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315. Mais on trouve dans le journal du Palais, tome 1, page 124, une savante dissertation par laquelle l'auteur fait voir que cette clause, pour lui et ses héritiers, renferme une substitution vulgaire, aussi bien quand il s'agit du legs de propriété, que quand il n'est question que d'une disposition en usufruit.

Cependant il y a cette différence entre l'un et l'autre de ces legs, que, dans celui de propriété, l'acceptation faite par le premier légataire fait évanouir la vocation de ses héritiers, tandis qu'il en est autrement dans le legs d'usufruit, ainsi que nous allons l'expliquer.

316. A l'égard des effets qui doivent résulter du legs d'usufruit, fait à quelqu'un tant pour lui que pour ses héritiers, on doit déjà les pressentir par ce qui a été dit sur la question précédente : car du moment qu'on peut, en général, établir un droit d'usufruit sur plusieurs têtes, ou au profit de plusieurs personnes qui en seront revêtues l'une après l'autre, il n'y aurait pas de motif pour soutenir que l'héritier du premier usufruitier ne peut, comme tout autre, être appelé à en jouir après lui.

La seule différence qu'on puisse reconnaître entre le cas où l'usufruit a été établi sur plusieurs têtes étrangères l'une à l'autre, et celui où il a été légué à quelqu'un tant pour lui que pour ses héritiers, consiste en ce que, dans le premier cas, toutes les personnes appelées à jouir

quando dies legat. ced., lib. 36, tit. 2, n.o 1 in fine; dans JOANNES A SANDE, decis. Fris., lib. 4, tit. 4, déf. 11, et les auteurs par lui cités.

de l'usufruit sont en noms propres ou nominativement désignées dans la disposition; tandis que, dans le second cas, ce n'est que par l'expression du nom commun d'héritiers, que les appelés en second ordre se trouvent indiqués par le testateur.

Il est donc hors de doute qu'on peut valablement léguer un droit d'usufruit à quelqu'un tant pour lui que pour ses héritiers, et la loi romaine le décide formellement ainsi : Repeti potest legatus ususfructus amissus qualicumque ratione: dummodò non morte: nisi fortè hæredibus legaverit (1).

317. Actuellement, pour apprécier les effets particuliers de ce legs, il faut se rappeler ce que nous avons établi plus haut sur la nature de l'usufruit, c'est-à-dire qu'il est une propriété essentiellement temporaire et intransmissible héréditairement.

L'usufruit est essentiellement temporaire; donc le mot héritiers ne doit être ici entendu que de l'héritier ou des héritiers en premier degré du premier usufruitier, comme le décide la loi romaine (2): car, si le bénéfice de ce legs devait passer aux héritiers du second degré, sans qu'ils y fussent nominativement appelés, ceux du troisième degré, et ainsi de suite, devraient avoir le même avantage, parce que le mot heritiers convient à tous également; en sorte que

(1) L. 5, ff. quibus modis ususfruct. amittat., lib. 7,

tit. 4.

(2) L. 14, cod. de usufructu, lib. 3, tit. 33.

l'usufruit deviendrait perpétuel, ce qui ne peut être.

Ainsi, quoiqu'en thèse générale l'expression 'héritiers s'entende des successeurs de tous les degrés indéfiniment, la force des choses veut qu'elle ne soit applicable ici qu'à ceux qui succèdent immédiatement en premier degré.

