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Les Canons sacrés, dit ce concile, ont réglé comment les ecclésiastiques doivent disposer de ces dimes et offrandes. Un quart est destiné aux fabriques des églises ; ‹ un autre quart appartient aux pauvres...., etc. ›

Enfin, nous arrivons au règne de Charlemagne dont le génie imprima une impulsion si vigoureuse à toutes les parties de son immense administration que son règne resplendit comme un phare solitaire dans la profonde nuit de ces temps barbares.

Ses Capitulaires témoignent hautement d'une sollicitude aussi éclairée qu'attentive en faveur des pauvres et leurs dates successives attestent une vigilance qui ne se relâchait point: ainsi, en 779, il prescrit aux évêques, abbés et abbesses de nourrir jusqu'à la moisson quatre pauvres.

En 789, il ordonne de faire porter dans les églises les pauvres qui gisent, sans asile, sur les places publiques.

Il veut également que les pauvres, les voyageurs et les étrangers reçoivent des secours réguliers et canoniques.

En 793, les hôpitaux sont déclarés par lui établissements royaux; il se réserve de désigner les personnes qui doivent les diriger, et il veut que dans ces établissements les pauvres soient traités aussi bien que les localités le permettent.

En 800, les évêques sont chargés de veiller sur les biens des pauvres. Il veut (en 811) que nul ne puisse faire la guerre aux pauvres et que les juges, de préférence, entendent la cause des orphelins, des veuves et des pauvres.

En 802, les pauvres auxquels l'empereur accorde des aumônes sont exemptés du service militaire.

En 805, renouvellement de l'édit de Dagobert de 630, qui défend d'opprimer les pauvres.

En 806, les mendiants doivent être secourus par leur paroisse; défense de leur faire l'aumône partout ailleurs. Charlemagne renouvelle dans ce capitulaire les prescriptions du concile d'Orléans de 549.

De 806 à 814, Charlemagne défend aux hospices et hôpitaux de vendre, d'aliéner leurs immeubles, soit maisons, champs, jardins, contrats de rentes, biens de ville ou de campagne.

Il défend même de laisser prendre hypothèques sur ces immeubles, voire même de les engager par des contrats emphyteotiques :

Les acquéreurs de ces biens seront tenus de les restituer avec tous les bénéfices qu'ils ont pu faire pendant le temps de leur possession. L'administrateur qui a consenti à ces aliénations sera destitué. Le notaire qui en a fait les actes doit être exilé; les magistrats qui les ont reçus et les officiers qui les ont fait enregistrer ou qui les ⚫ont approuvés perdent non-seulement leur emploi, mais encore toutes leurs di⚫gnités. >

Le prince, en vertu de la pragmatique-sanction promulguée par lui, se réserve le droit de changer un immeuble contre un autre immeuble. Les dispositions vraiment remarquables de ces Capitulaires ont été conservées ou renouvelées en partie dans les lois actuelles. Il est, certes, permis de s'étonner en trouvant tant de prévoyance et d'humanité dans les lois d'une époque regardée à juste titre comme barbare. Ne pouvant en faire honneur au temps, il faut bien reconnaître que c'est au législateur que tout l'honneur en revient. Par malheur, il devança son siècle qui n'avait, pour profiter des institutions qu'il voulut lui donner, ni la sagesse ni la maturité nécessaires. Il en

a.

résulta qu'après sa mort la lumière prématurée qu'il avait fait briller s'éteignit peu à peu dans les déchirements auxquels la France fut en proie sous ses tristes successeurs ; ce qui explique et justifie la lacune qui existe dans la législation charitable de cette époque, lacune de près de quatre siècles, et que ne remplissent pas quelques sages ordonnances de Louis-le-Pieux et des conciles, derniers efforts dus au mouvement qu'il s'était efforcé d'imprimer aux esprits.

Ainsi, en 816, sur la demande de Louis-le-Pieux, le concile d'Aix-la-Chapelle dressa un règlement ainsi conçu :

• Les évêques établiront un hôpital pour recevoir les pauvres et lui assigneront un ‹ revenu suffisant aux dépens de l'église. Les chanoines y donneront la dime de leurs ‹ revenus, même des oblations, et un d'entre eux sera choisi pour gouverner l'hôpital même au temporel.

Louis-le-Pieux, en 829, renouvela à tous ses officiers de veiller à ce que les pauvres ne fussent pas maltraités.

Cette même année, le concile de Paris recommande au roi d'examiner lui-même la cause des pauvres, de crainte que ceux qu'il a nommés pour remplir ce devoir ne les laissent opprimer.

