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sur la moitié des héritages anciens dont le mari est mort vêtu et saisi. Ici la constitution du douaire coutumier n'était comparable qu'à une simple donation de biens à venir; en sorte que le mari pouvait, en aliénant tous ses propres anciens, anéantir l'expectative du douaire de la veuve, sans que celle-ci eût aucun recours en indemnité contre les héritiers qui n'auraient recueilli aucun des biens dont l'espèce seule est passible de la charge du douaire ni aucune action en éviction contre les tiers acquéreurs qui lui auraient répondu que son douaire ne lui ayant été tacitement promis que sur les anciens dont le mari serait mort vêtu et saisi, il ne pouvait lui être dû sur les fonds aliénés par celui-ci en son vivant (1).

:

Le douaire coutumier n'étant, pour la femme, qu'une jouissance à vie, n'est autre chose qu'un droit d'usufruit qui s'éteint par la mort de l'usufruitier; mais la constitution de cette espèce d'usufruit est d'une nature toute particulière.

Quoique semblable à une donation, néanmoins ce don de la loi n'a pas uniquement la pure libéralité pour cause, soit parce qu'il a été établi en récompense de la jouissance de la dot et des soins et travaux de la femme, soit parce qu'il est destiné à étendre, même après le décès du mari, l'exécution de l'obligation qu'il avait contractée de fournir, en son vivant, des alimens à son épouse; en sorte qu'il est, sous ce rapport,

(1) Voy. dans TAISAND, sur l'art. 6, tit. 4, de la cout. de Bourgogne ; et dans BANNELIER, tom. 4, pag. 62, édit. in-4.0

comme une condition tacitement opposée à l'union des époux et de là les auteurs ont tiré cette conséquence, que la douairière a droit d'exiger, pour sa jouissance, une garantie qui ne serait pas due à un simple légataire d'usufruit, ainsi que nous le verrons plus bas. 253. Considérée dans sa nature propre, la constitution du douaire tient tout à la fois de la disposition à cause de mort, et de la disposition entre-vifs.

Elle participe de la disposition à cause de mort, en ce que le douaire est soumis à la condition de survie de la part de la douairière dont le droit ne peut être ouvert que par la mort du mari (1).

Elle participe de la disposition entre-vifs, en ce que le droit du douaire se rattache au contrat de mariage comme une condition sous-entendue dans l'union des époux.

254. Dans son espèce mixte, le douaire est un droit d'usufruit légal et conventionnel tout à la fois.

C'est un droit d'usufruit légal, puisqu'il a sa cause primitive dans la disposition de la loi mu

(1) Il y avait des coutumes sous lesquelles on jugeait que la mort civile du mari ne donnait pas lieu à l'ouverture du douaire: devrait-on encore aujourd'hui décider ce point de droit suivant ces coutumes, à l'égard de la femme qui se serait mariée sous l'empire de l'une d'elles, mais dont le mari aurait été frappé de la mort civile depuis la publication du code ?

Voyez, sur cette question, ce que nous en avons dit dans notre ouvrage sur l'état des personnes et la loi préliminaire du code, tom. I, pag. 32.

nicipale qui établit cette récompense au profit de la femme survivante.

C'est un droit d'usufruit conventionnel, parce qu'il est censé stipulé entre les époux lors de leur union en sorte qu'il est assuré à la veuve comme s'il y en avait eu une convention expresse lors de la célébration du mariage.

Il en est de la constitution du douaire, comme de celle de la communauté. Lorsque deux époux se sont mariés sans traité nuptial, la femme se trouve associée aux acquisitions, comme si les parties en étaient convenues par un contrat exprès : elle a part aux bénéfices faits dans le ménage, par cela seul qu'il n'y a pas eu de convention par laquelle elle ait renoncé à cette faveur que la loi attache à son mariage. De même, lorsque les époux se sont unis sous une coutume accordant un douaire, il est dû à la veuve comme lui ayant été tacitement promis; et c'est comme s'il y en avait eu une convention expresse, du moment qu'elle n'y a pas renoncé dans un traité préalable à la célébration du mariage.

Cette convention tacite sur l'établissement du douaire, comme sur celui de la communauté est fondée sur ce que, la loi constitutive du droit commun en ayant fait une condition de l'association des époux, pour tous les cas où les parties n'y auraient pas renoncé, ceux qui se sont mariés sans autre contrat sont censés s'y être soumis et avoir adopté pour eux les dispositions de la loi, comme s'ils s'en étaient formellement expliqués; car, voulant faire un acte conforme au droit commun, ils n'ont pu avoir d'autre

intention

intention que celle de se soumettre aux obligations que ce même droit attache à l'acte de célébration de leur mariage. Ils se trouvent donc sous l'empire de la règle tracée dans l'article 1135 du code civil portant que, « les conven>>>tions obligent non-seulement à ce qui y est » exprimé, mais encore à toutes les suites que » l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obli»gation d'après sa nature »; règle reconnue de tous les temps comme une chose de principe en fait de convention: Ea enim quæ sunt moris et consuetudinis, in bonæ fidei judiciis venire debent (1). Et comme une convention tacite a la même force qu'une convention expresse, sed etiam tacitè consensu convenire intelligitur (2), il est nécessaire de convenir, comme nous l'avons énoncé, que le douaire coutumier est véritablement, sous ce rapport, un droit d'usufruit conventionnel. Et de là résultent plusieurs conséquences qu'il faut remarquer ici.

255. La première : que, du vivant même du mari, la femme est déjà conditionnellement créancière de son douaire, puisqu'il lui est dû sous la condition de sa survie, en vertu d'une convention irrévocable de sa nature, et qui, quoique tacite, a pour elle toute la force d'une stipulation expresse: Eum qui stipulatus est sub conditione, placet etiam pendente conditione creditorem esse (3),

256.

La seconde : qu'en sa qualité de créancière,

lib.

14.

21,

tit. 1.

(1) L. 31, §. 20, ff. de ædil. edict.,
(2) L. 2, ff. de pactis, lib. 2, tit.
(3) L. 42, ff. de obligat, et act., lib. 44, tit. 7.

TOM. I,

21

quoique sa créance ne soit que conditionnelle, la femme a déjà, du vivant du mari, une hypothèque légale sur les biens de celui-ci, pour sureté de son douaire mobilier, soit coutumier, soit conventionnel; hypothèque en vertu de laquelle elle peut prendre inscription (2132) et faire tous actes conservatoires de ses droits, suivant ce que peuvent exiger les circonstances: comme, par exemple, intervenir dans la discussion des biens du mari pour demander que les créanciers qui sont postérieurs à elle, et qui se trouvent en ordre d'être nantis, ne touchent que sous la caution et à charge de rapport, en cas que sa survie donne ouverture à son douaire. 257. La troisième : que, nonobstant qu'aujourd'hui les lois n'accordent plus de douaire aux femmes en France, il en est néanmoins dû un, pour le cas de survie, à toutes celles qui se sont mariées avant la loi abolitive des coutumes, parce que leur droit, à ce sujet, remonte à l'époque de leur contrat, uniuscujusque contractus initium spectandum et causam (1); et que le code ( 2 ) en prohibant tout effet rétroactif, veut, par une conséquence nécessaire, que les conventions formées antérieurement, soient exécutées dans toute l'étendue qu'on avait voulu leur donner dans le principe: Nam hoc servabitur quod ab initio convenit (2).

258. Mais quelle est l'époque précise de l'abrogation des anciennes coutumes sur le fait du

(1) L. 8, in fine princip., ff. mandati, lib. 17. tit 3. (2) L. 23, ff. de regul. jur.

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