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les engagemens généraux des conditions, des professions, des emplois, et qui met chaque personne dans un certain état de vie, dont les engagemens particuliers doivent être les suites.

La seconde voie est la disposition des événemens et des conjonctures, qui déterminent chacun aux engagemens particuliers, selon les occasions et les circonstances où il se rencontre.

2. Toutes ces sortes d'engagemens de cette seconde espèce sont, ou volontaires, ou involontaires. Car, comme l'homme est libre, il y a des engagemens où il entre par sa volonté; et comme il est dépendant de l'ordre divin, il y en a où Dieu le met sans son propre choix: mais, soit que les engagemens dépendent de la volonté, ou qu'ils en soient indépendans dans leur origine, c'est par sa liberté que l'homme agit dans les uns et dans les autres; et toute sa conduite renferme toujours ces deux caractères, l'un, de la dépendance de Dieu, dont il doit suivre l'ordre, et l'autre, de sa liberté, qui doit l'y porter. Ainsi toutes ces sortes d'engagemens sont proportionnés, et à la nature de l'homme, et à son état pendant cette vie.

3. Les engagemens volontaires sont de deux sortes : quelquesuns se forment mutuellement entre deux ou plusieurs personnes, qui se lient et s'engagent réciproquement l'une à l'autre par leur volonté ; et d'autres se forment par la volonté d'un seul qui s'engage envers d'autres personnes, sans que ces personnes traitent avec lui.

On distinguera facilement ces deux sortes d'engagemens par quelques exemples: ainsi, pour les engagemens volontaires et mutuels, on voit que pour les divers besoins qu'ont les hommes. de se communiquer les uns aux autres leur industrie et leur travail, et pour les différens commerces de toutes choses, ils s'associent, louent, vendent, achètent, et changent, et font entre eux toutes les autres sortes de conventions.

Ainsi, pour les engagemens qui se font par la volonté d'un seul, on voit que celui qui se rend héritier s'oblige envers les créanciers de la succession (c. civ., 793, s. 883), que celui qui entreprend la conduite de l'affaire d'un absent, à son insu, s'oblige aux suites de l'affaire qu'il a commencée; et qu'en général tous ceux qui entrent volontairement dans quelques emplois, s'obligent aux engagemens qui en sont les suites. (C. civ., 112, s.)

4. Les engagemens involontaires sont ceux où Dieu met les hommes sans leur propre choix. Ainsi, ceux qui sont nommés à ces charges, qu'on appelle municipales, comme d'échevins, consuls et autres, et ceux que la justice engage dans quelques commissions, sont obligés de les exercer, et ne peuvent s'en dispenser, s'ils n'ont des excuses. (i, 384, 385. C. civ. 427, 428.) Ainsi, celui qui est appelé à une tutelle est obligé, indépendamment de sa volonté, à tenir lieu de père à l'orphelin qu'on met sous sa

charge. (C. civ., 419.) Ainsi, celui dont l'affaire a été conduite en son absence et à son insu par un ami qui en a pris le soin, est obligé envers cet ami, de lui rendre ce qu'il a raisonnablement dépensé, et de ratifier ce qu'il a bien géré. (C. civ., 1372.) Ainsi, celui dont la marchandise a été sauvée d'un naufrage par la décharge du vaisseau, d'où l'on a jeté d'autres marchandises, est obligé de porter sa part de la perte des autres, à proportion de ce qui a été garanti pour lui. (Cod. 415, s.) Ainsi, l'état de ceux qui se trouvent dans la société, et sans biens, et dans l'impuissance de travailler pour y subsister, fait un engagement à tous les autres d'exercer envers eux l'amour mutuel, en leur faisant part d'un bien où ils ont droit. Car tout homme étant de la société, a droit d'y vivre; et ce qui est nécessaire à ceux qui n'ont rien, et qui ne peuvent gagner leur vie, est, par conséquent, entre les mains des autres; d'où il s'ensuit qu'ils ne peuvent sans injustice le leur retenir. Et c'est à cause de cet engagement que, dans les nécessités publiques, on oblige les particuliers, même par des contraintes, à secourir les pauvres selon les besoins. Ainsi, l'état de ceux qui souffrent quelque injustice, et qui sont dans l'oppression, est un engagement à ceux qui ont le ministère et l'autorité de la justice, de la mettre en usage pour les protéger. (i. 22, s.)

