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tances qui les avaient fait naître; comme on n'en retrouve aucun vestige dans le code, dont la disposition générale doit plutôt être expliquée et interprétée par les usages qui, dans tous les temps, avaient été généralement reçus et respectés en France, il faut en conclure qu'aujourd'hui la condition de ne pas se remarier serait valablement apposée dans un legs soit de propriété, soit d'usufruit, fait par un des époux au profit de l'autre.

410.

Nous trouvons même dans les articles 206 et 386, deux dispositions qui supposent que la condition dont il s'agit ne doit pas être regardée comme contraire à notre législation actuelle. Par la première, l'obligation où sont les gendres et belles-filles de fournir des alimens à leur belle-mère, cesse dès que celle-ci, devenue veuve, convole à secondes noces par la seconde, le droit d'usufruit légal de la mère sur les biens de ses enfans mineurs de dix-huit ans, est déclaré éteint, dès qu'elle contracte un nouveau mariage or la loi ne peut pas réprouver dans la disposition de l'homme une condition qu'elle appose elle-même à sa propre libéralité : donc la condition de ne pas se remarier n'a rien de contraire à nos lois.

411. Il faut observer que la condition de viduité, apposée au legs qu'un des époux fait au profit de l'autre, peut être conçue de deux manières et en deux sens bien différens; car elle peut être exprimée par forme de condition résolutoire simplement, ou par forme de prohibition absolue des secondes noces.

Elle est conçue par forme de condition résolutoire seulement, lorsque, par exemple, un mari lègue l'usufruit de ses biens à sa femme, pour en jouir durant sa viduité, ou autant de temps qu'elle se contiendra en viduité: dans ce cas, la veuve est en droit d'entrer en jouissance, après la mort du mari, comme si le legs était pur et simple; et si elle vient à se remarier, son usufruit prend fin dès l'instant de son convol, sans qu'elle soit obligée à la restitution d'aucuns fruits par elle antérieurement percus.

Elle est conçue par forme de prohibition absolue des secondes noces, lorsque, par exemple, le mari léguant l'usufruit de ses biens à son épouse, a déclaré qu'il ne lui faisait cette libéralité que sous la condition qu'elle ne se remarierait pas, ou qu'elle ne se remarierait en aucun temps, ou qu'elle ne convolerait jamais en secondes noces; ou en exprimant de toute autre manière, que sa veuve ne doit profiter du legs qu'autant qu'elle ne contractera aucun nouveau mariage.

Si une pareille condition devait être exécutée à la lettre, le legs d'usufruit deviendrait inutile, attendu que ce n'est qu'au décès de la veuve qu'il peut être constant qu'elle ne se remariera pas; mais il n'en est pas ainsi : le testateur ayant voulu faire une libéralité, on ne doit pas lui prêter deux volontés contraires, en supposant qu'il ait voulu que son legs fût sans effet: la légataire doit donc être admise à la jouissance de l'usufruit légué, puisqu'il est naturel d'admettre dans le testateur une prépondérance de

volonté sur l'exécution de son bienfait. 412. Cette hypothèse nous offre un exemple de la condition potestative, nonobstant laquelle les Romains admettaient le légataire à demander la délivrance de son legs, au moyen de la caution mucienne, par lui fournie, pour assurer la restitution de la chose léguée, et de tous les fruits qu'il en aurait perçus, en cas de contravention de sa part aux volontés du testateur: qui post mucianam cautionem interpositam legatum accepit; si contra cautionem aliquid fecerit, stipulatione commissá, etiam fructus hæredi restituet. Hoc enim legatarius et in exordio cavere cogitur (1). Dans l'application de cette règle au legs fait à l'un des époux, à condition qu'il ne se remariera pas, Justinien veut bien qu'on se contente de la caution juratoire; mais il veut aussi que, si le légataire vient à se remarier, il soit rigoureusement tenu de rendre le fonds légué avec les fruits qu'il en aura perçus: ut si ad secundas venerit nuptias, reddat quod datum est, tale quale percepit, et quos accepit in medio fructus: que, si le legs consistait en argent, il restitue de même capital et intérêts, si verò pecuniæ fuerint etiam cum usuris quas indè percipere potuerit; et que, s'il avait aliéné la chose, il soit permis de la revendiquer entre les mains de tout tiers détenteur; et vindicetur apud quamcumque apparuerit personam (2). Telles sont les dispositions du droit romain sur

