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JN2539 2544

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Dans une de nos dernières séances, à propos de la discussion générale du Projet de Constitution, j'accusai ce projet :

De n'être fondé sur aucun principe, et de ne procéder d'aucune vérité capable de désarmer les partis;

D'offrir la combinaison confuse et antinomique de la théorie de Montesquieu et de celle de Rousseau ;

De conserver la monarchie sous le nom de présidence, et par là d'ouvrir carrière à toutes les ambitions;

De conserver l'aristocratie, puisqu'il ne renferme aucun principe d'organisation sociale,

Et de conserver en même temps le despotisme, en conservant la centralisation.

A peine étais-je descendu de la tribune, que M. de la Rochejaquelein y monta, et me demanda ce qu'il appelait ma machine, c'est-à-dire une organisation de l'État fondée sur un principe.

M 9786

« Messieurs, dit-il, dans ce moment nous faisons la chose la plus importante qu'il soit possible à une assemblée nationale de faire nous faisons la Constitution. On vient de nous démontrer non seulement que le projet en discussion n'a rien de rationnel, mais que le principe même d'une constitution rationnelle n'a pas été émis jusqu'ici. Nous ne pouvons pas faire une constitution dans l'inconnu. Je demande que M. Pierre Leroux, qui est la négation personnifiée, vienne ici nous apporter des affirmations; et alors, en gens de conscience, en gens éclairés par ses lumières, s'il en a, nous voterons la constitution. »

Citoyens, je réponds à cette interpellation et à cet appel, dont j'ai remercié M. de la Rochejaquelein; je vous apporte ma machine.

J'ai tort de la dire mienne; car la vérité que je vous présente est le résultat de toute la tradition du genre humain. Toutes les constitutions des États ont été fondées sur le principe que je vous supplie d'employer, sur la Trinité. Et comment n'auraient-elles pas été fondées sur ce principe, puisque ce principe est la loi même de la vie? Les travaux des écrivains politiques, depuis Platon et Aristote jusqu'à Montesquieu et Rousseau, n'ont eu pour but que de mettre l'esprit humain à même de s'emparer par la réflexion de ce principe de toutes les censtitutions qui ont joui de quelque durée sur la terre, afin de pouvoir l'appliquer à une constitution définitive.

Citoyens, vous avez, en tête de votre Préambule de la Constitution, attesté la Divinité : vous me permettrez de soutenir une doctrine politique qui résulte de la nature même de ce Dieu invoqué si justement par vous.

J'ai, du reste, un grand bonheur à vous présenter ce travail, qui, ne dût-il pas occuper longtemps votre attention, aura toujours pour résultat de détruire toutes les caractérisations erronées qui sont tant de fois parties de notre tribune contre moi et contre la doctrine que j'enseigne. Ces traits ne m'ont pas atteint dans ma pensée, et jamais je n'ai pris la parole pour les repousser.

Mais, je l'avoue, ils ont été cruels à mon cœur. Il est cruel de s'entendre accuser à tout propos d'être un barbare; et le sentiment qui répond à cette accusation comme Ovide :

Barbarus hic ego sum, quia non intelligor illis,

est encore douloureux.

Au surplus, j'ai un motif pour pardonner à ceux qui accusent si amèrement ce qu'ils ne connaissent pas. C'est que notre Assemblée n'est pas organisée, et que d'un corps délibérant non organisé il ne peut que difficilement sortir des discussions équitables. L'équité, en effet, a besoin de calme; et le calme ne peut exister dans une grande assemblée qu'à la condition de la distinction que j'établis dans le projet que je vous soumets. Sans cette distinction, la passion prend le dessus, et il n'y a plus harmonie entre les facultés qui se manifestent. L'orateur s'efforce de flatter une partie de ses auditeurs, et devient, à son insu même, injuste envers ses adversaires. C'est ainsi que la tribune se change en une arène de gladiateurs, et que l'assemblée elle-même, prenant part à la lutte, ressemble quelquefois à un champ de bataille.

Mais ce propos me mènerait à vous parler de l'organisation que je vous présente; et ce n'est pas ici le lieu.

Citoyens, recevez avec bonté l'essai que vous soumet une conviction profonde et un cœur sincère; prenez-le en considération; ne le rejetez pas au premier coup d'œil. S'il renfermait la vérité, pourriez-vous vous pardonner un jour de l'avoir repoussé sans l'avoir examiné? Il y aura demain cinquante-six ans que la République a été proclamée : pourquoi n'est-elle pas encore fondée ? Songez-y, et pardonnez-moi de croire à une doctrine, prêt d'ailleurs à m'éclairer et à renoncer à cette doctrine, si on m'en démontre la fausseté et le mensonge.

Paris, le 21 septembre 1848.

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