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rait plus un véritable usufruit, mais plutôt un droit de superficie qui est un autre genre de propriété, dont nous parlerons à la fin de cet ouvrage.

SECONDE QUESTION.

310. Le droit d'usufruit peut-il être établi sur plusieurs tétes?

L'usufruit serait établi sur plusieurs têtes si le legs en était fait à deux ou plusieurs personnes, à condition que l'une serait appelée à le recueillir intégralement, et à en jouir après le décès de l'autre, qui en aurait également joui en totalité : mais une pareille disposition serait-elle en harmonie avec nos lois, et quels devraient en être les effets?

La rente viagère est, comme le droit d'usufruit, intransmissible héréditairement, puisqu'elle s'éteint par le décès du rentier; néanmoins elle peut être constituée sur plusieurs têtes (1972): pourquoi en serait-il autrement de l'usufruit?

Aux termes de l'art. 580 du code, l'usufruit peut être établi ou purement, ou à certain jour, ou sous condition. Je pourrais donc léguer l'usufruit de mon domaine à deux personnes, en déclarant que l'une d'elles en jouirait, en totalité, pendant dix ans à dater du jour de mon décès, et que cette même jouissance totale appartiendrait à l'autre après les dix années de possession de la première : il n'y aurait rien dans cette disposition qui ne fût parfaitement conforme à la lettre et à l'esprit de la loi; or, que la jouissance du légataire appelé en second ordre doive commencer au bout de dix ans, ou seule25

TOM. 1.

ment au jour du décès du premier, c'est là une circonstance parfaitement accidentelle, et qui ne peut mettre obstacle à la régularité de la disposition donc le droit d'usufruit peut être établi sur plusieurs têtes.

:

Déjà nous avons fait voir, dans la première section de ce chapitre (1), que, si le maître de la nue propriété d'un fonds dont la jouissance appartient à un autre, en lègue encore l'usufruit à une troisième personne, ce legs est valable; et la loi (2) romaine veut qu'il reçoive son exécution dès le moment de l'adition d'hérédité, si le premier usufruit a été auparavant consolidé à la propriété, ou dès le décès du premier usufruitier, à quelqu'époque qu'il soit mort après le décès du testateur: voilà donc encore un texte positif qui consacre la constitution du droit d'usufruit du même fonds sur plusieurs têtes.

Lorsque le droit d'usufruit est établi sur deux têtes, ou au profit de deux personnes successivement appelées à jouir de la même chose, ce n'est pas par voie de transmission qu'il parvient du premier légataire au second, puisqu'il est intransmissible. Il en est de cette succession de jouissance comme il en serait d'un droit de survivance que le Gouvernement accorderait à un citoyen pour succéder un jour à un office de notaire, par exemple, après la mort du titulaire actuel. Lorsque le successeur ainsi nommé se trouverait appelé aux fonctions vacantes par la mort ou la démission du premier, ce n'est

(1) Voy. sous le n. 302.

(2) L. 72, ff. de usufructu, lib. 7, tit. 1.

pas par la voie de transmission de la part de celui-ci qu'elles lui seraient acquises, puisqu'elles ne sont pas une propriété qui soit transmissible à d'autres par celui qui en est revêtu. Il en est de même de l'usufruit; et comme le second titulaire ne pourrait tenir son droit que du Gouvernement, de même le second usufruitier ne peut tenir le sien que du testateur : et de là résultent deux conséquences qu'il faut bien remarquer:

311. La première; que, quand c'est par disposition testamentaire que l'usufruit est établi sur deux têtes, il est nécessaire que le légataire appelé en second ordre soit déjà lui-même au moins conçu au moment du décès du testateur, puisque c'est directement de celui-ci qu'il doit recevoir son legs, et que c'est là une condition à laquelle la loi (906) subordonne la validité des dispositions de cette nature.

312.

La seconde; que, si c'est par acte entre-vifs que l'usufruit est établi sur la tête de deux personnes étrangères l'une à l'autre, il faut aussi que les deux donataires soient déjà existans au moment de la donation (906), et que la libéralité soit acceptée par les deux, ou au nom des deux, puisqu'elle doit être directement faite au profit de l'un et de l'autre.

Nous disons de deux personnes étrangères l'une 'à l'autre, parce que, comme nous le verrons plus bas, les mêmes principes ne sont pas applicables, en tout, au cas où un droit d'usufruit aurait été stipulé par quelqu'un tant pour lui que pour ses héritiers.

TROISIÈME QUESTION.

313. Peut-on léguer un droit d'usufruit à quelqu'un tant pour lui que pour ses héritiers? quelle est la nature d'une pareille disposition; et quels doivent en être les effets?

Et d'abord, quelle est la nature d'une pareille disposition? renferme-t-elle une substitution vulgaire, ou, en d'autres termes, ces mots pour lui et ses héritiers doivent-ils être entendus dans le même sens que s'il y avait pour lui et à son défaut pour ses héritiers, en sorte que si le légataire nommé vienne à mourir avant le testateur, ses héritiers soient appelés à recueillir le legs ou bien le testateur n'est-il censé avoir fait mention des héritiers que parce qu'il a prévu que son bienfait leur serait transmis par le légataire en nom propre, cas auquel toute la disposition serait caduque s'il venait à mourir avant le testateur?

514. Il y a des auteurs qui ont prétendu qu'il fallait faire, à cet égard, une distinction entre le legs de propriété et celui d'usufruit : que si le legs de propriété a été fait avec cette clause, pour lui et ses héritiers, sans exprimer autrement une substitution vulgaire au profit de ceux-ci, et que le légataire vienne à mourir avant le testateur, le legs se trouve caduc, même dans l'intérêt des héritiers survivans, auxquels il n'a pu le transmettre, parce qu'il ne l'avait pas recueilli : qu'au contraire, si c'est un droit d'usufruit qui ait été légué à quelqu'un, pour lui et ses héritiers, l'usufruit doit être alors considéré comme une

rente viagère établie sur plusieurs têtes, parce qu'il y a plusieurs droits personnels et conséquemment plusieurs usufruits (1), en sorte qu'il ne devient caduc que relativement à la personne du légataire qui prédécède, et qu'il peut être demandé par son héritier qui a survécu.

La raison de cette différence, disent-ils, est fondée sur ce que, dans toute disposition, les termes doivent être appréciés suivant la nature des choses dont il s'agit, secundùm subjectam materiem; or, dans le legs de propriété, l'objet de la disposition est un, et il est essentiellement transmissible par la voie de l'hérédité; d'où il résulte que ces mots pour ses héritiers n'expriment qu'une chose qui, sans eux, serait déjà sous-entendue, et n'ajoutent conséquemment rien à la disposition : qu'au contraire, dans le legs d'usufruit fait à quelqu'un tant pour lui que pour ses héritiers, on ne peut pas dire que ces derniers mots ne signifient qu'une chose qui, sans eux, aurait été sous-entendue; on ne peut donc pas dire qu'ils n'ajoutent rien à la disposition : on doit bien plutôt les considérer comme dispositifs envers les héritiers du légataire, par la raison que le droit d'usufruit n'étant pas transmissible aux héritiers, le testateur ne peut les avoir nommés que dans l'intention de les appeler à recueillir son bienfait à défaut de leur auteur, ou après lui, comme dans le cas de la rente viagère établie sur plusieurs têtes (2).

(1) L. 38, S. 12, ff. de verb. obligat., lib. 45, tit. 1. (2) V. dans GRIVEL, déc. 18, n.° 46 et 47; dans. Voet,

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