5. On voit dans toutes ces sortes d'engagemens, et dans tous les autres qu'on saurait penser, que Dieu ne les forme, et n'y met les hommes que pour les lier à l'exercice de l'amour mutuel, et que tous les différens devoirs que prescrivent les engagemens, ne sont autre chose que les divers effets que doit produire cet amour, selon les conjonctures et les circonstances. Ainsi, en général, les règles qui commandent de rendre à chacun ce qui lui appartient, de ne faire tort à personne, de garder toujours la fidélité et la sincérité, et les autres semblables, ne commandent que des effets de l'amour mutuel. Car aimer, c'est vouloir et faire du bien; et on n'aime point ceux à qui on fait quelque tort, ni ceux à qui on n'est pas fidèle et sincère. Ainsi, en particulier, les règles qui ordonnent au tuteur de prendre le soin de la personne et des biens du mineur qui est sous sa charge, ne lui commandent que les effets de l'amour qu'il doit avoir pour cet orphelin. (C. civ., 1370, s.) Ainsi, les règles des devoirs de ceux qui sont dans les charges et dans toute autre sorte d'engagemens généraux ou particuliers, ne leur prescrivent que ce que demande la seconde loi, comme il est facile de le reconnaître dans le détail des engagemens, et il est si vrai que c'est le commandement d'aimer qui est le principe de toutes les règles des engagemens, et que l'esprit de ces règles n'est autre chose que l'ordre de l'amour qu'on se doit réciproquement, que s'il arrive qu'on ne puisse, par exemple, rendre à un autre ce qu'on a de lui, sans blesser cet ordre, ce devoir est suspendu jusqu'à ce qu'on puisse l'accomplir selon

cet esprit. Ainsi, celui qui a l'épée d'une personne insensée, ou d'une autre qui la demande dans l'emportement d'une passion, ne doit pas la lui rendre, jusqu'à ce que cette personne soit en état

de n'en pas faire un mauvais usage; car ce ne serait pas l'aimer que la lui donner dans ces circonstances.

C'est ainsi que la seconde loi commande aux hommes de s'entr'aimer; car l'esprit de cette loi n'est pas d'obliger chacun d'avoir pour tous les autres cette inclination qu'attirent les qualités qui rendent aimable; mais l'amour qu'elle ordonne consiste à désirer aux autres leur vrai bien, et à le leur procurer autant qu'on le peut, et c'est par cette raison que, comme ce commandement est indépendant du mérite de ceux que l'on doit aimer, et qu'il n'excepte qui que ce soit, il oblige d'aimer ceux qui sont les moins aimables, et ceux mêmes qui nous haïssent. Car la loi qu'ils violent subsiste pour nous, et nous devons souhaiter leur vrai bien, et le leur procurer (1), autant par l'espérance de les ramener à leur devoir, que pour ne pas violer le nôtre.

On a fait ici ces réflexions, pour faire voir que, comme c'est la seconde loi qui est le principe et l'esprit de toutes celles qui regardent les engagemens, ce n'est pas assez de savoir, comme savent les plus barbares, qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient, qu'il ne faut faire tort à personne, qu'il faut être sincère et fidèle, et les autres règles semblables, mais qu'il faut de plus considérer l'esprit de ces règles, et la source de leur vérité dans la seconde loi, pour leur donner toute l'étendue qu'elles doivent avoir. Car on voit souvent que, faute de ce principe, plusieurs juges qui ne regardent ces règles que comme des lois politiques, sans en pénétrer l'esprit qui oblige à une justice plus abondante, ne leur donnent pas leur juste étendue, et tolèrent des infidélités et des injustices qu'ils réprimeraient, si l'esprit de la seconde loi était leur principe.

6. Il faut ajouter à ces remarques sur ce qui regarde les engagemens, qu'ils demandent l'usage d'un gouvernement qui contienne chacun dans l'ordre des siens. C'est pour ce gouvernement que Dieu a établi l'autorité des puissances nécessaires pour maintenir la société, comme on le verra dans le chapitre dixième. Et il faut seulement remarquer ici, sur le sujet du gouvernement, et à l'occasion des engagemens, qu'il y en a plusieurs qui se forment par cet ordre du gouvernement, comme entre les princes et les sujets, entre ceux qui sont dans les dignités et charges publiques et les particuliers, et d'autres encore qui sont de cet ordre.

Le roi et ses successeurs jureront, dans la solennité de leur sacre, d'observer fidèlement la présente Charte constitutionnelle (2).

7. Il a été nécessaire de donner cette idée générale de toutes (1) Levit. 19, 17; ibid. 18. Exod. 23, 45. Ps. 7, 5. Prov. 25, 21. Rom. 12, 20. Matth. 5, 42. (2) Charte, art. 74.

ces diverses sortes d'engagemens, dont il a été parlé jusqu'à cette heure. Car, comme c'est par ces liens que Dieu applique les hommes à tous leurs différens devoirs, et qu'il a mis dans chaque engagement les fondemens des devoirs qui en dépendent; c'est dans ces sources qu'on doit reconnaître les principes et l'esprit des lois selon les engagemens où elles se rapportent. On a vu, dans les engagemens du mariage et de la naissance, les principes des lois qui les regardent; et il faut découvrir dans les autres engagemens qu'on vient d'expliquer, les principes des lois qui leur sont

propres.

On se réduira à ceux qui se rapportent aux lois civiles; et comme la plus grande partie des matières du droit civil sont des suites des engagemens dont on a parlé dans ce chapitre, on expliquera, dans le chapitre suivant, quelques règles générales qui suivent de la nature de ces engagemens, et qui sont en même temps les principes des règles particulières des matières qui naissent de ces mêmes engagemens.

