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blis par les lois romaines sur cette matière, nous voyons que, suivant leurs dispositions, l'usufruit n'était pas une chose qui consistât seulement dans le droit, mais beaucoup dans le fait. Le droit d'usufruit n'y était pas considéré comme un droit instantané, mais comme un droit successif, tellement rattaché à la perception des fruits, qu'il était censé annuellement légué à mesure que cette perception devait avoir lieu, en sorte que le droit d'accroissement était admis entre les colégataires, même après qu'ils avaient tous accepté le legs et qu'ils avaient joui chacun de leurs parts: ususfructus quotidiè constituitur et legatur; non ut proprietas, eo solo tempore quo vindicatur. Cùm primùm itaque non inveniat alter eum qui sibi concurrat, solus utitur in totum (1). Aussi telle était la condition de tout usufruitier, qu'il n'acquérait les fruits qu'autant qu'il les avait perçus ou par lui-même, ou par la main d'un autre qui les aurait recueillis de sa part: Julianus ait, fructuarii fructus tunc fieri, cùm eos perceperit: bona fidei autem possessoris, mox cùm à solo separati sint (2). Et les Romains portaient, à cet égard, le scrupule si loin qu'ils n'accordaient pas même à l'usufruitier, après sa mise en possession, la faculté de Revendiquer directement les fruits qu'un voleur aurait détachés du fonds avant la récolte; en sorte qu'il n'y avait que le propriétaire du fonds

(1) L. 1, §. 3, ff. de usufruct. adcrescend., lib. 7, tit. 2. (2) L. 13, ff. quibus modis ususfruct, amitt., lib. 7, tit. 4.

qui eût le droit de faire cette répétition en nature, et que l'usufruitier était réduit à une simple action en dommages et intérêts, par la raison que, n'ayant pas perçu lui-même les fruits, ils ne pouvaient être les siens : Si fur decerpserit, vel desecuerit fructus maturos pendentes, cui condictione teneatur; domino fundi an fructuario? Et puto, quoniam fructus non fiunt fructuarii, nisi ab eo percipiantur, licèt ab alio è terrá separentur, magis proprietario condictionem competere: fructuario autem furti actionem, quoniam interfuit ejus fructus non esse ablatos (1). On conçoit aisément que, dans ce système de législation, qui n'accordait à l'usufruitier la propriété des fruits qu'autant qu'il les avait perçus lui-même, quoiqu'il fût déjà en possession, il ne pouvait être question d'aucun rapport de jouissance à faire au légataire de l'usufruit pour le temps antérieur à la demande en délivrance de son legs, et lorsque l'héritier n'avait point été constitué en demeure: c'est aussi ce qui résulte positivement d'une décision d'Ulpien Opera testamento relicta quandò cedere debeant? utrùm ex quo petit eas legatarius, an ex quo adita hæreditas est? et cui pereant dies quibus æger servus fuit? Et puto ex die petitionis cedere: quare si post petitas æger servus esse coeperit, legatario peribunt (2); mais comme les droits de celui qui forme une demande juste, doivent toujours être reportés à l'époque de

(1) L. 12, §. 5, ff. de usufruct., lib. 7, tit. 1. (2) L. 7, ff. de usufruct. legat., lib. 33, tit. 2.

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TOM. I.

l'ouverture de son action, il en résulte que, si le légataire d'usufruit vient à mourir avant d'avoir obtenu la délivrance par lui réclamée, il transmet à ses héritiers, le droit aux fruits perçus ou échus dès le moment où il avait constitué l'héritier en demeure: Cui illud consequens esse, ut si ipse Titius (legatarius) moriatur, similiter ex eo tempore, quo mora sit facta, in diem mortis æstimatio ususfructus hæredi ejus præstabitur (1).

On trouverait encore au besoin une décision positive à cet égard dans la loi 6, ff. de usufructu legato, portant textuellement que l'héritier n'est tenu à aucune indemnité de non-jouissance ou de restitution de fruits, pour le temps passé depuis la mort du testateur, qu'autant qu'il avait été constitué en demeure par le légataire de l'usufruit.

