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L'héritier est saisi à l'égard du légataire d'usufruit, comme à l'égard du légataire de la propriété entière: sa possession est également légitime envers l'un et l'autre ; il est également possesseur de bonne foi, tant qu'on ne l'a troublé par aucune demande qui lui fasse connaître que les légataires ont la volonté de profiter de leurs legs; et ceux-ci sont également soumis à l'obligation de demander la délivrance, pour pouvoir entrer légalement en possession: pourquoi donc ne subiraient-ils pas le même sort sur le gain des fruits? comment les conséquences ne seraientelles pas les mêmes là où tous les principes sont identiques?

Ecoutons Pothier s'expliquant sur cette question en rapports de fruits: voici comment il réfute les auteurs qui prétendaient qu'on devait adjuger au légataire ceux qui étaient pendans lors de l'ouverture du legs : « Il me paraît, dit-il, que >> c'est mal-à-propos que Ricard et Lebrun en >> exceptent ceux qui étaient pendans lors de » l'ouverture du legs; parce que, disent-ils, ils >> faisaient partie de l'héritage légué, et que l'hé>> ritier en les percevant a diminué cet héritage >> par son fait : la réponse, c'est que la règle qui >> charge l'héritier de la diminution arrivée par » son fait sur l'héritage légué, souffre exception, » lorsqu'il n'a fait qu'user du droit qu'il avait de » percevoir les fruits, comme juste possesseur. » La loi si pendentes 27, ff. de usufructu, ( ci>> dessus rapportée), sur laquelle il paraît que >> ces auteurs se fondent, n'a pas été par eux >> bien entendue : il est absolument nécessaire de

>> supposer que, dans l'espèce de cette loi, le lé>> gataire avait la délivrance de son legs, et était >> entré en jouissance de l'héritage avant la ré>> colte; puisque, suivant les principes du droit >> romain les plus connus, les fruits n'étaient » acquis à l'usufruitier que lorsqu'ils avaient » été perçus par lui ou par quelqu'un de son » ordre, loi 13, ff. quemadmodùm ususfructus » amitt. La seule question de la loi était de sa>> voir si l'usufruitier, quoiqu'entré en posses>>sion avant la récolte, avait droit de percevoir » les fruits qui étaient venus à maturité par les » soins du défunt et non par les siens. » (1). L'auteur du Répertoire, au mot legs, sect. 5, §. 1, n.o 34, adopte entièrement le sentiment et les raisons de Pothier.

Il résulte de tout cela que la disposition du code, suivant laquelle les fruits pendans par racines au moment où l'usufruit est ouvert sont dévolus à l'usufruitier, n'est point introductive d'un droit nouveau, puisqu'elle est absolument conforme à la loi ancienne : il en résulte qu'aujourd'hui comme anciennement, les fruits dont il s'agit ne doivent être adjugés au légataire qu'autant qu'il aurait demandé la délivrance de son legs, avant la récolte, puisqu'aujourd'hui comme anciennement l'exercice de ses droits est subordonné à cette demande.

400. En un mot, il ne faut pas faire dire à l'ar

ticle 585 ce qu'il ne dit point: il ne faut pas l'étendre au-delà de ses termes, et sur-tout il ne

(1) POTHIER, sur la coutume d'Orléans, pag. 514.

faut

pas lui donner une extension qui le mette en contradiction avec l'article 1014. L'article

585 porte bien que les fruits pendans par racines au moment où l'usufruit est ouvert, appartiennent à l'usufruitier; mais il ne dit pas que ce droit du légataire n'est subordonné à aucun devoir à remplir de sa part; il ne dit pas que l'usufruitier pourra les percevoir sans avoir préalablement demandé la délivrance de son legs : il ne l'affranchit donc point de cette obligation qui lui est imposée par l'article 1014, pour qu'il puisse réellement gagner les fruits; il faut done toujours qu'il se conforme à la condition prescrite par ce dernier article, pour obtenir les avantages accordés par le premier; et, tant qu'il pas satisfait à ce devoir, il ne peut se plaindre que de sa propre négligence. Que, si c'est par quelques événemens imprévus qu'il a été empêché de former sa demande, il se trouve alors dans un cas extraordinaire dont la loi ne s'occupe pas, et pour lequel elle n'a pas dû faire fléchir la règle générale.

