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sans usage; mais le legs d'une certaine quantité de grains, vins ou autres choses, est indépendant de ce qui peut se trouver dans la récolte. Et quand même un tel legs serait assigné à prendre sur les récoltes de chaque année, il ne laisserait pas d'être dû, lorsqu'il n'y aurait aucune récolte; pourvu que celles des années précédentes pussent y suffire, et que l'intention du testateur ne fût pas contraire : Vini Falerni quod domi nasceretur quotannis, in annos singulos binos culeos hæres meus Attio dato : etiam pro eo anno, quo nihil vini datum est, deberi duos culeos; si modò ex vindemia cæterorum annorum dari possit (1). Quæ sententia, si voluntas non adversetur, mihi quoque placet (2). 59. Suivant la disposition du droit romain, dès que l'année est commencée, le legs annuel est acquis, même dans le futur, pour toute l'annuité correspondante à l'année ouverte : in omnibus quæ in annos singulos relinquuntur, hoc probaverunt ut initio cujusque anni hujus legati dies cederet (3). En sorte que le légataire peut dèslors exiger le payement entier de la prestation due pour toute l'année (4), et que s'il meurt sans l'avoir reçue, il transmet à ses héritiers son droit dit à ce sujet (5): cette disposition est fondée, Domat, sur ce qu'il est naturel qu'un legs qui

(1) L. 17, §. 1, ff. de annuis leg., lib. 33, tit. 1.
(2) L. 13, ff. de tritico et vino legat., lib. 33, tit. 6.
(3) L. 12, §. 1, ff. quandò dies legat. cesat, lib. 36,

tit. 2.

(4) L. 1, cod. quandò dies legat. ced., lib. 6, tit. 53:
(5) L. 8, ff. de annuis legatis, lib. 33, tit. 1.

tient lieu d'un fonds pour l'entretien, soit acquis par avance, afin que le légataire puisse ainsi

pourvoir aux approvisionnemens qui lui sont nécessaires pour son année. Mais cette jurisprudence doit-elle encore avoir lieu sous l'empire de notre législation actuelle ?

Nous ne le pensons pas; et la solution négative de cette question résulte, soit des principes généraux du code, soit même du texte de l'article 1980.

Et d'abord les principes généraux établis dans le code civil sur l'échéance des intérêts des rentes, résistent à ce qu'on admette encore aujourd'hui la décision de la loi romaine sur ce point; car les prestations successivement dues pour l'acquit d'une rente viagère, ne sont autre chose que des fruits civils: or, le code déclare généralement que tous les fruits de cette espèce ne s'acquièrent que jour par jour (586); donc on n'en doit pas l'annuité tout entière dès le premier jour où ils commencent à courir.

Aux termes de l'article 1015, les intérêts ou fruits de la chose léguée ne courent au profit du légataire, avant toute demande en délivrance formée de sa part, que dans deux cas : l'un, si le testateur l'a expressément ordonné l'autre, lorsqu'il s'agit d'une rente viagère léguée à titre d'alimens: or, dire que les intérêts courent, dire, en d'autres termes, qu'ils échoient jour par jour, puisque leur cours n'a pas d'autre effet celui de cette échéance journalière; donc ils ne sont point exigibles d'avance et par annuité,

que

c'est

puisqu'on ne peut exiger le payement que de ceux qui ont couru et qui sont échus.

Enfin, aux termes de l'article 1980, la rente viagère n'est acquise au propriétaire, que dans la proportion du nombre de jours qu'il a vécu, à moins qu'il n'ait été convenu qu'elle serait payée d'avance; donc, abstraction faite de tonte stipulation qui en ordonnerait le payement d'avance, la rente viagère n'est due qu'au fur et à mesure de son échéance.

