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SECTION 1.re

Par qui l'Usufruit conventionnel peut-il être
établi?

501. La constitution d'usufruit, ainsi que nous l'avons fait voir au premier chapitre, opère un démembrement dans la propriété : elle emporte aliénation d'une partie du domaine, rem alienat qui dat usufructum (1): deux conditions sont donc d'abord requises dans celui qui veut établir un droit d'usufruit.

La première, qu'il soit propriétaire de la chose dont il veut ainsi démembrer le domaine, attendu que personne ne peut disposer que ce qui lui appartient:

de

La seconde, qu'il ait la capacité d'aliéner, puisque la constitution d'usufruit est une alié

nation.

Ainsi, la femme mariée ne pourrait, sans être autorisée par son mari ou d'office par le juge, établir, par acte entre-vifs, un droit d'usufruit sur ses fonds.

Ainsi, pour établir un droit d'usufruit sur les fonds d'un mineur ou d'un interdit, il faut employer les formalités prescrites par les lois pour l'aliénation des immeubles des mineurs. 502. Quoiqu'on ne puisse donner ou léguer l'usufruit de la chose d'autrui, néanmoins le maître de la nue propriété d'un fonds qui est déjà grevé

(1) L. 7, cod de rebus alienis non alienandis, lib. 4 tit. 51.

d'usufruit au profit d'un tiers, peut encore en léguer le droit de jouissance au profit d'un second usufruitier qui commencera à jouir après le premier, parce qu'en exécutant ainsi la volonté du testateur, on ne comprend rien, dans sa disposition, qui ne soit dépendant de son droit de propriété : si dominus nudæ proprietatis, usumfructum legaverit: verum est, quod Marcianus scribit libro tertio quæstionum de fideicommissis, valere legatum: et, si fortè in vitá testatoris vel ante aditam hæreditatem proprietati accesserit, ad legatarium pertinere: plus admittit Marcianus, etiam si post aditam hæreditatem accessisset ususfructus, utiliter diem cedere, et ad legatarium pertinere (1). Cette décision du jurisconsulte Marcien n'est pas fondée sur ce qu'à Rome il était permis de léguer la chose d'autrui, puisqu'il ne veut pas que le legs du second usufruit soit exécuté avant l'extinction de la jouissance du premier usufruitier. 303. Il ne suffit pas toujours d'être propriétaire et d'avoir personnellement la capacité d'aliéner, pour pouvoir disposer incommutablement; il faut encore que les droits des tiers ne soient pas lésés ainsi, comme l'usufruitier ne peut pas renoncer à son droit d'usufruit, au préjudice de ses créanciers (622), de même le propriétaire d'un fonds ne pourrait en aliéner l'usufruit en fraude des siens (1167).

(1) L. 72, ff. de usufructu, lib. 7, tit. 1; — idem, 1. 63, eod.

304. Suivant les dispositions du droit romain, l'usufruit pouvait être établi, par autorité du juge, dans les partages judiciaires, en adjugeant la jouissance du fonds à l'un et la nue propriété à l'autre, lorsqu'un corps d'héritage n'était pas susceptible de partage sans détérioration, ou qu'il s'agissait de rétablir l'égalité des lots par une soulte Constituitur adhuc ususfructus, et judicio familiæ erciscundæ et in communi dividundo, si judex alii proprietatem adjudicaverit, alii usumfructum (1): cette règle de jurisprudence ancienne pourrait-elle encore être suivie aujourd'hui parmi nous?

Sans doute un partage ainsi fait serait valable et régulier, si les parties intéressées, étant majeures et maîtresses de leurs droits, y avaient consenti, soit expressément en adoptant positivement le rapport des experts qui l'auraient ainsi réglé, soit tacitement en le laissant homologuer après qu'il leur aurait été communiqué, et en tirant les lots au sort sans avoir préalablement (855) réclamé contre leur formation.

Mais le juge pourrait-il ordonner d'office, ou même sur la demande de l'une des parties, contre la volonté des autres, que le partage fût exécuté de cette manière? C'est ce que nous ne pensons pas, parce qu'aucune de nos lois nouvelles ne lui donne ce pouvoir, et que, loin de là, toutes leurs dispositions relatives à ce point en fait de partage, paraissent lui refuser cette puissance exorbitante.

(1) L. 6, §. 1, ff. de usufructu, lib. 7, tit. 1.

Et d'abord, lorsqu'il s'agit d'un fonds sur lequel on ne peut, sans détérioration, opérer autant de parts qu'il y a de copartageans, le code ne permet pas d'en attribuer forcément l'usufruit à l'un et la nue propriété à l'autre pour les remplir de leurs droits dans la chose indivise, puisqu'il déclare (827) impérativement que, les immeubles ne peuvent pas se partager commodément, il doit être procédé à la vente par licitation, pour en partager le prix : d'où il est nécessaire de conclure qu'il ne serait plus permis à nos Tribunaux de suivre encore, sur ce point, la décision de la loi romaine (1).

En second lieu, lorsqu'il s'agit d'une simple soulte de partage, le code a encore pourvu à la manière dont elle doit être formée, sans recourir au remède arbitraire indiqué dans le texte du droit romain, puisqu'il veut (833) que l'inégalité des lots en nature se compense par un retour soit en rente, soit en argent.

L'égalité est la base légitime de tout partage: attribuer l'usufruit à l'un et la nue propriété à l'autre, pour les remplir de leurs droits dans la chose commune, ce serait sortir de cette base, parce que la valeur de l'usufruit ne peut être estimée que d'après sa durée, qui nécessairement est inconnue : un semblable partage serait donc essentiellement arbitraire dans le point où il est le moins permis qu'il le soit.

Autoriser un Tribunal à adjuger l'usufruit à l'un et la propriété à l'autre, contre le gré des

(1) Voy. aussi l'art. 970 du code de procéd.

parties ou de l'une d'elles, c'est lui donner le pouvoir, non d'adjuger à chacune d'elles ce qui lui appartient, mais de composer sur leur dépouillement, et de les forcer à jouer leur bien par un contrat aléatoire. On conçoit qu'un pouvoir aussi exorbitant ne peut exister dans nos Tribunaux.

SECTION II.

Au profit de qui l'Usufruit conventionnel peut-il étre établi?

305. L'usufruit est une propriété. En le considérant simplement sous ce premier point de vue, nous devons dire que sa constitution est soumise aux règles générales du droit commun sur la disposition des biens: mais c'est une propriété toute personnelle dans l'usufruitier, et intransmissible héréditairement; et, sous ce second rapport, les dispositions en usufruit sont nécessairement régies par des lois d'exception.

En nous plaçant d'abord sous l'empire des règles du droit commun, on doit dire que, pour recevoir parmi nous un droit d'usufruit et en jouir légitimement, il faut être capable d'acquérir et de posséder des biens en France, puisque c'est là un droit de propriété qu'il s'agit d'acquérir et de posséder.

Ainsi, avant la loi du 14 juillet 1819 abolitive du droit d'aubaine (1), l'on n'a pu disposer par testament ou par donation entre-vifs, d'un droit d'usufruit au profit d'un étranger, que dans

(1) Voyez au bulletin 294, tom. 9, pag. 17, 7.eme série.

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