissance; et néanmoins, suivant le prescrit de la novelle 117, il était permis au testateur de faire un legs au fils de famille, sous la condition que le père n'en aurait ni l'usufruit, ni l'administration: sub hac definitione aut conditione, si voluerint, ut pater, aut qui eos habent in potestate; in his rebus neque usumfructum, neque quodlibet habeant participium; en sorte que si les légataires étaient majeurs, ils acquéraient l'administration et la pleine propriété des objets qui leur étaient donnés : res

TOM. I.

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autem ita relictas sive donatas positis sub potestate personis, siquidem perfectæ sint ætatis; licèt sub potestate sint, licentiam habeant quo volunt modo disponere ; que s'ils étaient encore mineurs, l'administration des biens légués devait être confiée à l'exécuteur testamentaire nommé par le testateur: si verò ætate minores sint; per quem perspexerit testator, aut donator, hæc gubernentur, donec illi quibus donata sunt aut relicta ad perfectam ætatem veniant; que si le testateur n'avait nommé lui-même aucun administrateur, ou si celui qui avait été nommé refusait d'accepter cette charge, ou venait à décéder avant la majorité des enfans, on devait recourir au juge des lieux pour faire décerner un curateur ad hoc, sans qu'en aucun cas il fût permis au père de revendiquer l'administration qui lui avait été prohibée par l'auteur de la libéralité: si verð forsan is qui reliquerit, aut donat, nullum in his dispensatorem ordinaverit, aut ab eo datus hujusmodi gubernationem subire noluerit, aut moriatur antequàm illi perfectæ fiant ætatis, jubemus judicem competentem curatorem fide dignum cum legitimá fidejussione, rebus talibus ordinare. L'empereur Justinien ne crut pas, par cette disposition, porter atteinte à la puissance paternelle; et les auteurs qui ont écrit sur cette novelle, en parlent comme d'une chose conforme à la raison et n'ayant rien de répugnant aux bonnes mœurs (1). Cependant, aux termes

(1) Voy. dans CUJAS, sur la novelle 117. - dans SoTOMAYOR, tractatu de usufructu, cap. 3, n.o 59;— dans VOET, lib. 26, tit. 2, n.o 5.

du droit romain, toute condition contraire aux bonnes mœurs, et qui aurait été insérée dans un testament, était déjà déclarée nulle et comme non écrite; conditiones contra edicta Imperatorum, aut contra leges, vel quæ contra bonos mores sunt, pro non scriptis habentur (1): or les principes de la morale n'ont pas changé depuis la promulgation du nouveau code; ce qui était reconnu conforme à ces principes, doit encore l'être aujourd'hui : donc la clause dont il s'agit ici, n'a rien de contraire aux bonnes mœurs.

246. Mais cette clause n'a-t-elle également rien. de contraire au prescrit de nos lois?

Cette seconde question peut être résolue en bien peu de mots.

Il est permis de prohiber l'usufruit au père, pour que l'enfant profite seul de la libéralité qui lui est faite; or la prohibition de l'usufruit ne serait qu'un avantage illusoire pour l'enfant, si l'administration devait nécessairement être laissée au père, lors même que celui-ci ne serait qu'un dissipateur, ou un homme insolvable : donc la permission de prohiber l'usufruit emporte virtuellement celle de prohiber aussi l'administration, toutes les fois que cette mesure doit être favorable aux intérêts du mineur.

C'est un principe constant et général que, quand la loi nous accorde un droit, elle nous accorde au moins tacitement et par voie de conséquence, tout ce qui est nécessaire pour l'exercer, encore qu'elle ne s'en soit pas expliquée, parce qu'on ne peut vouloir la fin, sans vouloir

(1) L. 14, ff. de condit. instit., lib. 28, tit. 7.

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