(1) L. 79, S. 2, ff. de condit. et demonst., lib. 35, tit. I.

(2) Novel. 22, cap. 44, §. 2 et 4.

les effets de la condition de viduité, apposée à un legs fait au profit de l'époux survivant : dispositions qui étaient suivies dans notre ancienne jurisprudence, comme l'enseignent les auteurs qui s'en sont occupés (1), et qui doivent encore être observées aujourd'hui, puisqu'elles ne sont que la conséquence naturelle et immédiate de ce qu'un époux peut actuellement, comme on le pouvait autrefois, faire à l'autre un legs, à condition que le légataire ne se remariera pas, et qu'il ne pourra profiter de la libéralité qu'autant qu'il aura perpétuellement gardé l'état de viduité.

Ainsi, à supposer que le mari ait légué l'usufruit de ses biens à sa femme, en lui imposant la condition de viduité, s'il paraît, par les termes du testament, que la volonté du testateur a été telle que la veuve ne dût aucunement profiter du legs, qu'autant qu'elle aurait perpétuellement gardé cet état, elle ne pourra se remarier sans se rendre passible de la restitution des fruits par perçus jusqu'à son convol à secondes noces: mais, comme le remarque CANCERIUS (2), il faut que la disposition soit bien expresse; car, dans le doute sur l'interprétation de la clause du tes

elle

(1) Voy. dans MANTICA de conjecturis ultimar. volunt., lib. 10, tit. 2, no. 14; — dans LAPEYRÈRE, lettre V, n.o 65; dans les décisions de DUPERRIER, liv. 4, no. 270; -dans CHABROL, sur la coutume d'Auvergne, chap. II, art. 1, quest. 8, tom. 1, pag. 152; dans FURGOLE, traité des testamens, chap. 7, sect. 2, no. 68.

(2) Variar. resolut. part. 3, cap. 20, no. 358, usque ad n. 368.

tament, on doit croire que le testateur a voulu seulement priver sa veuve de la jouissance du legs, à dater du second mariage, plutôt que de la soumettre en outre à la charge bien grave de la restitution des fruits antérieurement perçus. 413. Aux termes de la novelle précitée, la condition de ne pas se remarier peut être apposée non-seulement à un legs fait par le mari à sa femme ou par la femme au mari, mais encore à celui qui serait fait par un étranger au profit de l'époux survivant à l'autre : Hanc ipsam autem introducimus observantiam in eumdem intellectum, etiamsi non conjuges alterutris sub tali reliquerint conditione: sed aliquis alius extraneus sive viro sive mulieri sub tali conditione dari quid voluerit. Et, comme il est reconnu que cette condition, considérée en elle-même, n'a rien d'illicite dans nos moeurs, il faut en conclure qu'aujourd'hui encore le légataire devrait s'y soumettre, lors même que le legs serait fait par un étranger.

Le legs d'usufruit fait par le mari à sa femme sous la condition qu'elle acceptera et restera chargée de la tutelle de leurs enfans, serait, dans ses effets, soumis aux règles dont nous venons de parler, parce que la tutelle ne consiste pas dans un fait instantané par lequel la condition imposée puisse être accomplie dans un seul moment. Le testateur ayant eu en vue non la simple acceptation de la tutelle, mais bien la gestion continuée jusqu'à l'époque fixée par la loi, s'il arrivait que la veuve encourût la privation de la tutelle par son convol en secondes noces ou

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