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Ainsi, lorsque le contrat par lequel on a voulu aliéner la propriété d'un fonds, avec réserve d'usufruit, est nul, la clause de rétention qui en fait partie, étant nulle elle-même, ne peut opérer les effets d'une véritable tradition (1).

Ainsi, dans une institution contractuelle dont l'effet, quant à la transmission de propriété, est essentiellement reporté au décès de l'instituant, les clauses, soit de réserve d'usufruit, soit de retour en cas de prédécès de l'institué, ne doivent être considérées que comme des expressions d'un style impropre de la part du notaire, ou des clauses surabondantes, et inutilement voulues, par excès de précaution de la part du donateur (2); mais si l'acte de libéralité était conçu d'une manière obscure; s'il y avait du doute sur la question de savoir si c'est une institution contractuelle qu'on a voulu d'abord exprimer, ou si c'est une donation de biens présens, la clause de rétention d'usufruit ou de retour serait le plus puissant moyen de lever tous les doutes sur la nature de la libéralité, pour la faire réputer donation de biens présens.

55. On voit par ce qui est dit dans ce paragraphe et dans le précédent, que l'usufruitier et le propriétaire sont, quoique sous différens rapports, deux véritables possesseurs du même domaine,

(1) Voy. dans DARGENTRÉ, sur l'art. 265 de la coutume de Bretagne, n.o 5.

(2) Voy. dans CHABROL, sur la coutume d'Auvergne, chap. 14, art. 26, sect. 4; et dans DUNOD, en ses observations sur la coutume de Franche-Comté, pag. 581, n.° 14.

et de-là l'on doit tirer cette conséquence que toute action purement réelle qui a pour objet un immeuble grevé d'usufruit, telle que l'action en revendication, en déclaration d'hypothèque, en délaissement, etc., etc., doit être dirigée tout à la fois et contre le propriétaire et contre l'usufruitier, puisqu'ils sont l'un et l'autre possesseurs, et que c'est contre ceux qui se trouvent en possession de l'héritage qu'on doit agir en vertu des actions de cette nature (1).

36. IV. L'USUFRUITIER a la qualité de gardien de la chose, puisqu'il n'a droit de jouir qu'à la charge de conserver et de rendre, et qu'il est même obligé de fournir un cautionnement pour la sureté de cette obligation.

Les devoirs que cette qualité impose à l'usufruitier ne sont pas tels que, pour leur accomplissement, il lui suffise de s'abstenir lui-même de tous actes qui tendraient à dégrader le fonds; il doit en outre protéger la chose et la défendre contre les entreprises des tiers; car aux termes du code (614), si pendant la durée de l'usufruit, un tiers. commet quelque usurpation sur le fonds, ou attente autrement aux droits du propriétaire, l'usufruitier est tenu de le dénoncer à celui-ci ; faute de quoi il est responsable de tout le dommage qui peut en résulter pour le propriétaire, comme il le serait de dégradations commises par lui-même.

Ainsi l'usufruitier qui se permettrait d'hypo

(1) Voy. dans POTHIER, sur la coutume d'Orléans pag. 744, n.o 32.

théquer ou de vendre le fonds dont il a la jouissance, ne se rendrait pas seulement coupable de stellionat envers le créancier ou l'acquéreur, en hypothéquant ou vendant sciemment le fonds d'autrui (2059); mais il serait encore gravement répréhensible envers le propriétaire dont il aurait compromis les intérêts, au lieu de veiller à leur conservation.

Ainsi, l'usufruitier serait responsable de tous dommages envers le propriétaire, si par le nonusage il avait laissé prescrire des servitudes acquises au fonds dont il a l'usufruit: et si fortè fuerint servitutes, non utendo fructuario, amissæ, hoc quoque nomine tenebitur (1).