Vainement voudrait-on dire qu'il ne s'agit, dans cet article, que de rentes viagères établies par contrat ; cette objection ne serait d'aucune considération, soit parce que, dans ce texte, les auteurs du code n'ont fait qu'exprimer plus explicitement le principe déjà établi par l'article 1015, pour le cas où la rente viagère est l'effet d'une disposition testamentaire; soit parce qu'il résulte de l'article 1969, que, dans ce même chapitre, on avait aussi en vue les rentes constituées par legs.

60. LE LEGS d'alimens est aussi un legs annuel et viager; mais il a un caractère particulier qui le distingue de la rente viagère ordinaire, même lorsqu'elle est léguée à titre d'alimens.

On entend par legs d'alimens proprement dit, celui par lequel le testateur donne, soit en argent, soit en denrées, à quelqu'un ce qu'il lui faut pour sa nourriture et son entretien, sans fixer le montant de la prestation qui doit remplir cet objet.

Le legs d'alimens s'étend à tout ce qui est nécessaire, non-seulement pour la nourriture de

l'homme, mais encore pour son logement et son vêtement (1), parce qu'il faut ces trois espèces de choses pour satisfaire aux besoins corporels de la vie.

Ce legs est de même nature qu'une pension viagère, en tant que l'un et l'autre sont également annuels ; que dans l'un comme dans l'autre, le cours ou les arrérages échoient jour par jour, comme fruits civils; et qu'enfin l'un s'éteint comme l'autre par la mort naturelle seulement et non par la mort civile du légataire, lorsque le testateur n'a assigné aucun autre terme à sa libéralité.

Mais le legs d'alimens diffère de celui de la rente viagère, en ce que, quand on cède simplement à quelqu'un des alimens, la prestation à payer par l'héritier n'étant point déterminée par le testateur, doit être annuellement fixée, suivant la mesure des besoins du légataire, à moins que les parties ne conviennent, une fois pour toutes, d'un abonnement perpétuel; tandis que, dans le cas de la rente viagère, la prestation annuelle est invariablement fixée par la disposition du testateur.

Lorsqu'il s'agit de déterminer le montant de la prestation alimentaire, la loi romaine nous indique comme circonstances auxquelles on doit prendre égard, la condition du légataire, les habitudes libérales du testateur, l'affection plus ou moins grande qu'il lui portait, et le montant plus ou moins considérable des revenus de l'hé

(1) L. 6, ff. de aliment. legat., lib. 34, tit. 1

rédité: Cùm alimenta per fideicommissum relicta sunt, non adjecta quantitate; ante omnia inspiciendum est, quæ defunctus solitus erat ei præstare; deindè quid cæteris ejusdem ordinis reliquerit; si neutrum apparuerit, tum ex facultatibus defuncti, et caritate ejus, cui fideicommissum datum erit, modus statui debebit (1). 61. Sous les rapports de l'étendue des droits, le legs de la rente viagère se rapproche plus de celui d'usufruit, et le legs d'alimens a plus de similitude avec celui d'usage.

En effet, comme l'usufruitier a droit de recueillir tous les fruits du fonds, pour en faire son profit, soit qu'ils excèdent, ou non, ce qui est nécessaire à sa consommation; de même le légataire de la rente viagère est en droit d'en percevoir tous les arrérages lors même qu'ils seraient bien au-dessus de ses besoins et qu'ils lui fourniraient une source d'épargnes: au contraire, dans le cas d'un legs d'usage ou d'alimens, le légataire ne peut toujours obtenir que ce qui correspond à la mesure de ses besoins; et de cette différence il en résulte encore une autre : c'est que dans le legs d'usufruit ou de rente viagère, la conjonction entre colégataires doit donner lieu à l'exercice du droit d'accroissement, ce qui ne peut être dans les legs d'usage ou d'alimens, par la raison qu'ici les droits des parties prenantes sont essentiellement limités (2).

(1) L. 22 in princip., ff. de aliment. legat., lib. 34, tit. I.

(2) Voy. dans VOET, sur le digeste de usufructu accres cendo, lib. 7, tit. 2, n.o 3.

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