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L'ADOPTION est, en général, un acte civil qui établit entre deux personnes, des rapports de paternité et de filiation qui n'existaient pas naturellement.

[J'ai rédigé cette définition, d'après l'opinion dans laquelle j'ai toujours été, que l'on ne pouvait adopter son enfant naturel. Mes motifs étaient, et sont encore:

1o. Que cela était formellement défendu dans le droit romain. (L. 7, Cod. de Natural. Liberis, et Novell. 89, cap. 7.)

2o. Que ce serait un moyen facile d'éluder la disposition prohibitive contenue dans l'article 908; et effectivement il est arrivé par le fait, que presque toutes les adoptions qui ont eu lieu depuis l'introduction du système que je combats, ont été des adoptions d'enfans naturels. D'ailleurs, l'article 908 porte que l'enfant naturel ne peut, par donation entre-vifs, ni par testament, rien recevoir au delà de ce qui lui est accordé au Titre des Successions. Or, qu'est-ce que l'adoption à l'égard de l'enfant naturel? Rien autre chose qu'une donation entre-vifs de la succession; car on ne compte que quatre effets de l'adoption:

Permission à l'adopté de prendre le nom de l'adoptant; Obligation de se fournir mutuellement des alimens; Prohibition de mariage entre eux, et à l'égard de certaines personnes;

Enfin institution irrévocable d'héritier, en faveur de l'adopté.

Or, de ces quatre effets, les trois premiers existent à l'égard de l'enfant naturel reconnu, par sa seule qualité d'en

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fant naturel, et indépendamment de l'adoption: donc l'adoption n'est réellement, au moins à l'égard de l'enfant naturel reconnu, qu'une institution contractuelle. Or, soit que vous considériez cette institution, avec quelques auteurs, comme une donation entre-vifs de la succession, ou avec d'autres, comme un testament irrévocable, sous l'un et l'autre rapport elle est comprise dans la prohibition de l'article 908: donc cet article prohibe implicitement l'adoption de l'enfant naturel.

Enfin mon troisième motif est, que ce serait aller directement contre l'intention perpétuellement manifestée par le législateur, d'encourager le mariage et de le favoriser par tous les moyens possibles. L'on voit, en effet, dans le discours de l'orateur du Gouvernement, qu'un des motifs qui ont fait balancer à admettre l'adoption, a été la crainte qu'elle ne nuisît au mariage.

« L'adoption, dit-il, bonne en soi, manquerait son >> but, si elle nuisait au mariage. » Plus bas : « Si la faculté » d'adopter pouvait être un encouragement général au cé» libat, il faudrait, sans doute, ravir cette faculté aux » célibataires, plutôt que d'exposer la société tout entière » aux maux résultant de l'abandon du mariage. »

Or, l'adoption de l'enfant naturel doit avoir précisément tous ces résultats dangereux; elle contrarie même ouvertement le principe qui a fait admettre la légitimation par mariage subsequent. Cette légitimation est, en effet, un puissant encouragement au mariage, puisque, le plus souvent, le mariage avec la concubine n'a lieu que pour légitimer les enfans, et leur assurer les droits de successibilité. Or, les père et mère n'auront plus besoin maintenant de recourir au mariage, puisqu'ils parviendront au même but par l'adoption. Ils craindront même de contracter un autre mariage, qui pourrait leur donner des enfans légitimes, dont l'existence ferait obstacle à l'adoption.

Telles sont les raisons qui, réunies à d'autres que nous ferons connaître successivement, me portent à penser, surtout dans le silence de la loi, que l'enfant naturel ne peut être adopté. Voir également dans SIREY, 1816, 1re partie,

pag. 45, un arrêt de la cour de Nismes, du 50 décembre 1812, qui a rejeté l'adoption d'un enfant naturel, et sur le pourvoi contre cet arrêt, un plaidoyer du Procureur-Général près la Cour de cassation, qui a parlé entièrement dans le sens de l'opinion que j'établis ici. Voir enfin un arrêt de la Cour de cassation, du 23 décembre 1816, cité plus bas, et dont l'un des motifs porte textuellement : « Qu'on ne » peut supposer que le législateur, qui a toujours si solen>> nellement consacré l'incapacité absolue des bâtards adul»térins pour acquérir des droits de filiation et de successi>>bilité, se soit mis en opposition avec lui-même, en étendant » à ces bâtards la voie indirecte de l'adoption, au préjudice » des enfans nés dans le légitime mariage : que cette inça>>pacité annule l'adoption dans son essence, et s'oppose, >> par conséquent, à ce qu'une pareille adoption produise >> aucun effet, quant aux droits de filiation et de successibi>>> lité, etc. >>>

A la vérité, il n'est question, dans ce dernier arrêt, que d'enfans adultérins, parce que la question ne s'était présentée qu'à leur égard. Mais, si l'on observe qu'il y a pareille prohibition, relativement à la successibilité, à l'égard des enfans naturels simples, qu'à l'égard des enfans adultérins, sauf le plus ou moins d'étendue de la quotité disponible, on sera convaincu que les mêmes raisonnemens pourront être appliqués avec le même succès à l'enfant naturel simple.

