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TITRE X.

De ce qui se fait en fraude des créanciers.

Quoique les fraudes, au préjudice des créanciers, se fassent souvent par des conventions entre les débiteurs et ceux qui sont avec eux d'intelligence, les engagemens qui naissent de ces fraudes, et qui obligent envers les créanciers ceux qui y participent, ne laissent pas d'être du nombre des engagemens qui se forment sans convention; car il ne s'en passe aucun entre eux et le créancier.

Les fraudes que font les débiteurs et ceux qui se rendent leurs complices, pour faire perdre aux créanciers ce qui leur est dû, sont de plusieurs sortes, et forment des engagemens qui feront la matière de ce titre.

Il faut remarquer, sur cette matière des fraudes qui se font au préjudice des créanciers, que les fraudes que peuvent faire des débiteurs par des dispositions de leurs immeubles, sont bien moins fréquentes parmi nous, qu'elles ne l'étaient dans le droit romain; car on y contractait souvent sans écrit (1), et l'hypothèque même pouvait s'acquérir par une convention non écrite, et par un simple pacte (2); ce qui rendait les fraudes faciles. Mais par notre usage, toutes conventions qui excèdent la valeur de cent livres doivent être écrites (3); et l'hypothèque ne s'acquiert que par des actes passés par-devant des notaires ou par l'autorité de juge. Ainsi, les créanciers ont leur assurance sur les immeubles par leur hypothèque, qu'on ne peut leur faire perdre que par des actes faux; ce qui est difficile: car il faut que l'acte faux soit fabriqué par les notaires mêmes ou par des personnes qui imitent leurs seings.

On n'a pas mis dans ce titre la règle du droit romain, qui laisse au débiteur la liberté de renoncer aux successions testamentaires, et ab intestat, qui peuvent lui écheoir, quoique ses créanciers en reçoivent du préjudice (4) : ce qui était fondé sur ce que chacun peut s'abstenir d'augmenter ses biens (5). Ainsi, on ne considérait comme fraude au préjudice des créanciers que ce qui allait à la diminution des biens déja acquis au débiteur. Et on ne mettait pas non plus au nombre des fraudes au préjudice des créanciers, la délivrance que pouvait faire un héritier du total des legs et des fideicommis, sans retenir ces portions qu'on appelle la falcidie et la trébellianique, dont il sera parlé dans la seconde partie, parce qu'on jugeait que l'héritier avait la liberté de se priver de ce que la loi lui donnait droit de retrancher sur les legs et les fideicommis, et qu'ainsi il pouvait acquitter pleinement la volonté

(1) Toto tit. ff. de verb. obl. Iust. eod. (2) L. 4, ff. de pign. (3) V. l'art. 12 de la sect. 1 des convent. (4) L. 6, § 2, ff. quæ in fraud. cred. (5) L. 6, ff. quæ in fr. cred. V. L. 28, ff. de verb. sign. L. 119, ff. de reg. jur. L. 134, eod.

du défunt. Et ce qui a obligé à ne pas mettre ici ces règles, c'est qu'il y a quelques coutumes qui veulent que, si un débiteur renonce à une succession qui lui soit échue, ses créanciers puissent se faire subroger à ses droits pour l'accepter s'ils espèrent y trouver leur compte: ce qui ne fait aucun tort au débiteur; car, si la succession est avantageuse, il est juste que ses créanciers en profitent; et si, au contraire, elle est onéreuse, ils ne l'engagent point, et ne s'obligent qu'eux-mêmes aux charges de cette succession. Et à l'égard de la falcidie et de la trébellianique, si les legs et les fideicommis n'étant pas encore acquittés par l'héritier, ses créanciers en empêchaient la délivrance pour retenir la falcidie ou la trébellianique, il semble qu'il serait de l'équité qu'il leur fût permis d'exercer ce droit de leur débiteur; car il est naturel, et de notre usage, et des règles mêmes du droit romain, que les créanciers puissent exercer tous les droits et les actions de leurs debiteurs, comme il est dit expressément en la loi première. Cod. de præt. pign., dont voici les termes: Si prætorium pignus quicumque judices dandum alicui perspexerint, non solùm super mobilibus rebus et immobilibus, et se moventibus, sed etiàm super actionibus quæ debitori competunt, præcipimus hoc eis licere decernere. A quoi on peut ajouter qu'il se peut faire que le créancier ait eu sujet de compter, parmi les assurances qu'il pouvait prendre sur les biens de son débiteur, celles des successions qu'il pouvait attendre.