n'a

401. On oppose, en troisième lieu, la disposition de l'art 604, portant que « le retard de donner >> caution ne prive pas l'usufruitier des fruits >> auxquels il peut avoir droit, et qu'ils lui sont » dus du moment où l'usufruit a été ouvert. >> D'où l'on voudrait conclure qu'ils doivent lui être adjugés même pour le temps qui a précédé la demande en délivrance du legs.

A les bien entendre, les dernières expressions de cet article n'ajoutent rien à ce qui est porté dans l'article 585; car, dire que les fruits pen

dans par racines au moment de l'ouverture du droit d'usufruit, appartiennent à l'usufruitier, ou dire que les fruits lui sont dus dès cette époque, ce n'est exprimer que la même chose en termes différens. La réponse que nous venons de donner à l'objection précédente s'applique donc, avec toute sa force, à celle-ci nous, pourrions par conséquent nous contenter de dire, sur cet article comme sur l'article 585, que, si les fruits sont dus au légataire dès le moment de l'ouverture de son droit, ce n'est qu'autant qu'il aura satisfait au devoir que l'article 1014 lui impose d'en demander la délivrance. Néanmoins nous ajouterons encore quelques réflexions propres à dissiper tous les doutes, s'il pouvait en rester (1)

En déclarant que le retard de donner caution ne prive pas l'usufruitier des fruits auxquels il peut avoir droit, et qui lui sont dus dès le moment où l'usufruit est ouvert, les auteurs du code se proposaient-ils de décider qu'un légataire d'usufruit n'est pas soumis à la loi commune sur la nécessité de la demande en délivrance? Il est évident que non, puisqu'ils ne l'ont pas dit, et que d'ailleurs, en rédigeant l'article 1014, ils n'ont voulu y consigner aucune exception pour lui sur la nécessité de cette demande; ils ont donc voulu et ils ont voulu seulement décider que le retard de donner caution ne pourrait préjudicier à ses droits :

(1) Voy. encore sur le véritable sens de l'art. 585, d'autres développemens au chapitre 35, sous le no 1654.

or, en refusant au légataire les fruits échus avant la demande en délivrance, ce n'est pas par le retard involontaire de fournir une caution, mais bien par le retard volontaire de former sa demande, qu'il éprouve cette privation; ce qui se rapporte toujours au système général du code sur cette matière.

Suivant la loi romaine, le légataire d'usufruit n'était pas même recevable à ouvrir son action en délivrance, pour faire courir les droits de jouissance à son profit, avant d'avoir satisfait à l'obligation du cautionnement: Si ususfructus legatus sit, non priùs dandam actionem usufructuario, quàm satis dederit, se boni viri arbitratu usurumfruiturum (1).

Voilà ce que les auteurs du code ont voulu abroger. Ainsi, sans dispenser le légataire d'usufruit du devoir qu'ils ont imposé à tout légagataire particulier sur la demande en délivrance, pour avoir droit aux fruits, ils ont néanmoins voulu s'écarter de la rigueur de la loi ancienne, en ce qu'elle ne permettait pas même à l'usufruitier d'ouvrir son action sans avoir, au préalable, fourni son cautionnement: voilà toute la conséquence qu'il est permis de tirer de l'article précité.

Veut-on une autre preuve encore que les auteurs du code, parlant des avantages et des devoirs qui naissent de l'ouverture du droit d'usufruit, ont toujours voulu que l'exercice en fût subordonné à la mise en possession de l'usufrui

(1) L. 13, ff. de usufruct., lib. 7, tit. 1.

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