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On voit par-là que cet ouvrage n'est point une compilation de jugemens et d'arrêts rendus par les Tribunaux sur l'application de nos lois nouvelles. Si par fois nous en citons quelques-uns à l'appui de nos décisions, nous en rapportons aussi d'autres pour relever les erreurs échappées aux Magistrats sur des points trèsimportans dans la science du droit. Nous ne voyons pas que les Dumoulin et les Pothier aient souvent cité des décisions judiciaires à l'appui de leur doctrine, et cependant ces auteurs célèbres n'en ont pas moins rendu les plus éminens services à la science des lois et de la jurisprudence. Combien n'ont-ils pas rendu d'arrêts qu'on n'a jamais réformés ? combien n'ont-ils pas porté de décisions qui, combattues d'abord, ont fini par triompher, et se trouvent aujourd'hui reproduites dans nos lois ? Sans nous comparer à d'aussi grands maîtres, pourquoi n'aurions-nous pas cherché à les imiter?

La science des arrêts n'est guère, en elle-même, qu'une science de fait, puisqu'elle n'est que la connaissance d'espèces particulières; tandis que, pour nous, le but qu'il s'agit d'atteindre et la seule chose que nous devons nous proposer dans l'e

xercice des fonctions qui nous sont confiées, c'est de concourir de toutes nos forces à l'établissement et à la propagation de la science de notre droit nouveau.

Dans tout ce qui touche à notre légis lation nouvelle, nous sommes encore bien loin de voir se former, sur chaque matière, cette series rerum perpetuò judicatarum, c'est-à-dire cette raison universelle qui, uniformément appliquée à l'interprétation doctrinale des lois, constitue les règles immuables de la Jurisprudence. Nous sommes encore bien loin d'un pareil état de choses, puisque, dans le nombre indéfini de questions nouvelles qui ont été agitées devant les Tribunaux, on peut à peine en trouver quelques-unes qui n'aient pas été décidées en sens contraires des par arrêts souvent aussi nombreux d'un côté que de l'autre.

Une preuve irréfragable que les lois nouvelles sont loin d'être bien connues et profondément appréciées sitôt après leur promulgation, c'est que nous voyons souvent que la Cour de cassation, par de glorieux retours sur elle-même, adopte des principes contraires et en vient à des décisions tout opposées aux arrêts mul

tipliés qu'elle avait rendus pendant plusieurs années.

Ce n'est donc point dans les décisions émanées des Tribunaux; mais bien dans l'examen des lois elles-mêmes; dans la méditation des bases sur lesquelles elles reposent, et des motifs qui les ont fait porter ; dans l'examen approfondi de leur texte, la comparaison et le rapprochement de leurs dispositions, qu'il faut rechercher la science du droit. La tête la plus remplie des souvenirs d'arrêts divers, doit être naturellement la plus vide d'idées sur les grands principes du droit, parce qu'elle appartient à l'homme qui s'est fait une étude de ne penser que par les autres.

Et qu'on ne dise pas que nous manquons au respect dû à la magistrature en parlant ainsi de ses décisions.

Ministres des lois, les Magistrats, par leurs vertus, leurs talens et leurs mœurs, seront toujours, en France, le plus bel ornement, comme le plus ferme appui de la société. Leurs personnes, leurs fonctions, nous respectons tout en eux, hors l'infaillibilité qu'ils n'ont pas.

Nous entendons seulement nous élever ici contre l'usage abusif qui s'est introduit de ne plus lutter qu'à coups d'arrêt,

que le

dans les débats judiciaires, tandis temps n'étant pas encore venu où la Jurisprudence pourra être formée sur l'application de nos lois nouvelles, jamais les arrêts n'ont dû avoir moins d'autorité doctrinale qu'aujourd'hui.

C'est précisément cette manière de traiter les procès, qui produit tant de diverdans les arrêts, parce que gence le principe d'unité n'est que dans la loi, et que du moment qu'on en abandonne l'étude, ou qu'on se laisse entraîner des considérations plus ou moins spécieuses, mais étrangères à son esprit, il n'y a plus de point de ralliement qui puisse fixer la marche des Tribunaux sur la même ligne.

par

Nous n'entendons cependant pas blâmer l'usage où l'on a toujours été de citer les décisions judiciaires intervenues sur des espèces semblables; mais nous voulons que ce moyen ne soit que bien accessoire. Nous ne voulons pas qu'il soit employé comme une dispense de l'étude du droit. Nous ne voulons pas qu'il préjudicie à l'examen approfondi des règles applicables au fond de la cause, parce que c'est toujours de

que doivent ressortir les motifs de la décision du Juge. En un mot, nous ne voulons pas que le jugement d'un procès

soit précisément calqué sur le jugement d'un autre, parce que la Jurisprudence n'est point un art d'imitation.

C'est l'abus contre lequel nous nous élevons, qui est lui-même trop peu respectueux envers la magistrature: car quel est, à le bien prendre, le rôle que joue celui qui, fondant le succès d'un procès sur des arrêts de Cours rendus dans d'autres affaires, prétend par-là s'affranchir d'un examen de sa cause, aussi approfondi et aussi scrupuleusement médité que s'il n'avait encore aucun préjugé à citer? que propose-t-il en invitant ainsi son Tribunal à juger comme un autre Tribunal, sans lui présenter une discussion approfondie de l'affaire qui est à décider? n'est-ce pas, en d'autres termes, comme s'il disait à ses Juges:

« Vous êtes dispensés d'avoir une conscience qui vous soit propre, puisque voilà une décision qui a été rendue par des >> Magistrats pleins de probité, et que vous » n'avez rien de mieux à faire qu'à prendre » leur jugement pour le type du vôtre !

» Vous n'avez pas besoin de connaître » la loi par vous-mêmes, ni de réfléchir » sur son application, puisqu'une telle >> Cour a fait toute cette élaboration pour

>> yous!

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