Il y a plus; cette dénomination ne doit pas même être prise dans toute sa latitude, pour l'appliquer à toutes sortes de successeurs, comme lorsqu'il s'agit d'une stipulation consentie au profit de quelqu'un et de ses héritiers; parce que c'est un point de doctrine constant, enseigné par les auteurs (1) et fondé sur les textes du droit, que quand il s'agit d'une libéralité faite par testament au profit de quelqu'un et de ses héritiers, quelque générale que soit cette dernière dénomination, elle doit être restreinte suivant la nature du sujet qui forme l'objet de la disposition; et qu'il n'y a pas de sujet dans lequel cette restriction soit plus impérieusement commandée que dans celui qui nous occupe, puisqu'il faut tout à la fois prolonger l'asservissement du fonds grevé d'usufruit, et faire passer, contre la règle commune, l'exercice de cette servitude d'une tête à l'autre. Le mot héritiers doit donc être ici borné aux enfans et descendans du légataire : comme autrefois lorsqu'il s'agissait d'une substitution fideicommissaire dont un légataire était grevé en faveur d'un étranger, pour le cas où il ne laissait d'héritiers.

pas

(1) Voy. entr'autres dans GUYPAPE, quest. 306 et 457; et dans GRIVEL, décis. 18, n.o 6 et suiv.

318. S'il s'agissait d'une convention ayant pour objet un droit de propriété, convention acceptée par quelqu'un tant pour lui que pour ses héritiers, ou d'un legs de propriété fait à quelqu'un tant pour lui que pour ses héritiers, il faudrait invoquer d'autres principes, et dire que tous les successeurs de l'acquéreur ou du légataire seraient indistinctement appelés à profiter de la chose acquise, puisqu'ils la trouveraient dans le patrimoine qu'il aurait voulu leur laisser : mais dans le legs d'usufruit fait à quelqu'un tant pour lui que pour ses héritiers, il en est tout autrement: ici les héritiers appelés en second ordre ne trouvent pas leur droit d'usufruit dans la succession de leur auteur; ils ne sont pas héritiers dans cet usufruit; ils en sont seulement légataires, et ne le tiennent que du testateur: reste donc la question de volonté pour savoir quelles sont les personnes que le testateur peut être raisonnablement présumé avoir entendues par le mot héritiers: or, comme il s'agit ici de l'exécution d'une disposition qui sort totalement des règles du droit commun, la raison nous dit que le mot héritiers ne doit y être pris que dans un sens le plus rigoureusement étroit, et qu'en conséquence il ne doit être appliqué qu'à ceux envers lesquels le testateur peut être présumé avoir eu le même degré de bienveillance qu'il avait pour le premier usufruitier, ce qui ne peut convenir qu'aux enfans et descendans de celui-ci.

Ainsi, on ne doit point appliquer cette dénomination au légataire universel du premier usufruitier,

parce que ce serait user d'une impropriété de terme, pour étendre au-delà de ses limites naturelles une disposition qu'on doit au contraire restreindre autant que possible.

Ainsi, on ne doit point appliquer cette dis position aux ascendans de l'usufruitier, qui pourraient accidentellement lui succéder, parce qu'en accordant un simple droit de survivance, le testateur doit être présumé n'avoir eu en vue que ceux qui, suivant l'ordre naturel des mortalités, devaient survivre au premier usufruitier.

Ainsi enfin, les collatéraux ne doivent point participer au bienfait de cette disposition, parce que l'éloignement où ils peuvent se trouver, doit les faire considérer tous, comme étrangers à la pensée du testateur : Si quis ita fideicommissum reliquerit: « Fidei tuæ, fili, commitio, ut si » ali no hærede moriaris, restituas Seio hæredi»tatem: » videri eum de liberis sensisse divus Pius rescripsit. Et ideò, cùm quidam sine liberis decederet, avunculum ab intestato bonorum possessorem habens, extitisse conditionem fideicommissi rescripsit (1).

319. Lorsqu'un homme a fait un legs d'usufruit à quelqu'un tant pour lui que pour ses héritiers, et qu'on en est à examiner quels doivent être les droits de ceux-ci dans ce legs, il ne faut pas croire que le testateur soit présumé avoir voulu subordonner l'exécution de son bienfait envers ces seconds légataires, à l'acceptation qu'ils seraient tenus de faire de la succession de leur

(1) L. 17, §. 8, ff. ad Senat. - Consult. Trebell., lib. 36, tit. I.

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