SECTION PREMIÈRE.

Des diverses sortes de fraudes qui se font au préjudice des créanciers.

1. Tout ce que font les débiteurs pour frustrer leurs créanciers par des aliénations et autres dispositions quelles qu'elles soient, est révoqué, selon que les circonstances et les règles qui suivent peuvent y donner lieu (1).

2. Toutes les dispositions que peuvent faire les débiteurs à titre de libéralité au préjudice de leurs créanciers, peuvent être révoquées, soit que celui qui reçoit la libéralité ait connu le préjudice fait aux créanciers, ou qu'il l'ait ignoré; car sa bonne foi n'empêche pas qu'il ne fût injuste qu'il profitât de leur perte. Mais si le donataire ayant été de bonne foi, la chose donnée n'était plus en nature, et qu'il n'en eût tiré aucun profit, il ne serait pas tenu de rendre un bienfait dont il ne lui resterait aucun avantage (2).

3. Les aliénations de meubles et immeubles que font les débiteurs à autre titre que de libéralité, à deux personnes qui ac

̧(1) L. 1, § 1, ff. quæ in fr. cred. § 6, inst. de act. Dict. leg. § 2. (2) L. 6, § 11, ff. quæ in fraud. cred. L. 5. C. de revoc. his infr. cred

quièrent de bonne foi, et à titre onéreux, ignorant qu'il soit fait préjudice à des créanciers, ne peuvent être révoquées, quelque intention de frauder qu'ait le débiteur; car sa mauvaise foi ne doit pas causer une perte à ceux qui exercent avec lui un commerce licite, et sans part à sa fraude (1). (C. civ. 1302, § 4.)

On peut remarquer sur cet article, qu'il ne s'étend pas au cas où les créanciers ont un privilége ou une hypothèque sur la chose aliénée.

4. Quoique l'aliénation frauduleuse soit faite à titre onéreux, comme par une vente, s'il est prouvé que l'acheteur ait participé à la fraude pour en profiter, achetant à vil prix, l'aliénation sera révoquée, sans aucune restitution du prix à cet acheteur complice de la fraude (2), à moins que les deniers qu'il aurait payés se trouvassent encore en nature entre les mains de ce débiteur qui lui aurait vendu (3).

5. Pour obliger à la restitution celui qui acquiert d'un débiteur, ce n'est pas assez qu'il ait su que ce débiteur avait des créanciers; mais il faut que le dessein de frauder lui ait été connu; car plusieurs de ceux qui ont des créanciers ne sont pas insolvables, et on ne se rend complice d'une fraude qu'en y prenant part (4).

6. Si le dessein de frauder n'est pas suivi de l'événement et de la perte effective des créanciers, et que, par exemple, pendant qu'ils exercent leur action, ou qu'ils veulent l'exercer, le débiteur les satisfasse par la vente de ses biens ou autrement, l'aliénation qui avait été faite à leur préjudice aura son effet. Et si dans la suite il vient à emprunter, les nouveaux créanciers ne pourront pas révoquer cette première aliénation, qui n'avait pas été faite à leur préjudice (5). Mais s'ils avaient prêté pour payer les premiers, et que leurs deniers eussent été employés à ce paiement, ils pourraient révoquer l'aliénation faite avant leur créance : car en ce cas ils exerceraient les droits de ceux à qui ce paiement les aurait subrogés, suivant les règles expliquées en leur lieu (6).

