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584. II. L'empereur Justinien avait défini le legs, donatio quædam à defuncto relicta et ab hærede præstanda (1). De ces dernières expressions on a tiré cette conséquence qu'il n'appartenait point au légataire de se mettre lui-même en possession de la chose léguée; et dès-lors il a été reçu (2), comme une règle constante en jurisprudence, règle qui se trouve formellement consignée dans notre code actuel (1011 et 1014), que tout légataire, autre que le légataire universel (1006), doit obtenir des mains de l'héritier la délivrance de son legs, comme si l'acte de libéralité était essentiellement subordonné à cette condition; en sorte que toute entrée en jouissance de la part du légataire qui n'aurait agi que par sa propre autorité, ne peut être considérée que comme une voie de fait incapable de servir de fondement à une possession légitime, et contre łaquelle l'héritier est fondé à s'élever et à agir, pour obtenir lui-même sa réintégrande et la restitution de toutes choses dans leur état primitif, sauf au légataire à mieux agir ensuite, par une demande régulière en délivrance: redigit igitur ad hæredem, per hoc interdictum, ea quæ legatorum nomine possidentur; ut perindè legatarii possint, eum convenire (3). La nécessité de procéder ainsi est fondée sur ce que l'héritier peut avoir des exceptions à faire valoir contre la validité du legs; qu'il peut être en droit d'en retenir une partie pour l'acquit de sa réserve

(1) Instit., §. I, ff. de legat., lib. 2, tit. 20.
(2) Voy. l'art. 73 de l'ordonnance de 1735.
(3) L. 1, §. 2, ff. quod legat., lib. 43, tit. 3.

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légale; qu'il est possible que les dettes absorbent les forces de la succession, et qu'en conséquence il ne soit rien dû au légataire; et sur ce que, dans tous les cas, il serait contraire au bon ordre que le légataire fût admis à se rendre justice à lui-même : Hoc interdictum vulgò quod legatorum appellatur. Est autem et ipsum adipiscendæ possessionis, et continet hanc causam ut quod quis legatorum nomine non ex voluntate hæredis occupavit, id restituat hæredi. Etenim æquissimum Prætori visum est, unumquemque non sibi ipsum jus dicere occupatis legatis, sed ab hærede petere (1). Et comme le testateur ne peut ni déroger à la loi qui donne la saisine à l'héritier, ni placer son légataire audessus de cette règle d'ordre public, qui veut que personne ne puisse se rendre justice à soimême, de là les auteurs (2) concluent qu'il ne lui serait pas permis de le dispenser de l'obligation de demander la délivrance de son legs.

De ce que la possession du légataire est illégitime, lorsqu'il ne la tient que de sa propre entremise, il faut conclure qu'il est passible des dommages et intérêts que l'héritier peut ressentir de cette voie de fait, et qu'il est tenu de la restitution des fruits, comme l'enseignent les

(1) Ibid.

(2) Voy. dans TOULLIER, liv. 3, tit. 2, chap. 5, n° 540; dans POTHIER, des donations testament., chap. 5, sect. 2, §. 2; - dans le Répertoire, au mot legataire, S. 1, n.o 3.

auteurs (1), et comme cela résulte de la disposition du code, qui veut que les fruits ne soient dus au légataire que du jour de sa demande en délivrance, ou du jour auquel cette délivrance lui aura été volontairement consentie (1014). 385. La délivrance d'un legs peut avoir lieu soit d'une manière expresse, soit d'une manière tacite, puisqu'aux termes du code, il suffit qu'elle ait été consentie par l'héritier, et que d'ailleurs c'est un principe constant dans tous les temps, que notre consentement à l'exécution d'une chose peut être manifesté tacitement par des faits qui font connaître notre intention, aussi bien que par des paroles ou de l'écriture. Et la loi romaine le décidait déjà formellement

ainsi.

Elle a lieu expressément si le légataire prend possession par suite du consentement déclaré à ce sujet, par paroles, ou par écrits émanés de l'héritier.