Pendant cet intervalle, le sort des pauvres fut horrible; le clergé lui-même pouvait à peine subvenir à ses besoins. Les famines, les maladies contagieuses, en désolant la France, paralysaient la charité publique, et sans doute alors les lois protectrices rendues par Charlemagne en faveur des pauvres furent, ainsi que les autres, trop souvent muettes ou violées.

Saint Louis, en faisant refleurir la législation générale, devait naturellement aussi s'occuper de celle toute spéciale qui regarde les pauvres, et l'on recherche avec intérêt dans ses Établissements les dispositions qui les concernent. Elles méritent toute notre

attention.

Ce n'est pas sans étonnement, au premier abord, qu'on voit sous le règne d'un prince si justement renommé pour ses vertus et sa piété, les lois, de douces et de bienveillantes qu'elles avaient été jusqu'alors en France, devenir tout à coup sévères et menaçantes; mais le plus léger examen fait disparaître cette apparente contradiction. Saint Louis, en effet, n'eut point à prescrire la charité, cette vertu céleste que Dieu a placée, dit M. de Châteaubriant, comme un puits d'abondance dans les déserts de la vie. Il se contentait de la recommander par son exemple, et cet exemple admirable fut si bien imité que jamais elle ne parut plus grande que sous son règne où elle déborda, pour ainsi dire, de toutes parts. Le roi, la noblesse, le clergé, le peuple rivalisaient de pieux efforts, pour fonder, doter, entretenir ou servir les institutions charitables qui ne furent à aucune époque aussi multipliées.

Saint Louis n'eut donc qu'à réprimer les abus qui naissaient de la mendicité, plante parasite qui détourne à son profit les dons d'une charité moins prudente que généreuse. En effet, dans ses Établissements, publiés en 1270, il prescrit que: « Tout fainéant, <qui n'ayant rien et ne gagnant rien fréquente les tavernes, soit arrêté, interrogé sur ses facultés, banni de la ville s'il est surpris en mensonge, convaincu de mauvaise ‹ vie. Il est clair que cet article est dirigé non contre la pauvreté, mais contre la mendicité qui s'efforçait, comme toujours, de se substituer à elle. Ce n'est pas l'homme dont l'âme tendre et compatissante faisait rechercher dans les provinces et dresser des listes des laboureurs vieux et infirmes pour leur porter aide et secours, qui servait les

pauvres malades, les portait lui-même dans les asiles que sa générosité leur avait préparés; ce n'est pas cet homme qu'on accusera d'une froide sévérité envers les pauvres. S'il fit des lois pénales aussi sévères, c'est qu'avant tout il aimait la justice; il voulait qu'elle fût, suivant son expression, bonne et raide, et le pauvre y devait être soumis comme le riche. Par cet amour de la justice, par ses vertus plus encore que par ses Établissements, saint Louis prépara, sans le vouloir et sans le prévoir peut-être, une immense révolution, en substituant l'unité et la puissance de la royauté qu'il fit adorer, aux divisions et à la tyrannie féodale. Sous son règne, il est vrai, la féodalité jette encore un très-vif éclat; mais, semblable à une lampe qui s'éteint, elle ne brille plus que pour disparaitre et entraîner dans sa chute l'administration générale et la centralisation dont ce grand roi avait fait l'essai à l'exemple de Charlemagne.

Sous le règne de Philippe-le-Bel, l'affranchissement des serfs, livrant au travail une multitude de bras qu'une industrie trop peu développée ne pouvait employer, augmenta la misère, et avec elle tous les maux qu'elle traîne à sa suite; d'autant que les communes, alors à peine sorties de tutelle et possédant peu de ressources, ne pouvaient venir au secours des pauvres.

Quelques ordonnances, telles que celle de 1308, de Philippe-le-Bel, pour régler, en faveur des pauvres, la vente des denrées sur les marchés de la ville de Paris, celle de 1344 de Philippe VI, qui exempte les acquisitions faites par les hôpitaux, des droits imposés sur ces acquisitions, n'apportèrent aucun remède à des maux si grands et si fortement enracinés.

Les pauvres s'arment contre les riches, et de soulèvements en soulèvements arrivent à la Jacquerie, cette guerre des paysans contre leurs seigneurs, qui met en péril la société entière, force enfin ceux-ci, sous les ordres du roi de Navarre et du Captal de Buch, à les poursuivre et à les exterminer. Il en périt sept mille dans un seul combat. Un tel état de choses explique parfaitement le caractère de la législation de cette époque dont la célèbre ordonnance de Jean II, en 1350, est le monument le plus complet et le plus curieux. Les principales dispositions proscrivent impérieusement l'oisiveté et la mendicité sa compagne obligée.

