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utile, et qui devraient définitivement être pourvus si le douaire n'avait pas lieu.

D'un côté, on peut dire que la loi interdisant à l'acquéreur toute faculté de payer au préjudice de l'inscription de la femme, l'immeuble restera toujours grevé de cette inscription entre ses mains; qu'il y aurait de l'injustice à exiger de lui un payement qu'il lui est défendu de faire sous peine de s'exposer à payer deux fois; que, faisant ce payement sans être libéré envers la femme, l'insolvabilité qui pourrait survenir dans les créanciers qui l'auraient reçu serait totalement à sa charge, ce qui aggraverait sa condition et étendrait la mesure de ses obligations hors des limites prescrites par la loi de son contrat; qu'à supposer même que les créanciers qui n'auraient reçu qu'un paiement provisoire, ne devinssent pas insolvables, sa condition n'en serait pas moins trop dure encore, puisqu'il

resterait directement soumis aux actions et à la discussion de la veuve, et aux embarras d'un recours qu'il ne peut être juste de lui faire supporter en outre du prix stipulé dans son contrat.

Néanmoins nous croyons qu'on ne pourrait refuser d'admettre les créanciers à toucher provisoirement en fournissant un cautionnement suf

fisant pour la sureté du rapport, en cas qu'il y ait lieu au douaire de la femme. Car, s'il est vrai de dire que la femme ait sur la somme restant entre les mains de l'acquéreur un droit éventuel avec hypothèque à laquelle on ne peut préjudicier, il est vrai aussi que les créanciers, en ordre utile, ont un droit actuel sur cette somme,

et qu'elle leur appartient pour le cas où le douaire n'aura pas lieu. A la vérité, leur droit est résoluble au cas de survie de la femme; mais la résolution n'en doit avoir lieu que quant à la restitution du capital, et non pour les intérêts; ils ont donc un droit irrévocablement acquis sur la jouissance actuelle: conséquemment ils peuvent la demander, et ils doivent l'obtenir.

266. S'il arrive un jour que le douaire ait lieu, et qu'il ne doive consister que dans une jouissance, la femme, à son tour, devra fournir aussi un cautionnement pour le toucher, puisqu'en dernière analyse le capital devra retourner et rester définitivement aux créanciers.

267. Mais si, dans l'intervalle du nantissement à la mort du mari, les créanciers ainsi que leurs cautions devenaient insolvables, sur qui péseraient les suites de cet événement? Est-ce la veuve qui devrait souffrir la perte de son douaire; ou est-ce l'acquéreur qui devrait payer deux fois, et qui n'aurait qu'un recours illusoire?

Nous croyons que c'est sur l'acquéreur que devrait retomber la perte causée par cet événement, à moins que la femme, comparant à la distribution, n'eût consenti au paiement versé entre les mains des créanciers. Car, du moment que la créance de la femme a été inscrite, et qu'aux termes du code, il ne peut être fait aucun paiement du prix au préjudice de cette inscription, il en résulte nécessairement que l'immeuble vendu reste soumis à son hypothèque, et que l'acquéreur pouvant toujours être évincé par elle, demeure garant réel de la créance.

Sans doute cette conséquence paraît dure à son égard; mais on doit la considérer comme étant consacrée en principe dans le cahier des charges: c'est comme si on en avait expressément stipulé la condition dans la vente, puisque la loi veut que tel soit le sort de celui qui acquiert les immeubles du mari, lorsque la femme a une hypothèque inscrite.

Mais, si la femme comparant à l'ordre de distribution avait, sans aucune réserve, consenti à ce que le paiement fût fait aux créanciers sous caution et à charge de lui en faire à elle-même le rapport, il y aurait alors novation dans sa créance, par le changement de débiteur: novation valablement consommée, parce que la femme dûment autorisée peut traiter, s'obliger et renoncer à ses hypothèques envers des tiers: novation dont l'effet serait d'affranchir l'acquéreur et de rendre le fonds libre entre ses mains. 268. Voyons actuellement comment les lois veillent à la conservation des droits de la femme, lorsque son douaire est immobilier.