L'on a fait cette objection: Comme la prohibition ne peut avoir lieu qu'à l'égard de l'enfant naturel reconnu, il en résultera qu'on ne reconnaîtra pas l'enfant, afin de pouvoir l'adopter; de là il suivra que l'adoption n'aura pas moins lieu, et que la doctrine que nous voulons établir, aura seulement pour effet de nuire à l'enfant naturel, dont le père, par exemple, viendra à décéder avant sa majorité, et par conséquent avant d'avoir pu l'adopter.

Rien de plus facile que de rétorquer cet argument. En effet, il faut observer que les partisans de l'adoption de l'enfant naturel sont les mêmes qui soutiennent que la recherche de la paternité doit être interdite en général, même contre l'enfant. Or, d'après cela, ne peut-on pas leur dire :

Il était fort inutile de prohiber les avantages excessifs faits aux enfans naturels, parce que cette prohibition ne pouvant s'appliquer qu'aux enfans naturels reconnus, il en résultera qu'on ne les reconnaîtra pas, afin de pouvoir les avantager?

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y a même cette différence, que le seul fait de la non-reconnaissance suffit, dans l'opinion de ces personnes, pour donner le droit d'éluder toutes les lois prohibitives des avantages, tandis que ce fait seul ne suffit pas pour donner le droit d'adopter, puisqu'il faut encore la réunion de certaines conditions, et l'observation de certaines formalités. Dans notre système, au contraire, toutes ces contradictions s'évanouissent.

Recherche de la paternité contre l'enfant;

Prohibition d'adopter son enfant naturel.

Au moyen de ces deux dispositions, qui peuvent très-bien se concilier avec celles du Code, nul moyen d'enfreindre les lois prohibitives des avantages faits aux enfans naturels, adultérins, ou incestueux.

Encouragement donné au mariage, comme étant le seul de donner à l'enfant naturel le droit d'un enfant lé

moyen

gitime.

Nul intérêt de ne pas reconnaître l'enfant naturel; intérêt au contraire, de le reconnaître, puisque, soit qu'il y ait reconnaissance ou non, la prohibition d'avantager sera toujours la même, etc.

Nota. Depuis la 1re édition de cet ouvrage, la Cour de Nanci a, par son arrêt du 18 août 1814, rapporté dans SIREY, 1815, 2o partie, pag. 209, annulé l'adoption d'un enfant adultérin; et le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté le 25 décembre 1816. (Ibid., 1817, 1ro partie, pag. 164.) Or, les raisons sont de même nature, quoique moins fortes, à l'égard de l'enfant naturel.

Espérons, au surplus, qu'une législation plus saine nous débarrassera de toutes ces questions, en supprimant l'adoption; institution nouvelle dans nos mœurs, et qui n'a et qui n'a produit jusqu'à présent d'autre avantage, que de faciliter les moyens d'enrichir les fruits de la débauche et du libertinage.

Un prêtre pourrait-il adopter? L'adoption établissant, entre l'adoptant et l'adopté, certains rapports de paternité et de filiation, il paraît inconvenant qu'elle ait lieu de la part d'une personne à l'égard de laquelle ces rapports sont censés ne pouvoir exister. Je pense donc que le prêtre qui, aux termes des lois civiles, ne peut se marier, ne peut davantage adopter.]

Un acte civil: L'adoption étant une institution purement civile, ceux-là seuls peuvent adopter ou être adoptés, auxquels la loi le permet expressément.

Quatre conditions sont nécessaires pour pouvoir adopter.

Il faut : 1°. Avoir au moins cinquante ans, et quinze ans de plus que l'adopté. [Les cinquante ans doivent être révo- 343. lus; c'est ainsi, je pense, qu'on doit entendre ces mots : ágés de plus de cinquante ans.]

2o. Avoir donné à l'individu que l'on veut adopter, durant sa minorité, et pendant six ans au moins, des soins et des secours non interrompus.

[L'on veut que les soins aient été donnés à une époque où l'adopté en avait le plus besoin. On veut être sûr que l'adoption n'est pas l'effet d'un caprice, ou d'un sentiment de haine envers les héritiers, mais bien d'une affection particulière pour l'adopté. On voit, dans la discussion et dans les motifs, qu'on a eu l'intention de récompenser, par la faculté d'adopter, les vues bienfaisantes de celui qui a voulu se charger d'un enfant pendant sa minorité. Et c'est encore là une très-forte objection contre le système de l'adoption des enfans naturels. Peut-on, en effet, savoir gré à un père, des soins qu'il a donnés à son enfant? et la loi qui croirait avoir besoin de récompenser l'accomplissement d'un des devoirs les plus sacrés de la nature, serait-elle une loi bien morale?

Au reste, il suffit que les soins aient été donnés gratuitement et sans obligation; il n'est pas nécessaire qu'ils aient été donnés en vue de l'adoption; et ce qui le prouve, c'est qu'il suffit que l'adoptant n'ait pas d'enfans à l'époque de l'adoption, quand même il en aurait eu à l'époque où il donnait des soins à l'adopté.

Comment doit être prouvée la prestation des soins? La loi

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