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Voulant que les gens sains de corps s'exposent à faire besogne de labeur en quoy ils peuvent gaigner leur vie ou vuident la ville de Paris... dedans trois jours après ce cry, et si après lesdits trois jours ils sont trouvés oiseux ou jouant au dez ou mendiant, ils seront pris et mis en prison au pain et à l'eau, et ainsi tenus l'espace de quatre jours, et quand ils auront été délivrés de ladite prison, s'ils sont trouvés oiseux, ils seront mis au pilory, et la tierce fois signés au front d'un fer chaud.»

Ces dispositions, d'une sévérité cruelle, indiquent assez que le mal était excessif; mais il ne suffisait pas de défendre à ces malheureux une dangereuse et coupable oisiveté, il aurait fallu leur indiquer ou leur fournir les moyens de la faire cesser. C'est à quoi l'ordonnance ne pourvoit pas, et bien que cette pensée soit ou nous paraisse fort simple, il a fallu plusieurs siècles pour la faire germer dans l'esprit des hommes.

Il y a, dans cette ordonnance, une autre disposition très-remarquable pour le temps. Elle défend de faire l'aumône manuellement aux gens sains de corps, ni aux gens qui 'pussent besogne faire; mais à gens aveugles, malhaignes ou impotents. ›

D

C'est la première fois que cette défense paraît dans nos lois. Toujours renouvelée depuis et toujours violée, elle semble, malgré sa prudente sagesse, s'opposer vainement aux penchants les plus nobles et les plus doux de l'âme.

A côté de l'ordonnance si rigoureuse de 1350, nous voyons, sous le même prince, la fondation plus humaine (1362) de l'hôpital du Saint-Esprit, en faveur des enfants orphelins de père et de mère et nés en légitime mariage. C'est la première trace dans notre histoire d'une fondation en faveur des enfants. Cet hôpital existait encore sous Louis XIV.

Nous trouvons en 1364 une ordonnance de Charles V qui rappelle aux avocats et aux procureurs qu'ils doivent donner leurs soins gratuitement aux pauvres et misérables personnes, et qu'ils doivent les ouïr diligemment et les délivrer briefment.

Par son règlement (1370) pour la communauté des chirurgiens de Paris, ce même monarque leur prescrit de panser gratuitement les pauvres qui ne seront pas reçus dans les hôpitaux.

En 1403, Charles VI déclare, par un édit, qu'il exempte les pauvres mendiants de l'aide qu'il faisait lever pour soutenir les frais de la guerre contre les Anglais. — La charité semble assez superflue.

En 1445, par lettres patentes, Charles VII fonde à Paris un hôpital en faveur des orphelins nés en légitime mariage, et il n'admet pas ceux dont les parents ne sont pas connus, ne voulant pas donner un encouragement à l'inconduite.

En 1524, arrêt du parlement qui ordonne que les remparts de Paris soient relevés par les pauvres valides afin de leur faire attendre, en venant à leur aide, les résultats de la moisson.

François Ier, qui a fait beaucoup pour la législation charitable, paraît comme le fondateur des bureaux de bienfaisance, en prescrivant, par son ordonnance de 1536, les secours à domicile. Les paroisses devaient nourrir et entretenir les pauvres invalides qui ont chambres, logements ou lieu de retraite. »>

En 1536, l'hôpital des Enfants-de-Dieu, appelé depuis Enfants-Rouges, est fondé à Paris. Cet hôpital était destiné spécialement aux orphelins étrangers dont les parents étaient morts à l'Hôtel-Dieu. Deux ans après, un arrêt du parlement permet de quêter pour eux.

En 1543, parut un édit pour réprimer les graves abus introduits par le clergé dans l'administration des hôpitaux.

Cet édit donne le droit aux baillis et sénéchaux, et autres juges, de surveiller l'administration des hôpitaux et maladreries avec faculté de remplacer les administrateurs. A la même époque, paraît une ordonnance qui réglemente la communauté des pauvres de la ville de Paris. Cette ordonnance prescrit aux évêques, aux notaires, d'engager les pénitents et les mourants à faire des générosités à cette communauté : disposition conservée et étendue par Louis XIV dans la célèbre ordonnance de l'hôpital général auquel elle fut appliquée. Elle indique comment les curés doivent agir afin de ne pas laisser ces libéralités occultes; elle enjoint aux habitants, sous des peines très-sévères, de venir au secours de la communauté; enfin, elle veut que les mendiants valides soient obligés de travailler.