Dans ce cas, c'est un immeuble qui constitue l'objet de la créance de la femme, puisqu'à supposer qu'elle survive au mari, son douaire doit se réaliser par la délivrance de l'usufruit sur les fonds de celui-ci, c'est-à-dire par la mise en possession de ce démembrement de la propriété foncière que la loi déclare être lui-même un immeuble civilement séparé de la nue propriété.

Cette espèce de créance sort donc de la catégorie de celles auxquelles s'applique le régime hypothécaire, et dès-lors nous n'avons à invoquer,

sur ce point, que les règles qui gouvernent la conservation du droit de propriété sur les immeubles.

Il résulte de là que, pour conserver à la femme son douaire immobilier en nature, il n'est pas besoin de prendre inscription au bureau des hypothèques, puisqu'elle n'est pas créancière hypothécaire sur les fonds, mais bien créancière du fonds même dont une portion de domaine lui est éventuellement due (1).

Il en résulte encore que, si les biens du mari se trouvent vendus au décès de celui-ci, la veuve dont le douaire est ouvert, est en droit de déposséder les acquéreurs pour entrer en jouissance de son usufruit; car, puisque c'est sa chose qu'on a vendue, et qu'on l'a vendue sans sa participation, elle ne fait alors qu'invoquer le principe de droit commun, qui veut que tout homme dont on a entrepris d'aliéner le fonds, sans son consentement, puisse le revendiquer contre le nouveau possesseur (2).

269. Cette décision doit cependant recevoir quelques modifications résultantes de diverses circonstances qui peuvent nécessiter l'application d'autres principes.

1.o Si les immeubles passibles de la charge du douaire n'avaient pas tous été vendus par le mari, la veuve ne pourrait inquiéter les acquéreurs qu'autant qu'il ne resterait pas assez de fonds dans la succession, pour la remplir de son

(i) Voy. dans le nouveau Répert. verbo douaire, tom. 4, pag. 266, col. I, n.o 1; et verbo gains nuptiaux བ tom. 5, pag. 438, §. 7.

(2) V. BACQUET, traité des droits de justice, ch. 15, n.° 72. douaire,

douaire, et il ne lui serait permis de les déposséder que jusqu'à concurrence du déficit qu'elle y trouverait; car étant sans intérêt, elle serait sans action pour en exiger davantage (1).

2. Lorsque les biens du mari sont saisis et vendus à requête de quelques créanciers ayant hypothèques antérieures au mariage, la constitution du douaire ne peut être un obstacle à ce que la vente ne soit irrévocablement consommée (2), puisqu'alors l'adjudication procède d'une cause qui est préexistante aux conventions matrimoniales, et à laquelle le débiteur n'a pu porter atteinte en se mariant; mais en ce cas la femme peut intervenir pour veiller à ce qu'après l'acquit des créanciers qui la précèdent, le surplus du prix, s'il y en a, ne soit payé à d'autres que provisoirement, à charge de rapport et sous bonne caution, et même sous réserve de ses droits d'hypothèque et privilége, ainsi qu'il a été dit ci-dessus (3).

3. Si l'immeuble du mari était aliéné pour cause d'utilité publique, la femme serait fondée à demander le remploi du prix en acquisition d'un autre fonds, à moins qu'il n'en restât encore assez au mari pour la remplir de son douaire, en cas qu'il ait lieu.

(1) Voy. daus BASNAGE, sur l'art. 368 de la cout. de Norm., t. 2, p. 15;- LEGRAND, cout. de Troyes, art. 86, glos. I, n.o 22 et 23; -POTHIER, du douaire, n.o 190 et 191.

(2) Voy. dans LOUET, lettre F, sommaire 24; -dans BACQUET, traité des droits de justice, chap. 15, n.° 73. (3) Voy. dans Bouvor, en ses questions notables, part. 2, au mot décret, quest. I, pag. 45; et tom. 2, pag. 1031, quest. 41.

TOM. I.

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