Il est donc bien constant que, suivant les principes du droit romain, le légataire de l'usufruit ne pouvait avoir droit aux fruits qu'à dater du jour où l'héritier avait été mis en demeure, par la demande en délivrance du legs.

396. Si de là nous passons aux usages français, nous trouvons qu'il y a d'abord eu de grandes controverses (2) sur le point de savoir si, en général, et dans les legs de propriété, les légataires pouvaient être recevables à exiger un rapport de fruits pour le temps antérieur à leur

(1) L. 36, §. 2, ff. de usufruct., lib. 7, tit. 1. (2) Voy. dans BRETONNIER, sur Henrys, liv. 4, chap. 6, quest. 64, tom. 2, pag. 438, 2.* édit. de 1771.

demande en délivrance. Les raisons de douter se tiraient de divers textes du droit romain, entre lesquels il serait difficile de ne pas voir quelques antinomies: mais toutes ces controverses avaient été écartées; et il était enfin reçu comme une règle constante, adoptée par l'article 40, titre 1 de l'ordonnance de 1747 pour les fideicommis; et par les tribunaux pour toutes espèces de legs, qu'en général (1) les fruits ne devaient être adjugés aux légataires que dès le jour de la demande en délivrance (2); mais il y quelque chose de plus positif encore, en ce qui concerne spécialement les dispositions en usufruit; car, si nous ouvrons les auteurs qui ont traité du douaire, c'est-à-dire du droit d'usufruit que les coutumes accordaient à la veuve sur une partie des biens du mari prédécédé, nous voyons que, dans celles de ces coutumes qui déclaraient la veuve saisie de son douaire, les fruits lui étaient dus dès le jour de l'ouverture de ce droit, et que, dans les autres, elle ne pouvait les exiger que du jour de la demande en délivrance: or, d'une part, le légataire de l'usufruit n'est jamais saisi, et, d'autre côté, son droit ne peut être plus privilégié que celui de la veuve donc il doit être soumis à la même règle.

(1) Voy. dans le nouveau Répertoire, verbo LEGS, 4, S. 3, n.o 27, tom. 7, pag. 339.

(2) Voy. encore dans BANNELIER, tom. 3

› pag. 318 et 319, édit. in-4.o; — dans CATELLAN, liv. 1, chap. 8; - dans BOURJON, des testamens, part. 4, chap. 3; - dans AUGEARD, tom. 2, pag. 297;- dans DOMAT, liv. 4, tit. 2, sect. 8.

Il est donc incontestable qu'en s'en rapportant soit aux dispositions de la loi romaine, soit à l'ancienne jurisprudence adoptée par les Tribunaux français, on ne doit adjuger au légataire de l'usufruit aucun rapport de jouissance pour le temps antérieur à la demande en délivrance de son legs.

Si la question n'est pas encore par-là pleinement décidée, on ne peut du moins disconvenir que ce ne soit déjà un grand préjugé pour nous amener à la même décision, sous notre législation actuelle, parce qu'on sait que les auteurs du code se sont sur-tout attachés à convertir en lois positives les usages constans déjà consacrés par la jurisprudence des Tribunaux: or, pour peu qu'on y réfléchisse, on sera bientôt convaincu qu'ils l'ont adoptée aussi cette jurisprudence sur le point particulier qui nous oc

cupe:

397. 1. Dans les principes du code, c'est l'héri

tier qui est saisi de la généralité des biens laissés par le défunt: nulle possession ne peut être plus légitime que celle-là, puisque c'est la loi ellemême qui l'accorde: nulle ne peut être fondée sur un titre plus puissant et plus juste, puisque ce titre c'est la loi; justè possidet qui auctore prætore possidet (1): l'héritier n'est point obligé d'aller chercher les légataires; il est nécessairement possesseur de bonne foi, tant que ceux-ci ne viennent pas le troubler, en manifestant par une demande régulière, la volonté où ils sont

(1) L. 11, ff. de acquirendâ possession. lib. 41, tit. 2.

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