Elle a lieu tacitement, par tout fait quelconque qui suppose dans l'héritier la volonté d'exécuter le testament envers le légataire, comme encore lorsqu'au vu et su de l'héritier qui ne contredit point, le légataire se met lui-même en possession, ou continue (2) celle qu'il avait déjà : Omnium prædiorum jure legati potest constitui

(1) Voy. dans SoтOMAYOR, de usufructu, cap. 16, n.o 15; — dans POTHIER, des donations testament., chap. 5, sect. 2, §. 2, et sect. 3, S. 8; dans TOULLIER, sur les dispositions testament., liv. 3, tit. 2, chap. 5, n.° 544.

(2) L. 1, §. 15, ff. quod legat., lib. 43, tit. 3.

ususfructus, ut hæres jubeatur dare alicui usumfructum: dare autem intelligitur si induxerit in fundum legatarium, eumve patiatur utifrui (1).

Ainsi la délivrance de l'usufruit des immeubles sera tacitement opérée par la remise des clefs, s'il s'agit de bâtimens, ou par celle des titres de propriété, s'il s'agit de toute autre espèce de fonds (1606): celle de l'usufruit du mobilier sera tacitement opérée par la tradition réelle, ou par la remise des clefs du bâtiment qui les contient (1606): celle de l'usufruit des créances, par la remise des titres entre les mains de l'usufruitier (1607 et 1689).

Ainsi la délivrance du legs d'usufruit sera, en général, censée tacitement faite envers tout légataire dont le titre ne sera pas contesté et qui aura pris possession au vu et su de l'héritier, et sans réclamation de sa part (2).

Ainsi l'héritier de la loi qui reçoit, de la part d'un légataire à titre universel, le payement d'un legs dont celui-ci a été chargé envers lui, consent tacitement la délivrance du legs à titre universel, en consentant, par le fait, à l'exécution du testament.

586. Ainsi, à l'égard du débiteur auquel on a légué sa libération (3); à l'égard du fermier auquel on a légué l'usufruit du domaine qu'il tenait à ferme ; à l'égard du dépositaire auquel on a légué la jouissance de la chose déposée ; à l'é

I.

(1) L. 3, ff. de usufr., lib. 7, tit. 1.
(2) L. 2, cod. de acquirendá possess., lib. 7, tit. 32.
(3) L. 1, §. 2, ff. ut in possess. legat., lib. 36, tit. 4.

gard du créancier légataire de l'usufruit du fonds qu'il tenait par antichrèse; à l'égard du mari légataire de l'usufruit des biens de son épouse, et de tous autres qui se trouveraient déjà en possession de la chose par acte émané de la volonté du testateur, la délivrance du legs sera censée tacitement faite, par cela seul que, sans le contester, l'héritier aura laissé le légataire dans la paisible jouissance des choses qu'il avait déjà en son pouvoir (1606, §. 3): dans ces divers cas, dit Pothier (1), il suffit au légataire de retenir la chose, car ce serait un circuit inutile qu'il la rendît à l'héritier pour la luiredemander de suite. 387. III. Lorsque la délivrance du legs n'est pas volontairement consentie, le légataire a trois actions à exercer pour arriver à son but, l'une personnelle et les autres réelles ; et comme la libéralité doit être acquittée en son entier, la loi veut que les frais de la demande en délivrance soient à la charge de la succession (1016).

il se

Du moment qu'un héritier accepte une succession, il se forme entre lui et les légataires, par ce seul acte d'acceptation, un quasi-contrat par lequel il s'oblige personnellement à accomplir envers eux les volontés du défunt; trouve à leur égard, comme s'ils avaient contracté ensemble, avec cette différence néanmoins que dans les obligations qui naissent des conventions, le débiteur doit offrir à son créancier ce qui lui est dû, tandis que l'héritier n'est ja

(1) Traité des donations testament., chap. 5, sect. 2, S. 2;-voy. aussi dans le Répert., verbo légataire, §. 5, n.° 7.

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