7. Toutes les manières dont les débiteurs diminuent frauduleusement le fonds de leurs biens pour en priver leurs créanciers, sont illicites, et tout ce qui sera fait à leur préjudice par de telles voies, sera révoqué. Ainsi les donations, les ventes à vil prix, ou à un prix simulé, dont le débiteur donne la quittance, les transports à des personnes interposées, les acquits frauduleux, et généralement tous les contrats et autres actes et dispositions faits en fraude des créanciers, seront annulés (7).

8. Si pour frauder des créanciers un débiteur, d'intelligence avec son débiteur, se désiste d'une hypothèque qu'il avait pour

(1) L. 1, ff. quæ in fraud. cred. L. r, eod. L. 6, § 8, eod. (2) L. 7, ff. quæ in fr. cred. (3) L. 8, eod. (4) L. 10, § 2, ff. quæ in fr. cred. Dict. leg. 10, § 4. (5) L. 10, § 1, ff. quæ in fr. cred. L. 15, L. 6, eod. L. 15, eod. L. 1. C. qui man. n. poss. (6) V. la sect. 7 des Gages et Hypoth. (7) L. 1, § 2, et L. 2, ff. quæ in fraud cred. L 7, eod.

sa sûreté (1). Si pour éteindre la dette il fournit à son débiteur des exceptions qui ne lui fussent pas justement acquises, ou s'il lui défère le serment sur une demande dépendant des faits qu'il pouvait prouver (2); s'il transige de mauvaise foi, ou s'il donne quittance sans paiement (3); s'il se laisse débouter d'une demande légitime par collusion avec son débiteur, ou s'il se laisse condamner envers un créancier contre qui il avait de justes défenses (4); s'il laisse périr une instance (5); s'il laisse prescrire une dette par intelligence avec son débiteur (6); et s'il fait ou cesse de faire quelque autre chose par où il cause une perte ou une diminution volontaire de ses biens au préjudice de ses créanciers (7); ce qui aura été fait par collusion sera révoqué, et les créanciers seront remis aux premiers droits de leurs débiteurs (8).

9. Si un débiteur qui avait un terme pour payer ce qu'il devait à un de ses créanciers, ou qui ne devait que sous une certaine condition, qui n'était pas encore arrivée, colludant avec ce créancier pour le favoriser, lui avance son paiement; les autres créanciers pourront demander à celui qui aura reçu ce paiement les intérêts du temps de l'avance (9), et même le principal, si c'était une dette qui ne fût due que sous une condition qui ne serait pas encore arrivée et en ce cas, il sera pourvu à la sûreté de ceux à qui cet argent devra revenir; soit de ce créancier, si la condition arrive, ou de ceux qui devront le recevoir, si elle n'arrive point. (Co. 446, C. civ. 1167.)

La fixation du jour auquel doit remonter l'ouverture d'une faillite n'emporte pas pour les juges l'obligation d'annuler les actes; notaınment les paiemens de dettes échues, faits de bonne foi, le jour même de l'ouverture déterminée, si ce jour-là la faillite du débiteur n'était ni déclarée, ni publiquement connue (10).

Les billets qu'un failli souscrit au profit de l'un de ses créanciers doivent être annulés; lorsqu'ils n'ont été consentis que pour obtenir la signature de ce créancier au concordat, le failli peut en demander luimême la nullité après son concordat. (V. 524.) (11).

10. Si un débiteur s'oblige au préjudice de ses créanciers pour des choses qu'ils ne doivent point; s'il donne de l'argent ou quelque autre chose à des personnes à qui il ne devait rien, ou s'il fait d'autres semblables fraudes, le tout sera révoqué par ses créanciers (12). (Co. 447.)

Les créanciers d'un pensionnaire de l'état ne peuvent exercer qu'après sa mort, et seulement sur le décompte de sa pension, les poursuites et diligences nécessaires pour la conservation de leurs droits (13).

I.

(1) L. 2, ff. quæ in fr. cred. (2) L. 3, eod. L. 9, § de jurejur. (3) L. 17, ff. quæ in fr. cred. L. 1, § 9, ff. si quid in fr. patr. (4) L. 3, § 1, ff. quæ in fr. cred. (5) Dict. § 1. (6) Dict. §1. (7) Dict. leg. 3, Sult. et L. 4, eod. (8) L. 1, §ult. eod. (9) L. 10, § 12, ff. quæ in fr. cred. L. 17, in fin eod. (10) Rejet, 28 mai 1823. Cass. 22 juillet 1823. (11) Rouen, 14 déc. 1824. (12) L. 3, ff. quæ in fr cred. (13) Arrêté du gouvernement du 7 thermidor an 10.

