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douaire? Cette abrogation était-elle déjà une suite de la loi du 17 nivôse an 2, ou n'a-t-elle eu lieu que par la promulgation du code civil? Cette question a été longuement et fortement discutée soit par-devant les Cours d'appel de Liége, de Metz et de Nancy, soit par-devant celle de cassation qui paraît avoir définitivement fixé la jurisprudence à cet égard, en déclarant que les gains de survie, établis entre époux par les anciennes coutumes, avaient été abolis par la loi du 17 nivôse. Trois arrêts consécutifs ont été rendus, en ce sens, dans cette dernière Cour, les 20 octobre 1807, 6 mars 1811 et 8 janvier 1814: les deux premiers par la section civile, et le dernier par les sections réunies sous la présidence du ministre grand-juge (1).

Après avoir rappelé sommairement ces notions sur la nature du douaire, il nous reste à examiner quelques-unes des questions transitoires qui peuvent naître du changement de notre législation sur cette matière.

PREMIÈRE QUESTION.

259. La plupart des coutumes déclaraient qu'au décès du mari, la veuve était saisie de son douaire soit préfix, soit coutumier : cette saisine peut-elle encore avoir lieu au profit de la femme mariée sous l'empire de ces coutumes, et quelle peut être la conséquence de cette disposition du droit ancien, par rapport aux douaires qui ne seraient ouverts que sous le droit nouveau?

(1) Voy. dans le nouveau Répertoire, aux mots gains nuptiaux, tom. 5, p. 426 et suiv., et au tom. 15, p. 357,

Pour mettre la solution de cette question à portée même des commençans, il faut encore remonter aux idées élémentaires qu'on doit avoir de la saisine et de ses effets.

Et, d'abord, qu'est-ce que la saisine?

On peut dire en général que la saisine consiste dans l'investiture de la possession.

Celui-là, en effet, a la saisine d'une chose, qui est revêtu des droits du possessoire sur cette chose. C'est par cette raison que l'action en maintenue dans la possession d'un héritage en laquelle on est troublé par un tiers, était appelée par l'article 1 du titre 18 de l'ordonnance de 1667, et par nos anciens praticiens, complainte en cas de saisine et nouvelleté.

Complainte, c'est-à-dire action au possessoire, par laquelle fon se plaint du fait d'un tiers:

En cas de saisine, c'est-à-dire en cas qu'on soit saisi de la possession du fonds, parce qu'autrement l'action n'aurait pas de cause;

Et nouvelleté, c'est-à-dire en cas d'innovation, ou de trouble nouvellement causé à notre possession.

Il y a deux espèces de saisine, qui sont : la saisine naturelle et de fait, et la saisine civile ou de droit.

La saisine naturelle est celle qui a lieu lorsque l'acquéreur ou le nouveau propriétaire d'un fonds en prend la possession réelle et de fait en vertu de son titre.

La saisine civile ou de droit est celle qui, conformément à l'ancienne maxime du droit coutumier, le mort saisit le vif, a lieu par le seul

empire de la loi, lorsqu'elle déclare (724) que l'héritier est saisi, de plein droit, des biens, droits. et actions du défunt..

C'est cette espèce de saisine qui était accordée à la veuve, par les coutumes, pour les coutumes, pour la jouissance de son douaire, comme elle est accordée à l'héritier pour le revêtir de la possession des biens de l'hérédité, lors même que, dans le fait, il n'est

pas encore entré en jouissance. 260. La saisine civile est donc une fiction par laquelle la loi répute de plein droit celui qui en est revêtu, possesseur du fonds, quoiqu'il n'en ait point encore pris la possession naturelle, et lui accorde par là tous les avantages du possessoire, comme si, par le fait, il s'était déjà présenté sur l'héritage pour y faire son entrée en jouissance.

Cette saisine produit deux effets bien distincts.

Le premier consiste en ce que celui qui a la saisine a aussi les actions possessoires, soit en maintenue pour le cas de simple trouble, soit en réintégrande pour le cas du dessaisissement réel; et c'est là une conséquence nécessaire de ce qu'il est réputé possesseur, comme s'il avait réellement pris la possession dans laquelle il se plaint d'être troublé.

Le second consiste en ce que les fruits ou revenus de la chose sont dus à celui qui a lasaisine, encore qu'il n'ait point formé de demande en délivrance réelle. Ils lui sont dus dès le moment même où il a été saisi, parce qu'ayant titre, et étant de plein droit saisi de la possession, on ne pourrait lui refuser la qualité de

possesseur légitime à laquelle le gain des fruits est toujours attaché.

Ce second effet de la saisine n'est pas aussi identiquement lié à sa cause que le premier, car on conçoit que la restitution des fruits et levées peut être due à un propriétaire ou à un usufruitier, même pour le temps où il n'était pas en possession du fonds; tandis qu'on ne concevrait pas comment un homme pourrait avoir les actions possessoires au sujet d'un héritage dont il ne serait pas possesseur.

Les coutumes qui accordaient à la veuve la saisine de son douaire, avaient pour motif principal de lui en faire gagner les fruits et revenus dès l'instant de la mort du mari. Les rédacteurs de ces coutumes n'avaient pas voulu qu'une femme pieuse, absorbée par la douleur, souffrît dans ses intérêts pécuniaires, de ce qu'elle les aurait oubliés, pour ne penser qu'à la perte qu'elle éprouvait par la mort de son époux. Ils avaient voulu, en conséquence, que cet avantage sur la perception des fruits fût comme une condition de la convention tacite du douaire. C'est pourquoi c'était un point de jurisprudence constant que, sous ces coutumes, les fruits étaient dus, de plein droit, à la douairière, dès le moment de l'ouverture de son droit; tandis que, sous les coutumes qui ne prononçaient pas la saisine à son profit, elle ne gagnait les fruits que du jour de la demande en délivrance (1) de son douaire.

(1) Voyez à ce sujet dans DUNOD, en ses observations

261. Mais quelles doivent être aujourd'hui les conséquences de cette disposition coutumière sur la saisine, à l'égard de la douairière dont le droit n'est ouvert que sous nos lois nouvelles?

La saisine civile considérée en elle-même ; ou, en d'autres termes, la fiction par laquelle une personne est réputée possesseur d'une chose dont elle n'a réellement pas pris possession, ne peut être qu'un pur effet de la loi : elle ne peut être l'effet immédiat d'une convention, parce que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes; tandis que la saisine opère ses effets même à l'égard des tiers, puisqu'elle donne les actions possessoires contre quiconque se porterait à troubler le saisi dans sa possession.

Il résulte de là que, relativement aux actions possessoires, la veuve ne peut aujourd'hui prétendre à la saisine de son douaire; car elle ne pourrait l'avoir, ni en vertu des anciennes coutumes qui ne l'accordaient qu'après le décès du mari, et qui auraient déjà cessé d'être en vigueur à l'époque de ce décès: ni en vertu de nos lois nouvelles, puisqu'elles n'accordent la saisine qu'à l'héritier légitime (724) et au légataire universel qui ne se trouve point en concurrence avec l'héritier de la réserve (1006).

Il n'en est pas de même de l'effet secondaire qu'on faisait dériver de la saisine, pour attribuer

sur la coutume de Franche-Comté, pag. 361, n.o 8; dans BOUHIER, sur celle de Bourgogne, chap. 76, n.° 71; dans VALIN, sur celle de la Rochelle, art. 45, n.o 36; - dans RENUSSON, traité du douaire, chap. 2, n.°* 4 et 5; — POTшIER, traité du douaire, n.o 159, 160, 188 et 19

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