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il la voyait menacée. Il proposa aux cabinets étrangers d'adresser à leurs agents une instruction commune, afin qu'ils employassent leur influence pour maintenir les nouveaux pouvoirs dans une ligne de modération et de prudence, afin qu'ils fissent bien connaître, par` l'identité de leur langage, l'accord parfait qui régnait à cet égard entre les souverains alliés. Il voulait que cette instruction contint l'ordre exprès donné aux agents, de quitter Madrid ensemble, si la vie du roi était mise en danger, et l'autorisation de faire connaître cet ordre, qui pouvait être un frein pour l'effervescence du parti triomphant et une garantie pour la sûreté du roi.

<< Cette proposition fut encore repoussée par l'Angleterre, qui s'opposa formellement à toute démarche collective. Il fallut donc agir isolément.

<< Le gouvernement français ne prit point une attitude hostile. Il ne félicita pas le roi d'Espagne, mais il ne repoussa pas les communications officielles il laissa percer quelques inquiétudes, mais il exprima aussi des espérances qui se fondaient sur le dévouement et le noble caractère du peuple espagnol. Son langage fut celui d'un voisin qui réclame, mais d'un ami qui fait des vœux sincères pour que ses craintes soient démenties par l'événement. Il faut ajouter que ses actes furent constamment d'accord avec ses paroles.

<«< Tout ce que la France pouvait faire pour aider le gouvernement espagnol à s'asseoir et à se consolider au milieu des secousses qui venaient chaque jour l'ébranler, la France le fit, et le fit avec franchise et loyauté. Tout ce qui était de exalté qui menaçait

nature à donner de l'ombrage au parti de tout anéantir à la fois, elle l'évita avec un soin minutieux. Toutes les concessions que l'honneur permettait de faire, elle les fit avec empressement. Elle traita l'Espagne comme un ami malade dont il faut ménager la faiblesse et savoir supporter la fâcheuse humeur.

« Tous ses efforts furent inutiles. Ses intentions ne furent jamais comprises ni appréciées, et l'insultante défiance répondit toujours à la bienveillance de ses dispositions. Chacune de ses intentions était considérée comme une agression ou une menace. L'envoi d'un agent diplomatique, le mouvement d'une garnison dans une de nos places frontières, un mot prononcé dans les chambres législatives, un article de journal, étaient constamment signalés comme des témoignages non équivoques d'une détermination hostile. C'était le texte ordinaire des déclamations furibondes des sociétés patriotiques, et par suite des plaintes du gouvernement lui-même, qui se gardait bien de justifier ou d'expliquer ce qui était déclaré criminel par les orateurs du café Loranzini ou de la porte del Sol.

<«< Telle était la situation intérieure de l'Espagne, telles étaient les dispositions des cabinets de l'Europé à l'égard de la révolution que ce royaume venait de subir, tels étaient déjà les sentiments qui animaient la France, les actes par lesquels elle les manifestait et le prix dont ils étaient payés, lorsque arriva le moment fixé pour l'ouverture solennelle de la première session des cortès. >>

Le cabinet anglais (qui devait plus tard, au congrès de Laibach, protester contre une intervention armée dans le royaume des Deux-Siciles,)') exprima l'opinion, tout en reconnaissant combien la situation de l'Espagne présentait de danger pour la stabilité de tous les gouvernements existants, qu'il était, avant tout, indispensable d'éviter toute réunion de souverains, et de charger aucune assemblée ostensible de la commission de délibérer sur les affaires d'Espagne.

La cour de Russie profondément affligée de la révolution

4) V. Chap. V.

Congrès de Troppau et de Laibach: lettre du 19 Janvier 18214, de lord Castlereagh aux diverses légations de S. M. britannique.

espagnole, répondit le 1er Mai 1820, à la communication qui lui fut faite des événements de l'île de Léon et de l'acceptation, par le roi Ferdinand VII, de la constitution de 1812, (qu'il avait, avec raison, flétrie et repoussée en rentrant en Espagne, en 1814) que les constitutions imposées par la révolte ne pouvaient produire que de nouvelles subversions et de tristes désordres. Le même jour, le cabinet de Saint-Pétersbourg envoya copie de sa réponse au ministre d'Espagne, aux cours de France, d'Autriche, de Prusse et d'Angleterre, en leur faisant connaître ses craintes pour l'avenir de l'Espagne, et en les engageant à faire faire en commun les plus sérieuses représentations au gouvernement espagnol.

Nous allons placer sous les yeux du lecteur ces trois documents qui sont d'un véritable intérêt pour l'histoire de la diplomatie européenne.

No. VIII.

Note confidentielle du vicomte de Castlereagh, sur les affaires d'Espagne, communiquée aux cours d'Autriche, de France, de Prusse et de Russie; en Mai 1822.

Extrait.

Les événements qui sont arrivés en Espagne ont, comme on pouvait s'y attendre, excité, à mesure qu'ils se sont développés, la plus grande inquiétude en Europe.

