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présentés par la banque territoriale, déclare la dame Planche non-recevable dans la demande en délivrance de son douaire.

Sur l'appel de ce jugement, arrêt de la Cour d'appel de Rouen qui réforme en ces termes:

« Attendu, 1.o que le douaire en Normandie » est un droit matrimonial que l'article 367 de » la coutume assure positivement et irrévocable»ment à la femme, du jour de la consomma>>tion du mariage; et que d'ailleurs, dans le con>> trat de mariage de la dame Planche, le douaire » a été spécialement stipulé à son profit, pour >> courir du jour de son ouverture, pour quel»ques causes que ce soit, sans être tenue d'en » former aucune demande en justice; qu'il est » de jurisprudence ancienne, constante, inva»riable et fondée tant sur la juste interpréta» tion de la coutume que sur le sens littéral de >> l'article 71 des placités, qu'en Normandie l'ou>verture du douaire avait lieu non-seulement » par la mort naturelle ou civile du mari, mais » encore par la séparation soit de corps, soit de » biens; que le code civil, qui ne régit que les » contrats de mariage postérieurs à sa promul»gation, ne peut porter atteinte aux droits pré>> existans des époux ; que ce code, au titre du >> contrat de mariage, contient deux régimes » spéciaux, dont les règles, distinctes en géné» ral, ne se communiquent point; que l'article » 1452, qui appartient au régime de la commu» nauté, ne peut avoir d'empire sur le régime » dotal normand qui était exclusif de toute com»munauté entre époux : il est sur-tout inappli~

>> cable à un douaire solennellement établi avant >> l'existence dudit article, par la convention, » la loi et la jurisprudence interprétative : at» tendu, 2.o que l'article 21 de la première loi » du 11 brumaire an 7, ne soumet à la forma>> lité de l'inscription que les droits hypothé» caires des femmes sur les biens de leurs maris; » qu'ici il ne s'agit point d'un droit d'hypothè» que, mais bien d'un usufruit à l'égard duquel » la seconde loi de brumaire, art. 25, a institué >> l'action en revendication, indépendamment de >> toute vente et de toute inscription. >> 272. On voit clairement dans ces motifs de l'arrêt de la Cour de Rouen, que l'unique objet du procès était un droit d'usufruit sur les immeubles acquis par la banque territoriale, droit qui avait été assuré à la dame Planche, non-seulement par convention tacite, comme douaire coutumier, mais encore par une disposition expresse de son traité nuptial, et qu'ainsi la même question peut se représenter sous le code, pour l'exécution des gains de survie, stipulés en usufruit, de la part des époux, dans le cas de vente des fonds qui en avaient été grevés.

Sur le pourvoi en cassation contre cet arrêt, la section civile de la Cour suprême a, le 9 septembre 1811, accueilli la demande de la banque territoriale, dans les termes suivans:

<< Attendu, 1.o que la banque territoriale ayant » acheté un moulin et d'autres immeubles du >>sieur Planche, par contrat notarié du 27 fruc>> tidor an 9, sous la faculté de réméré pendant » dix ans, a fait transcrire son contrat au bu

»reau des hypothèques d'Evreux, dans l'ar» rondissement duquel lesdits biens étaient si» tués attendu, 2.o que la dame Ursule Le» meilleur, femme du sieur Planche, quoique mariée en 1787, et bien qu'elle tînt lesdits » biens hypothéqués en sa faveur pour sureté » du douaire coutumier à elle promis par leur >> contrat de mariage, n'avait pris, avant la

