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270. Mais dans tous autres cas, soit qu'il s'agisse d'aliénations volontairement consenties par le mari, soit qu'il s'agisse d'expropriation forcée, faite sur lui à requête de créanciers postérieurs au mariage, on doit tenir pour constant que, quand le prédécès du mari donne lieu à l'ouverture du douaire, la veuve est en droit de déposséder l'acquéreur, pour jouir par elle-même, sa vie durant, de l'usufruit des fonds qui avaient été vendus; et c'est là un point de jurisprudence attesté par tous les auteurs qui ont écrit sur cette matière (1). Cependant on trouve dans nos nouveaux recueils un arrêt prononcé par la Cour de cassation le 9 septembre 1811, qui paraît contraire à cette doctrine; mais ce préjugé suffit-il pour qu'on doive abandonner l'ancienne tradition sur ce point? Y aurait-il dans nos lois actuelles quelques dispositions qui abrogeassent les principes consacrés de tout temps pour assurer à la femme son douaire immobilier en nature?

Cette question est d'autant plus importante encore aujourd'hui, qu'on pourra toujours, comme on a toujours pu, stipuler un douaire

(1) Voy. dans DUNOD, en ses observations sur la coutume de Franche-Comté, pag. 361, n.o 8; dans LEGRAND, sur celle de Troyes, art. 86, glose I, n.o 14; -dans D'HÉRICOURT, traité de la vente des immeubles, chap. 9, n.o 10, pag. 149; dans LOUET, loco citato, et lettre D, sect. 20, n.o 4; dans BOURJON, le douaire, chap. 13, sect. 3;—dans RENUSSON, traité du douaire, chap. 5, n. 32, et chap. 10; - dans POTHIER, traité idem, n.o 187 et 190; dans BASNAGE, sur l'art. 368 de la coutume de Normandie, tom. 2, pag, 15,

col. I.

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sur

préfix dans les contrats de mariage, et que, sans s'arrêter à cette dénomination, on trouve souvent, dans ces contrats, des donations d'usufruit, singulières ou réciproques, faites entre les futurs époux, et subordonnées à la condition de survie des donataires: donations qui sont de même nature que la constitution du douaire coutumier, et sur le mérite desquelles on doit statuer d'après les mêmes règles. Voyons donc quels sont l'espèce et les motifs de l'arrêt précité. Par acte notarié du 27 fructidor an 9, le sieur Planche avait vendu à la banque territoriale, sous la faculté de réméré pendant six ans, un moulin et d'autres immeubles situés en Normandie, où le douaire coutumier consistait dans l'usufruit du tiers des fonds dont le mari était saisi au jour du mariage, et du tiers de ceux qui lui étaient échus depuis en ligne directe.

La banque avait fait transcrire son contrat, sans que la dame Planche, mariée en Normandie en 1787, eût pris aucune inscription pour la conservation de son douaire sur les immeubles

vendus par son mari.

Le rachat ne fut point exercé par le sieur Planche, et la banque territoriale se regardant comme devenue incommutable propriétaire, fit poursuivre la revente des immeubles à l'audience des criées du Tribunal de la Seine, où ils furent adjugés, le premier mars 1806, aux sieurs Lefranc et Pussac, pour la somme de 31,300 fr.

L'ordre de distribution ayant été ouvert, fut bientôt arrêté par une demande incidente formée à requête de la dame Planche.

Cette dame s'était fait séparer de biens d'avec son mari, par jugement du Tribunal d'Evreux, du 19 février 1806.

Le 7 avril suivant, elle avait fait assigner les acquéreurs en délivrance de son douaire.

Elle fondait sa demande, soit sur son contrat de mariage, par lequel son mari lui avait promis le douaire coutumier; soit sur la disposition de la coutume de Normandie, où le douaire s'ouvrait par la séparation de biens.