En 1544, François Ier crée un bureau général des pauvres, dont l'administration est confiée à quatre conseillers au parlement et à treize bourgeois.

Ce bureau avait le droit de lever chaque année, sur les princes, les seigneurs, les ecclésiastiques, les communautés, et sur les bourgeois et propriétaires, une taxe d'aumône pour les pauvres, et il avait juridiction pour contraindre les cotisés.

Ici commence à paraitre la taxe des pauvres qui s'établit six ans après.

En 1545, François Ier fait enregistrer au parlement une déclaration qui donne l'ordre au prévôt des marchands et aux échevins de la ville de Paris d'ouvrir des ateliers de travail pour les mendiants valides, sans distinction de sexe. Elle ordonna qu'il serait notifié à tous mendiants de se rendre au lieu qui serait ordonné, pour être « employés ‹ à cesdites œuvres, aux taux et salaires qui leur seraient arbitrés, et ce sous peine du fouet, s'ils étaient trouvés mendiant après lesdites œuvres commencées. » Cette ordonnance portait, en outre, que les mendiants valides seraient contraints de travailler pour gagner leur vie, que chacun pourrait saisir ceux qui s'y refuseraient et les conduire à la justice la plus voisine, où ils seraient, sur la déclaration de deux témoins seulement, punis publiquement des verges et en outre bannis du pays à temps ‹ ou à perpétuité. Par cette ordonnance, qui interdit la mendicité sous des peines si rigoureuses, la condition du travail est enfin établie.

Le 9 juillet 1547, parut un édit de Henri II, daté de Saint-Germain-en-Laye, qui ordonne à chaque habitant de Paris de payer une taille et collecte particulière pour subvenir aux besoins des pauvres dont le nombre, malgré les nombreux édits rendus contre eux, ne faisait que s'accroître de jour en jour.

Les mendiants furent alors divisés en trois classes : les mendiants valides, les mendiants invalides sans feu ni lieu, et les pauvres malades n'ayant aucun moyen de gagner leur vie.

Des travaux publics furent de nouveau ouverts pour les pauvres valides qui y étaient conduits de force et avec menace des peines les plus sévères, s'ils tentaient de s'y soustraire. Les autres furent mis à la charge des paroisses, et les derniers menés et distribués dans les hôpitaux et maisons de Dieu.

En 1551, commence à paraître la véritable taxe des pauvres ébauchée par François Ier, d'abord à Paris, puis dans tout le royaume. Dans le nouvel édit, Henri II déclare que les mendiants sont quasi innumérables à Paris, et que les quêtes et aumosnes que l'on vouloit recouvrer par semaines en chacune paroisse sont tant diminuées, et s'est la charité de la plupart des plus aisés manants et habitants de notre ville tant refroidie, qu'il est mal aisé et impossible de plus continuer l'aumosne desdits pauvres que l'on a accoustumé leur distribuer par chacune semaine, chose qui nous vient à très-grand regret et déplaisir. Après ce préambule, cet édit ordonne de créer des commissaires désignés par le parlement à l'effet de rechercher ce que chacun voudra libéralement donner par semaine pour subvenir aux frais d'entretien et de nourriture des pauvres. Le principe nouveau de la mutualité s'introduit dans les statuts des confréries, des corporations des arts et métiers; chacun devant soigner ses malades, secourir ses pauvres. Dans cet exposé, peut-être trop rapide, et que les limites nécessairement étroites qui nous sont imposées ne nous permettent pas d'étendre davantage, nous avons omis une foule de dispositions qui ont leur intérêt, sans doute, mais moins grand, moins général, moins absolu que celles signalées par nous à l'attention de nos lecteurs. Nous ne pouvons cependant passer sous silence le préambule et les principales dispositions de l'édit de 1561, tant l'un et l'autre respirent la sagesse et l'amour de T'humanité. Nos lecteurs ne s'en étonneront pas, en se rappelant que le grand citoyen qui les rédigea fut le chancelier Michel de L'Hôpital, cet homme en qui se réunissaient une si grande intelligence et une âme si belle.

Dans le préambule de cet édit de Charles IX, daté de Fontainebleau, le roi déclare, après avoir esté duement informé, en nostre conseil, que les hôpitaux et autres lieux

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