Le cabinet britannique, dans cette occasion, comme dans toutes les autres, est prêt à délibérer avec ceux des alliés qui le désireront, et s'expliquera sans réserve sur cette grande question d'intérêt commun; mais quant à la forme sous laquelle il peut être prudent de conduire ces délibérations, il croit ne pouvoir trop recommander le mode de délibération, qui excitera le moins l'attention ou les alarmes et qui pourra le moins provoquer le mécontentement dans l'esprit du peuple ou du gouvernement espagnol. Dans cette vue, il paraît convenable d'éviter soigneusement toute réunion de souverains; de s'abstenir (au moins dans l'état présent de la question)

de charger aucune assemblée ostensible de la commission de délibérer sur les affaires d'Espagne. Le cabinet anglais croit préférable que les relations se bornent à des communications confidentielles entre les cabinets, qui sont par elles-mêmes mieux faites pour rapprocher les idées, et à conduire, autant que possible, à l'adoption de principes communs, plutôt que de hasarder la discussion dans une conférence ministérielle qui, à cause des pouvoirs nécessairement limités des individus qui la composent, convient toujours mieux pour exécuter un plan déjà arrêté, que pour régler une ligne de politique dans des circonstances délicates et difficiles.

Il semble y avoir d'autant moins de motifs pour précipiter une démarche de cette nature, dans le cas actuel, que, d'après les renseignements qui nous parviennent, il n'existe en Espagne aucun ordre de choses sur lequel il y ait à délibérer, ni, jusqu'à présent, aucune autorité avec laquelle les puissances étrangères puissent communiquer.

L'autorité du roi, pour le moment du moins, semble anéantie. S. M. est représentée, dans les dernières dépêches de Madrid, comme s'étant entièrement abandonnée au cours des événements et comme concédant tout ce qui est réclamé par la junte provisoire et par les clubs.

L'autorité du gouvernement provisoire ne s'étend pas audelà des deux Castilles et d'une partie de l'Andalousie. Des autorités locales séparées commandent dans les diverses provinces, et l'on pense que la sûreté personnelle du roi serait extrêmement hasardée par toute démarche qui pourrait faire naître le soupçon du dessein de tenter une contre-révolution par des moyens internes ou externes.

Cet important sujet ayant été référé au duc de Wellington, et pris en considération par S. G., le duc n'hésite pas, d'après sa connaissance intime des affaires d'Espagne, à déclarer que, de tous les peuples de l'Europe, le peuple espagnol est celui qui souffrira le moins une intervention étrangère. Il cite divers cas où, pendant la dernière guerre, ce trait distinctif du caractère national a rendu les Espagnols obstinément aveugles sur les considérations les plus pressantes de salut public. Il expose le danger imminent où le soupçon d'une intervention étrangère, spécialement de la part de la France, placerait le

roi; il décrit en outre les difficultés qui s'opposeraient en Espagne à toutes les opérations militaires entreprises dans le but de réduire par la force la nation à se soumettre à un ordre de choses qui lui serait suggéré ou prescrit du dehors.

Sir Henri Wellesley, à l'appui de cette opinion, a cité l'alarme que la mission protejée de M. de Latour-du-Pin a excitée à Madrid, et le préjudice que, dans l'opinion de tous les ministres étrangers à Madrid, elle était propre à porter aux intérêts et à la sûreté du roi. Il cite aussi les mesures que le roi se proposait d'adopter pour empêcher le ministre français de poursuivre son voyage lorsqu'on reçut de Paris la nouvelle que cette mission n'aurait point lieu.

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A tout événement donc, jusqu'à ce que quelque autorité centrale se soit établie en Espagne, toute idée d'influer sur ses conseils, semble absolument impraticable et faite pour n'avoir d'autre résultat possible que de compromettre, soit le roi, soit les alliés, mais probablement lui et eux à la fois. Il n'y a nul doute que l'état actuel de l'Espagne n'étende d'une manière grave le cercle de l'agitation politique en Europe; il faut néanmoins convenir qu'il n'y a pas en Europe de pays d'une égale grandeur où il eut pu arriver une révolution de ce genre, qui menaçât moins les autres états de ce danger direct et prochain qui a toujours été regardé, du moins dans notre pays, comme étant le seul cas qui justifierait une intervention étrangère. Si le cas n'est pas de nature à justifier une telle intervention, si nous ne jugeons pas que nous ayons, dans ce moment, ni le droit ni les moyens d'intervenir directement par la force; si la démonstration d'une telle intervention est plus faite pour irriter que pour épouvanter, et si nous avons appris par expérience combien peu un gouvernement espagnol, soit du roi, soit des cortès est disposé à écouter les avis des puissances étrangères, n'est-il pas prudent au moins de réfléchir avant de prendre une attitude qui semblerait nous engager aux yeux de l'Europe à quelque mesure décisive? Avant de nous y embarquer, n'estil pas convenable de reconnaître, avec quelque degré de précision, ce que nous avons réellement intention de faire? Cette marche politique, modérée et prudente, et si convenable au cas actuel et à la position critique où le roi se trouve per

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