Ainsi encore, et généralement pour tous autres objets, l'usufruitier ne pourrait pas toujours se libérer à la fin de l'usufruit, par la restitution de la partie de la chose qui resterait entre ses mains, quoiqu'il n'eût commis lui-même aucunes dégradations, qui eussent été cause du dépérissement. Car il devrait être condamné à payer l'estimation de tout ce qui serait perdu par sa faute, comme s'il avait laissé prescrire des créances, sans en poursuivre le remboursement, ou laissé faire des anticipations sur des fonds, sans réclamer, ni dénoncer l'entreprise au propriétaire. Interdùm autem inerit proprietatis æstimatio, si fortè fructuarius, cùm possit usucapionem interpellere, neglexit, omnem enim rei curam suscepit (2).

(1) L. 15, §. 7, ff. de usufruct., lib. 7, tit. 1. (2) L. 1, §. 7, ff. usufructuarius quemadmod. caveat., lib. 7, tit. 9:

En un mot, l'usufruitier, comme gardien conservateur de la chose, doit répondre des pertes de toutes espèces qui peuvent arriver par son défaut de vigilance; car, outre que le texte que nous venons de transcrire ne cite le cas de la prescription que par forme d'exemple, le jurisconsulte Paul retrace positivement la règle générale dans la loi qui suit immédiatement; nam, dit-il, usufructuarius custodiam præstare debet (1); en sorte qu'il faut tenir pour constant, que l'usufruitier est responsable, même pour simples fautes d'omission, dans les soins qu'il doit à la conservation de la chose, de quelque manière qu'il en ait souffert la perte ou le dépérisse

ment.

Ainsi, quoique les grosses réparations ne soient point à la charge de l'usufruitier, il est néanmoins obligé d'avertir le propriétaire des dégradations considérables ou des accidens de tous genres qui peuvent les occasioner, lorsque celui-ci n'est pas présent sur les lieux, afin qu'il puisse, par suite de cet avertissement, arrêter le cours de plus grands dépérissemens, en réparant avec promptitude; sans quoi l'usufruitier se rendrait passible des dommages et intérêts que pourrait souffrir le propriétaire pour n'avoir pas été averti. Si fructuarius non denuntiaverit, cùm potuerit, proprietario probabiliter ignoranti periculum ruinæ, vel inundationis, aut aliud fiendum impensâ proprietarii, et damnum secutum fuerit, tenebitur ipsi proprietario ad interesse:

(1) L. 2, ff. eodem.

Est enim velut procurator proprietarii, et tenetur ei ad omnem curam et custodiam (1).

de

Nous examinerons ailleurs quel est le genre faute ou de culpabilité nécessaire, dans l'usufruitier, pour le rendre responsable des pertes du propriétaire.

37. V. L'USUFRUITIER a la qualité de fondé de pouvoir dans les causes où ses intérêts sont liés avec ceux du propriétaire, et il peut alors exercer les fonctions de celui qu'on appelle en droit procurator in rem suam; et même in rem alierius.

Cette proposition n'est en quelque sorte qu'une conséquence de la précédente: néanmoins comme elle mérite une attention particulière, par rapport aux applications nombreuses qu'elle recevra dans la suite de cet ouvrage, nous devons encore remonter aux principes sur lesquels elle et l'expliquer avec quelques développe→

repose,

mens.

Pour cela nous exposerons successivement et aussi brièvement que possible, ce que c'est qu'un procurator in rem suam: quelle est la nature particulière du mandat dont ce procurator est chargé: comment l'usufruitier se trouve revêtu de cette espèce de mandat: quelles sont les actions à l'exercice desquelles il est applicable: enfin, quelle est l'étendue des pouvoirs que l'usufruitier peut exer

(1) DUMOULIN, coutume de Paris, tit. 1, §. 1, gloss. 8, p, 70 – Voy. encore dans BANNELIER, tom. 2, pag. 565, n.o 6, édit. in-4.° Dans VALIN, sur la coutume de la Rochelle, art. 7, n.o 45. — Dans VOLT, sur le digeste, tit. de usufructu, n. 33.

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