La banque territoriale, qui avait pris fait et cause pour les adjudicataires, répondait d'abord que la séparation de biens, obtenue par la demanderesse, étant postérieure au code civil, devait être réglée dans ses effets par l'article 1452 de ce code, qui porte que la séparation de biens ne donne pas ouverture aux droits de survie de la femme.

Cette première exception n'était en quelque sorte que dilatoire; car on aurait pu déclarer la dame Planche non-recevable, quant à présent, sans préjudicier à ses droits pour le cas où elle aurait survécu à son mari, et ne confirmer l'adjudication qu'à charge du douaire en ce cas, sauf à en modifier le prix: mais ce n'est pas là ce qui a été jugé.

La banque soutenait en outre que la dame Planche n'ayant pas pris d'inscription hypothé caire, pour sureté de son douaire, ne pouvait rechercher les acquéreurs des biens de son mari, qui avaient purgé, par la transcription de leurs contrats, les hypothèques non inscrites, conformément à ce qui était prescrit par la loi

du 11 brumaire an 7 : c'est ce second moyen qui a prévalu devant la Cour de cassation, comme nous le verrons bientôt. Mais pour écarter tout ce qui est étranger à la question, et faire voir que la même difficulté peut se présenter encore à l'avenir, au sujet des gains de survie, stipulés en usufruit, entre les époux, par contrat de mariage, il est nécessaire de rappeler ici les points d'identité et de différence qui existent sur le mode de purger ou de conserver l'hypothèque légale des femmes, entre les dispositions du code et celles de la loi de brumaire an 7, sous l'empire de laquelle cette cause a été jugée.

Suivant le système hypothécaire établi par la loi de brumaire an 7, l'hypothèque légale des femmes était, conformément au droit commun, subordonnée à la formalité de l'inscription; et lorsqu'un immeuble sur lequel le propriétaire avait consenti des hypothèques était vendu, la transcription du contrat d'acquisition, faite au bureau du conservateur, opérait l'affranchissement du fonds, envers tout créancier qui n'au rait pas précédemment formé son inscription hypothécaire.

Si donc la dame Planche n'avait eu à répéter qu'un douaire mobilier pour lequel elle n'aurait été qu'une simple créancière hypothécaire, il est hors de doute qu'on eût dû la déclarer nonrecevable, puisqu'elle n'avait pas pris d'inscription, et que, de son côté, la banque territoriale avait acheté les fonds du mari et en avait fait transcrire le contrat d'acquisition, sous l'empire de la loi de brumaire; mais reste à savoir

si, lorsqu'elle se présentait pour revendiquer un douaire immobilier, sa cause pouvait être jugée par les mêmes principes: et c'est le point de la difficulté que nous avons à éclaircir. 271. Aujourd'hui, et suivant les dispositions du code civil, l'hypothèque légale des femmes sur les biens de leurs maris existe indépendamment de toute inscription, et cette hypothèque ne peut être purgée par la simple transcription de l'acte de vente faite par le mari; mais lorsqu'un extrait du contrat a été affiché, pendant deux mois, dans l'auditoire du tribunal de la situation des biens, et que les autres formalités prescrites par l'article 2194 ont été remplies, si aucune inscription hypothécaire n'est formée de la part de la femme, l'immeuble vendu se trouve affranchi entre les mains de l'acquéreur, comme il l'était par la simple transcription de l'acte de mutation sous la loi de brumaire.

Ainsi, dans le cas où il ne s'agirait que d'un 'douaire mobilier, la femme qui n'aurait pas pris d'inscription resterait privée de tout droit de suite sur l'immeuble; mais si les gains de survie réclamés par elle consistaient en usufruit immobilier, la question renaîtrait à cet égard, avec toute son importance; et nous aurions à résoudre, sous l'empire du code, la même difficulté qui s'est présentée, sous la loi de brumaire, dans la cause de la dame Planche. Revenons donc au narré de cette affaire, et voyons comment elle a été décidée.

Le 24 décembre 1807, jugement du Tribunal de première instance qui, adoptant les moyens

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