Un créancier hypothécaire peut attaquer la vente faite par son débiteur, d'un immeuble sur lequel ne frappe pas son hypothèque, si cette vente est simulée et frauduleuse (1).

Les ventes faites par un déconfit ne sont pas nulles ou annulables, comme les ventes par un failli, hors le cas de fraude constatée (2).

Le créancier auquel son débiteur a donné un immeuble en antichrèse peut, lorsque ce débiteur attaque la vente de cet immeuble, intervenir pour appuyer la demande en nullité y ayant intérêt, puisque la vente lui enleverait la jouissance des revenus de l'immeuble (3).

La reconnaissance authentique du mari, par laquelle il prouve qu'il a reçu plusieurs sommes appartenant à sa femme, ne peut être opposée aux créanciers de celui-là, lorsque rien ne constate la numération réelle des deniers (4).

Le créancier devenu adjudicataire des immeubles affectés à sa créance, peut, par des présomptions, attaquer comme frauduleux le bail authentique des mêmes immeubles, consenti par le débiteur, postérieurement à son obligation, mais antérieurement à la saisie immobilière (5). La surenchère faite sur une vente volontaire n'est pas une approbation de cette vente, telle que le surenchérisseur ne puisse plus arguer le contrat de dol et de fraude, lorsqu'il s'en est réservé la faculté en surenchérissant (6). Un créancier peut même, après l'expiration des délais de la surenchère, et après avoir provoqué l'ouverture de l'ordre, attaquer la vente consentie par son débiteur, par le motif que le prix porté au contrat est moindre que le prix réellement convenu (7).

Lorsqu'un débiteur a simulé la vente d'un immeuble, son créancier, quoique simple chirographaire, est recevable à quereller cette vente (8).

11. On ne doit pas mettre au nombre des libéralités frauduleuses qui peuvent être révoquées, ce qui est donné à titre de dot, soit par le père de la fille, ou par d'autres personnes, lorsque le mari ignore la fraude: car encore que la dot puisse être constituée frauduleusement de la part de ceux qui dotent la fille, le mari qui reçoit la dot à titre onéreux, et qui sans cette dot ne se serait pas engagé dans le mariage, ne doit pas la perdre (9). Mais si le mari avait participé à la fraude, il pourrait être tenu de ce qui serait de son fait, selon les circonstances (10).

Par les ordonnances de François Ier du 8 juin 1532, et de Charles IX, en janvier 1563, les constitutions de dot ne pouvaient excéder mille livres. Ce qui pouvait avoir entre autres motifs celui de réprimer les fraudes dans les dots. Mais ces ordonnances ne sont d'aucun usage.

Il faut remarquer sur cet article la différence entre la condition d'un mari à qui on aurait constitué une dot, sans qu'il eût part à aucune fraude, et qui reçoit ce qui lui a été promis en dot, de la personne qui avait fait la constitution, quoique cette personne l'eût faite en fraude de ses créanciers, et la condition d'un mari qui aurait eu part à la fraude qu'on aurait faite à des créanciers en lui constituant une dot excessive. Car celui-ci pourrait être complice de la fraude, et en être tenu selon les

(1) Cass. 22 mars 1809. (2) Paris, 12 fructidor an 11. (3) Cass. 7 mars 1820. (4) Toulouse, 23 déc. 1818. (5) Dijon, 26 nov. 1816. (6) Limoges, 11 juin 1812. (7) Limoges, 21 déc. 1822. (8) Rejet, 22 mars 1809. (9) L. 25, § 1, in fiu. ff. quæ in fr. cred. (10) Dict. § 1. L. 14, in fine, eod. L. 10, 14, eod. L. 2, C.. de revoc. his in fraud. cr. al. s.

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