CHAPITRE V.

De quelques règles générales qui suivent des engagemens dont on a parlé dans le chapitre précédent, et qui sont autant de principes des lois civiles.

1. Ces règles générales dont on vient de parler, et qui se tirent de tout ce qui a été dit dans le chapitre précédent, et aussi dans les autres, sont celles qui suivent; et on les expliquera en autant d'articles, comme des conséquences des principes qu'on a établis. Il s'ensuit donc de ces principes :

2. Que tout homme étant un membre du corps de la sociéte, chacun doit y remplir ses devoirs et ses fonctions, selon qu'il y est déterminé par le rang qu'il occupe et par les autres engagemens, d'où il s'ensuit que les engagemens de chacun lui sont comme ses lois propres;

3. Que chaque particulier étant lié à ce corps de la société dont il est un membre, il ne doit rien entreprendre qui en blesse l'ordre; ce qui renferme l'engagement de la soumission et de l'obéissance aux puissances que Dieu a établies pour maintenir cet ordre (1);

Que l'engagement de chaque particulier, à ce qui regarde l'ordre de la société dont il fait partie, ne l'oblige pas seulement à ne rien faire, à l'égard des autres, qui blesse cet ordre, mais l'oblige aussi à se contenir dans son rang, de telle manière qu'il ne fasse aucun mauvais usage ni de soi-même, ni de ce qui est à lui: car il est dans la société ce qu'est un membre dans le corps. (1) Rom. 13, 1, Tit. 3, 1, 1. Petr. 2, 13. Sap. 6, 4.

Ainsi ceux qui, sans faire tort à d'autres, tombent dans quelque dérèglement qui offense le public, soit en leurs personnes ou sur leurs biens, comme font ceux qui se désespèrent, ceux qui blasphèment ou qui jurent, ceux qui prodiguent leurs biens (C. civ. 513, s.), et tous ceux enfin qui violent les bonnes mœurs (C. civ., 6, 1133, 1172), la pudeur ou l'honnêteté, d'une manière qui blesse l'extérieur, sont justement punis par les lois civiles, selon la qualité du dérèglement (1);

4. Que dans tous les engagemens de personne à personne, soit volontaires ou involontaires, qui peuvent être des matières des lois civiles, on se doit réciproquement ce que demandent les deux préceptes que renferme la seconde loi: l'un de faire aux autres ce que nous voudrions qu'ils fissent pour nous (2), et l'autre de ne faire à personne ce que nous ne voudrions pas que d'autres nous fissent (3); ce qui comprend la règle de ne faire tort à personne, et celle de rendre à chacun ce qui lui appartient (4);

5. Que dans les engagemens volontaires et mutuels, ceux qui traitent ensemble se doivent la sincérité, pour se faire entendre réciproquement à quoi ils s'engagent, la fidélité pour l'exécuter (5), et tout ce que peuvent demander les suites des engagemens où ils sont entrés (6). Ainsi, le vendeur doit déclarer sincèrement les qualités de la chose qu'il vend; il doit la conserver jusqu'à ce qu'il la délivre, et il doit la garantir après qu'il l'a délivrée. (C. civ. 1641, s.)

6. Que dans les engagemens involontaires, l'obligation est proportionnée à la nature et aux suites de l'engagement, soit qu'il consiste à faire ou donner, ou en autre sorte d'obligation(7). Ainsi, le tuteur est obligé à la conduite de la personne, et à l'administration des biens de l'orphelin qui est sous sa charge, et à tout ce que cette conduite et cette administration rendent nécessaire. Ainsi, celui qui est appelé à une charge publique, quoique contre son gré, doit s'en acquitter. Ainsi, ceux qui, sans convention, se trouvent avoir quelque chose de commun ensemble, comme des cohéritiers et autres, se doivent réciproquement ce que leurs engagemens peuvent demander. (C. civ. 780, s.; 786, s.; 817, s.)

7. Qu'en toute sorte d'engagemens, soit volontaires ou involontaires, il est défendu d'user d'infidélité, de duplicité, de dol, de mauvaise foi et de toute autre manière de nuire et de faire tort (8);

8. Que tous les particuliers composant ensemble la société, tout ce qui en regarde l'ordre, fait à chacun un engagement de ce que cet ordre demande de lui, et il peut y être obligé par

l'auto

(1) Eccles. 11, 22, 1. Cor. 14, 40, L. 10, § 1, ff. de just. et jur. § 3, inst. eod. S2, inst. de his qui sui vel al. jur. sunt. (2) Matth. 7, 12. Luc. 6, 31. (3) Tob. 4, 16. (4) L. 10, § 1, ff. de just. et jure, § 3, inst. Cod. (5) Philip, 1, 10. Prov. 12, 22. Eccles. 29, 3. (6) L. 1, § ult. ff. de obl. et act. (7) L. 3, ff. de obl. et act. (8) Thessal. 4, 6, L. 1, § 1, ff. de dolo.

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