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cret de Gratien, l'un des plus remarquables monumens du douzième siècle. Au treizième, Innocent III et Boniface VIII la proclament et la développent. Au quatorzième, Jean XXII et Clément VI l'emploient contre Louis de Bavière. Au quinzième, même après le schisme d'Avignon, et malgré les décrets de deux grands conciles, elle surnage encore et s'accrédite plus que jamais en Italie. Au seizième, Jules II la soutient les armes à la main; elle préside à ses conseils, à ceux de ses successeurs, et détermine leurs résolutions. Au dix-septième, les papes osent traiter d'hérétiques quatre propositions qui la contredisent, et parviennent, à force d'intrigues, à les rendre inefficaces. Au dix-huitième, ils décernent à Grégoire VII des hommages solennels, ils divinisent ses attentats à l'autorité impériale; et le dix-neuvième siècle, qui commence à peine, offre aussi déjà le spectacle des plus ridicules tentatives pour rétablir la théocratie.

Les derniers siècles nous fourniront quelques pièces peu connues qui, peut-être, mettront en évidence l'opiniâtreté des prétentions pontificales. On verra les maximes les plus exagérées s'établir comme des axiomes dans les délibérations intimes de la cour romaine. On verra les papes, quand les conjonctures les auront

forcés à rendre des hommages publics à l'autorité civile, les rétracter à l'instant même, par des protestations secrètes, écrites en entier de leurs mains apostoliques. Ils se croyaient pleinement dégagés, par ces rétractations clandestines, de toutes les obligations qu'ils paraissaient avoir contractées en signant des traités, des promesses, des transactions ou déclarations quelconques: phénomène étrange, même dans l'histoire des perfidies humaines; car, s'il est trop ordinaire de rompre des engagemens, et même de ne les prendre qu'avec l'intention de profiter des occasions de s'en affranchir, du moins il est rare qu'on écrive une telle résolution et qu'on rédige avec tant de soin des projets authentiques d'infidélité. Quel long espace il a fallu parcourir depuis la morale de la nature et de l'Évangile jusqu'à ce dernier terme de la politique et de la civilisation! Quel nom donner à une cour qui se jugeait tellement supérieure aux autres cours, qu'elle ne pouvait jamais leur rien devoir, pas même ce qu'elle venait de leur promettre solennellement? et quelles actions humaines taxerons-nous d'imposture, de déloyauté, de trahison, s'il faut absoudre ces mystérieux parjures?

Les archives pontificales recèlent infailliblement d'autres secrets plus importans encore, et

qui pourront servir un jour à l'instruction publique, à mesure qu'on les découvrira sous des amas d'écritures insignifiantes. La vérité nous forcera d'insérer, dès aujourd'hui, parmi nos pièces justificatives, la lettre déjà connue où Louis XIV rétracte, en 1693, les quatre articles de 1682, ou du moins promet au pape de ne pas faire exécuter l'édit qui les concerne. Tel est le degré d'avilissement où ce monarque a pu descendre dès qu'une fois il eut renoncé, en révoquant l'édit de Nantes, aux maximes généreuses et loyales qui, jusqu'en 1685, avaient presque toujours dirigé son administration. Mais admirons ici l'obstination et la puissance de la cour romaine. On publie quatre propositions d'une évidence presque immédiate et d'une telle simplicité, qu'elles n'ont pu devenir célèbres que par l'effronterie de ceux qui les ont contredites. Elles sont adoptées par le clergé d'un grand royaume, par un clergé alors vénérable, à qui les talens et les vertus de la plupart de ses membres ont acquis l'estime de l'Europe entière: elles sont rédigées par le prélat le plus illustre de cette brillante époque, et dont le nom serait une autorité, s'il fallait en ajouter quelqu'uné à celle des monumens et des traditions antiques d'où sont extraits ces quatre articles. Le plus grand roi qui fût alors,

les proclame, et semble les fortifier encore de sa propre puissance, les revêtir de l'éclat de son règne, de la majesté de son trône. Il n'importe; aucune de ces considérations ne décourage le successeur d'Hildebrand. Cependant, pour condamner ces quatre maximes, il faut soutenir que le pape a le droit de bouleverser les usages et les lois de chaque église; que ses jugemens sont toujours irréformables, alors même que le consentement de l'église ne les a pas confirmés; qu'il ne reconnaît pas d'autorité supérieure à la sienne, pas même celle des conciles généraux, et qu'enfin ses pouvoirs s'étendent jusque sur les actes civils et temporels des souverains. Voilà des assertions bien révoltantes, et dont il est difficile d'espérer le triomphe à la fin du dix-septième siècle, au sein des lumières, quand le prince qu'elles offensent, peut armer contre elles le zèle des magistrats et le génie des écrivains. Il n'importe encore le pape a résolu d'empêcher l'exécution de l'édit qui ordonne d'enseigner les quatre articles; et cet édit d'un monarque impérieux restera sans effet: on environnera Louis de conseils perfides; des jésuites et des maîtresses l'aveugleront sur les intérêts de son trône et de sa gloire ; et il signera une rétractation ignominieuse.

Cette lettre de Louis XIV interrompt la suite

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des monumens honorables qui, depuis saint Louis jusqu'à nos jours, attestent la résistance du gouvernement français aux entreprises des pontifes romains. Nous pourrions remonter au-delà de saint Louis, rappeler la lettre énergique d'Hincmar au pape Adrien II, et les répouses de Philippe-le-Bel à Boniface VIII; mais Louis IX a mérité, par ses vertus, d'être considéré comme le premier défenseur des libertés de l'église gallicane. Il les a proclamées dans une pragmatique, et presque tous les descendans de ce pieux monarque ont, à son exemple, réprimé l'ambition des évêques de Rome.

On a depuis long-temps publié, à l'appui des maximes de l'église de France, plusieurs volumes de pièces extraites, pour la plupart, du trésor des chartres et des registres du parlement. Il en résulte que jamais nos rois n'ont consenti à dépendre du pape; que nos aïeux n'ont cessé de déclarer abusives, non-seulement les excommunications, mais aussi les citations des sujets du roi en cour de Rome, et les démarches de ceux qui, déclinant la justice royale, osaient se pourvoir devant un tribunal ecclésiastique; que les bulles des papes et même les décisions des conciles n'étaient publiées qu'en vertu d'un ordre du roi ; qu'il y avait appel des décrets du

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