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les deux légataires devraient également demander la délivrance, et chacun d'eux dans son intérêt personnel.

Si le légataire de l'usufruit formait seul cette demande, l'héritier resterait toujours en possession du fonds quant à la propriété, puisqu'il n'en aurait pas été dessaisi envers l'autre légataire qui aurait gardé le silence.

Le légataire de la nue propriété doit donc aussi se hâter de demander la délivrance de son chef, attendu que la possession, en tant qu'elle s'applique au fonds, resterait toujours entre les mains de l'héritier, nonobstant la délivrance de l'usufruit, et qu'ainsi la prescription pourrait s'opérer au préjudice du legs de propriété; et attendu encore que, sous un autre point de vue, ce légataire est intéressé à obtenir la chose pour en jouir lui-même si le légataire de l'usufruit n'accepte pas, ou pour le surveiller dans sa jouissance, s'il accepte.

393. Le code n'ayant accordé la saisine qu'aux héritiers de la loi (724) et au légataire universel de tous les biens (1006) lorsqu'il ne se trouve en concurrence avec aucun héritier de la réserve, il faut en conclure que tous autres légataires soit de propriété, soit d'usufruit, même celui auquel on aurait légué la jouissance générale de tous les biens, ne sont point saisis, et qu'ils sont tous également obligés à la demande en délivrance pour pouvoir entrer en possession.

Mais tous sont-ils aussi soumis à la même règle sur la répétition des fruits?

La règle générale est que le légataire de la

propriété du fonds ne peut exiger le rapport des fruits que du jour de la demande en délivrance de son legs, et que ceux qui ont été auparavant percus en temps opportun, par l'héritier qui avait la saisine, doivent rester à celui-ci.

Nous disons que c'est là la règle générale, parce qu'on doit l'appliquer à tous les fruits ordinaires, c'est-à-dire à tous les fruits annuels qui ont une époque fixe de maturité, tel que le produit des champs et des vignes. Mais, lorsqu'il s'agit de coupes de bois, qui sont aussi des fruits, nous ne croyons pas que cette règle doive leur être appliquée sans quelques tempéramens.

On ne peut, en effet, s'empêcher de reconnaître une grande différence entre ce dernier genre de fruits et les autres.

Quand il s'agit de fruits ordinaires, quoiqu'accessoirement immeubles tant qu'ils tiennent au fonds, ils sont néanmoins plutôt meubles par leur nature, comme ne pouvant avoir qu'une cohérence très-passagère et très-courte avec le sol; et si l'héritier qui est en possession n'avait pas le droit de les recueillir lorsque l'époque de la maturité est arrivée et que le légataire pas encore présenté pour demander son legs, ils seraient exposés à périr.

ne s'est

:

Il n'en est pas de même des coupes de bois : ici le fruit tient plus intimement au fonds il est immeuble par le voeu de la nature elle-même qui ne lui assigne aucune époque de maturité où il doive être détaché du sol, sous peine d'en souffrir la perte : il ne représente point la mince

valeur d'un produit annuellement perçu, et renaissant annuellement : il est le résultat des efforts de la nature, prolongés pendant bien des années; et souvent la valeur d'une coupe de bois excède la valeur même du sol sur lequel elle est exploitée.

Nous croyons donc que l'héritier qui se serait pressé d'exploiter la forêt avant la demande en délivrance du legs qui en aurait été fait au profit d'un autre, devrait être passible du rapport de la valeur de la coupe, et que, pour qu'il pût être soustrait à ce rapport, il faudrait que le légataire eût négligé de former sa demande pendant assez de temps pour qu'on pût dire qu'en suivant l'aménagement de coupes établi sur la forêt, il eût évidemment et largement laissé passer, en silence, l'époque à laquelle l'exploitation devait être faite.

Quoi qu'il en soit, et pour en revenir à l'objet que nous nous proposons plus directement, il est constant que le légataire de la propriété ne peut exiger le rapport des fruits ordinaires que du jour de sa demande en délivrance: mais cette règle s'applique-t-elle également au légataire de l'usufruit? Celui-ci, en ouvrant son action plus ou moins tard, n'est-il pas en droit de répéter les jouissances rétroactivement et à dater de la mort du testateur?

Telle est la question importante qui se présente ici à notre examen.

394. Pour soutenir que le légataire de l'usufruit est fondé à exiger le rapport des jouissances dès le jour du décès du testateur, on peut dire qu'il

y a sur ce point une grande différence entre le legs de la propriété et celui de l'usufruit; que dans le legs de la propriété, les fruits ne font aucunement partie de sa libéralité; qu'ils ne sont que l'accessoire de la possession; qu'ils doivent par conséquent rester à l'héritier qui jouissait du fonds, et dont la possession paisiblement exercée en vertu de sa saisine, était nécessairement légitime; qu'ainsi, en laissant à ce possesseur les fruits perçus avant la demande en délivrance, et en n'accordant au légataire que ceux qui sont échus depuis l'ouverture de son action, cela n'empêche pas qu'on ne livre réellement à celui-ci toute la chose qui lui a été léguée: mais qu'il en doit être autrement dans le legs d'usufruit, parce qu'ici les fruits sont l'objet même de la disposition; qu'en conséquence, si on ne les adjugeait pas dès le moment de la mort du testateur, on refuserait par là même au légataire une partie de la chose qui lui a été léguée: ex rebus donatis fructus perceptus in rationem donationis non computatur. Si verò non fundum, sed fructús perceptionem tibi donem; fructus percepti venient in computationem donationis (1); qu'ainsi et par la nature de la disposition même, nous sommes forcés de remonter à l'époque du décès du testateur pour donner une entière exécution à sa libéralité; que le texte positif de la loi est ici d'accord avec les principes du raisonnement, puisqu'aux termes de l'article 585 du code, les fruits pendans par

(1) L. 9, §. 1, ff. de donation., lib. 39, tit. 5.

racines au moment où l'usufruit est ouvert, appartiennent à l'usufruitier; et que, suivant l'article 604, le retard où il peut être de donner caution ne le prive pas du droit de répéter les fruits dès le moment de l'ouverture de son droit, c'est-à-dire dès l'instant de la mort du testateur; que, si le légataire de l'usufruit est toujours tenu de demander la délivrance, il ne résulte pas de là, comme une conséquence nécessaire, que les fruits perçus par l'héritier avant cette demande, doivent lui rester, puisqu'ils ne lui restent pas vis-à-vis du légataire universel qui demande la délivrance dans l'année du décès (1005); qu'enfin ils ne doivent pas lui rester non plus vis-à-vis du légataire d'usufruit, du moment que la loi veut que celui-ci les obtienne dès l'époque de l'ouverture de son usufruit.

395. Nonobstant tous ces raisonnemens, nous croyons qu'il est plus conforme aux véritables principes de la matière, de soumettre le légataire de l'usufruit à la règle générale, en ne lui accordant le rapport des fruits que du jour de sa demande en délivrance.

Pour expliquer, le mieux qu'il nous sera possible, les motifs de cette décision, nous examinerons la question soit dans les principes du droit romain, soit dans ceux de l'ancienne jurisprudence française, soit enfin dans ceux de notre code actuel, et nous répondrons ensuite aux objections contenues dans ce qui vient d'être dit.

Et d'abord, en remontant aux principes éta

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