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transcription, aucune inscription hypothé» caire sur la généralité des biens de son mari » pour la conservation de ses droits attendu, » 3.o que l'expectative de l'usufruit des biens >> affectés au douaire à elle promis, ne formait » pas un droit de propriété dudit usufruit, parce » qu'il reposait toujours sur la tête de son mari, jusqu'à l'époque de son ouverture par l'un des » événemens prévus par la coutume; et jusque» là, la dame Lemeilleur, femme Planche, n'a» vait qu'une hypothèque sur la généralité des » biens de son mari pour sureté du douaire, hypothèque dont la conservation ne lui pou>> vait être acquise que par une inscription dans » la forme de la loi, antérieure à la transcrip>>tion faite par les demandeurs, de leur contrat » de vente attendu, 4.o qu'en décidant que la >> dame Planche avait la propriété dudit usufruit, » du jour de la constitution de son douaire ou » du jour de son mariage, et en la dégageant en cette qualité de la nécessité de prendre » une inscription pour la conservation de son » hypothèque, la Cour impériale de Rouen a >> fait une fausse application de l'art. 25 de la » seconde loi du 11 brumaire an 7, et est même

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>> contrevenue à l'art. 21 de la première loi du » même jour : casse, etc. » (1).

273. Il a donc été jugé par cet arrêt, qu'un droit d'usufruit immobilier, mais qui n'existe encore qu'en expectative, comme subordonné à la condition de survie de celui qui en est créancier, ne peut plus être revendiqué sur le tiers acquéreur qui a satisfait aux formalités prescrites pour la purgation des hypothèques qui sont essentiellement mobilières pour le créancier; mais, osons le dire, c'est là une de ces erreurs graves et patentes qui semblent n'échapper de loin en loin aux plus illustres magistrats, que pour prouver que nous devons tous un tribut à la nature humaine.

C'est une erreur aux yeux de la jurisprudence ancienne, puisqu'il n'y a pas un auteur qui, traitant du douaire, soit préfix, soit coutumier, expressément ou tacitement promis ou assuré à la femme sur les biens présens du mari, n'enseigne que la veuve a une action pour déposséder les acquéreurs auxquels ces biens auraient été vendus, et que nous voyons dans les arrê– tistes que cette doctrine avait été constamment mise en pratique par les anciennes Cours.

C'est une erreur tant aux yeux de la seconde loi transitoire de brumaire an 7 (2), qu'aux yeux du code de procédure (3), qui déclarent expressément que l'adjudication d'un immeuble ne transmet à l'adjudicataire d'autres droits à la

(1) Voyez dans le recueil de Denevers, an 1812, pag. 19.

(2) Voyez art. 25. (3) Voyez art. 731.

propriété que ceux qu'avait le saisi; d'où il résulte que si le fonds n'était possédé par le saisi ou le vendeur que sous la charge d'un droit d'usufruit éventuel, il ne peut être transmis que sous la même charge, et que le cas arrivant où le droit d'usufruit est ouvert, l'usufruitier doit avoir, envers le tiers acquéreur, pour la revendication de son usufruit, la même action qu'il aurait eue envers le premier propriétaire : autrement on aurait transmis à l'un plus de droits à la propriété, que l'autre n'en avait.

C'est une erreur aux yeux du code civil, qui déclare nulle la vente de la chose d'autrui (1599), et qui ne veut pas que l'aliénation d'un fonds grevé d'usufruit puisse porter atteinte aux droits de l'usufruitier (621), tant qu'il n'y a pas for-. mellement renoncé : ce qui nécessairement doit être éventuellement applicable au cas d'un droit éventuel, comme on l'applique actuellement à la cause de l'usufruitier qui serait déjà en possession de son usufruit.

274. La vérité de ces assertions sera peut-être encore mieux sentie, lorsque nous aurons, par un plus grand développement, examiné la constitution du douaire, soit comme créance hypothécaire, soit comme créance éventuelle, pour indiquer, par là, avec plus de précision, les effets qui s'y rattachent sous l'un et l'autre rapports. Lorsqu'on a promis à une femme un douaire immobilier sur certains fonds, elle en es, du jour de la célébration du mariage, créancière éventuelle, pour cas de survie; cette créance est bien certainement hypothécaire sur la géné

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