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>> Les productions spontanées de notre sol n'eussent pu suffire qu'à des hordes errantes de sauvages, uniquement occupées à tout détruire pour fournir à leur consommation, et réduites à se dévorer entre elles après avoir tout détruit. Des peuples simplement chasseurs ou pasteurs n'eussent jamais pu former de grands peuples. La multiplication du genre humain a suivi partout les progrès de l'agriculture et des arts; et cette multiplication, de laquelle sont sorties tant de nations qui ont brillé et qui brillent encore sur le globe, étoit entrée dans les vastes desseins de la Providence sur les enfans des hommes.

>> Oui, c'est par notre industrie que nous avons conquis le sol sur lequel nous existons; c'est par elle que nous avons rendu la terre plus habitable, plus propre à devenir notre demeure. La tâche de l'homme étoit, pour ainsi dire, d'achever le grand ouvrage de la création.

» Or, que deviendroit l'agriculture et les arts sans la propriété foncière, qui n'est que le droit de posséder avec continuité la portion de terrain à laquelle nous avons appliqué nos pénibles travaux et nos justes espérances?

» Quand on jette les yeux sur ce qui se passe dans le monde, on est frappé de voir que les divers peuples connus prospèrent bien moins en raison de la fertilité naturelle du sol qui les nour

rit, qu'en raison de la sagesse des maximes qui les gouvernent. D'immenses contrées dans lesquelles la nature semble, d'une main libérale, répandre tous ses bienfaits, sont condamnées à la stérilité et portent l'empreinte de la dévastation, parce que les propriétés n'y sont point assurées. Ailleurs, l'industrie encouragée par la certitude de jouir de ses propres conquêtes, transforme des déserts en campagnes riantes, creuse des canaux, dessèche des marais, et couvre d'abondantes moissons des plaines qui ne produisoient jusque-là que la contagion et la mort. A côté de nous, un peuple industrieux, aujourd'hui notre allié, a fait sortir du sein des eaux la terre sur laquelle il s'est établi, et qui est entièrement l'ouvrage des hommes.

>> En un mot, c'est la propriété qui a fondé les sociétés humaines. C'est elle qui a vivifié, étendu, agrandi notre propre existence. C'est par elle que l'industrie de l'homme, cet esprit de mouvement et de vie qui anime tout, a été portée sur les eaux, et a fait éclore sous les divers climats tous les germes de richesse et de puissance.

» Ceux-là connoissent bien mal le coeur humain, qui regardent la division des patrimoines comme la source des querelles, des inégalités et des injustices qui ont affligé l'humanité. On fait

honneur à l'homme qui erre dans les bois et sans propriété, de vivre dégagé de toutes les ambitions qui tourmentent nos petites ames. N'imaginons pas pour cela qu'il soit sage et modéré: il n'est qu'indolent. Il a peu de désirs, parce qu'il a peu de connaissances. Il ne prévoit rien, et c'est son insensibilité même sur l'avenir qui le rend plus terrible quand il est vivement secoué par l'impulsion et la présence du besoin. Il veut alors obtenir par la force ce qu'il a dédaigné de se procurer par le travail : il devient injuste et

cruel.

» D'ailleurs, c'est une erreur de penser que des peuples chez qui les propriétés ne seroient point divisées n'auroient aucune occasion de querelle. Ces peuples ne se disputeroient-ils pas la terre vague et inculte, comme parmi nous les citoyens plaident pour les héritages? Ne trouveroient-ils pas de fréquentes occasions de guerre pour leurs chasses, pour leurs pêches, pour la nourriture de leurs bestiaux?

>> L'état sauvage est l'enfance d'une nation, et l'enfance d'une nation n'est pas son

l'on sait que

âge d'innocence.

» Loin que la division des patrimoines ait pu détruire la justice et la morale, c'est au contraire la propriété, reconnue et constatée par cette division, qui a développé et affermi les premières

règles de la morale et de la justice. Car, pour rendre à chacun le sien, il faut que chacun puisse avoir quelque chose. J'ajoute que les hommes portant leurs regards dans l'avenir, et sachant qu'ils ont quelque bien à perdre, il n'y en a aucun qui n'ait à craindre pour soi la représaille des torts qu'il pourroit faire à autrui.

» Ce n'est pas non plus au droit de propriété qu'il faut attribuer l'origine de l'inégalité parmi les hommes.

» Les hommes ne naissent égaux ni en taille, ni en force, ni en industrie, ni en talens. Le hasard et les événemens mettent encore entre eux des différences. Ces inégalités premières, qui sont l'ouvrage même de la nature, entraînent nécessairement celles que l'on rencontre dans la société.

>> On auroit tort de craindre les abus de la richesse et des différences sociales qui peuvent exister entre les hommes. L'humanité, la bienfaisance, la piété, toutes les vertus dont la semence a été jetée dans le cœur humain, supposent ces différences, et ont pour objet d'adoucir et de compenser les inégalités qui en naissent et qui forment le tableau de la vie.

» De plus, les besoins réciproques et la force des choses établissent entre celui qui a peu et celui qui a beaucoup, entre l'homme industrieux

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et celui qui l'est moins, entre le magistrat et le simple particulier, plus de liens que tous les faux systèmes ne pourroient en rompre.

» N'aspirons donc pas à être plus humains que la nature, ni plus sages que la nécessité » (1).

IIc. DIVISION.

Définition de la Propriété.

ARTICLE 544.

La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les réglemens.

Ici le législateur détermine

Les droits que donne la propriété,
Les limites où ces droits s'arrêtent.

Ire. SUBDIVISION.

Du droit de disposer que donne la propriété.

«On sent au premier abord la justesse de la définition que l'article 544 donne à ces droits. Elle

(1) M. Portalis, Exposé des motifs, Procès-verbal du 28 niFose an 12, tome IV, pages 57, 58, 59, 60 et 61.

Tome VII.

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