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écoles de Rome et dans tout l'empire romain, jusqu'au jour où Justinien publia ses Institutes, calquées sur les premières. Aucun ouvrage élémentaire de droit n'avait été, comme celui-ci, recommandé à la jeunesse. Les personnes qui l'étudient aujourd'hui y trouvent ce qu'il nous est donné de lire de plus complet parmi les ouvrages des jurisconsultes classiques dont les travaux ont mérité le nom de raison écrite. Les Institutes de Gaïus, n'étant pas un texte de lois, n'ont pas la forme et la précision des lois. Comme elles ne furent pas publiées avec la sanction impériale, elles n'ont pas non plus l'autorité du précepte. C'est un ouvrage de pure doctrine sur le droit romain, tel qu'il était à l'époque où Gaïus écrivait; c'est un commentaire sur le droit mis à la portée de la jeunesse.

Cet admirable texte a été longtemps perlu pour la science. Quelque surprenante que puisse paraître cette perte, elle s'explique cependant en présence de la marche progressive du droit romain depuis Marc-Aurèle jusqu'à Justinien, surtout quand on remarque que les Institutes de l'empereur joignaient au mérite d'être un ouvrage de droit élémentaire reproduisant tous les passages de Gaïus qui traitaient du droit encore en usage au temps de Justinien, celui d'être un corps de lois compté parmi les recueils composant l'enseignement officiel. Cet oubli s'explique encore pour tous ceux qui connaissent les destinées du droit romain en Occident, et l'abandon dont il fut l'objet pendant six siècles, pour tous ceux qui savent que les barbares l'avaient accommodé à leurs coutumes et en avaient fait des codes façonnés à leurs mœurs. Quand l'école de Bologne remit en honneur le droit romain, elle reprit les textes que les empereurs avaient promulgués; elle voulut faire revivre comme lois ce qui avait été la loi écrite, et, comme le Digeste était censé reproduire les ouvrages des plus illustres jurisconsultes de l'époque juridique classique, elle ne fit pas de recherches approfondies pour retrouver des ouvrages originaux qu'elle croyait avoir réunis sous sa main.

C'est en 1846 que M. Nieburhr découvrit, à Vérone, le manuscrit des Institutes de Gaïus, sur des feuillets raturés et surchargés, d'une écriture plus récente, reproduisant les Épîtres de saint Jérôme. M. de Savigny reconnut sur ce palimpseste le texte de Gaïus, qui fut rétabli presque en entier par les soins de trois hommes pleins de dévoûment à la science, parmi lesquels se distingue l'illustre Goschen, qui, dès l'année 1824, publia la deuxième édition des Institutes retrouvées. En 1840, il s'oc

cupait d'une troisième édition, quand la mort vint l'enlever à ses travaux. M. Lachman a continué son œuvre, et donné, en 1844, dans le Corpus juris publié à Bonn, la troisième édition préparée par Goschen. C'est la meilleure que nous possédions, et surtout la plus complète.

Avant la découverte faite à Vérone, nous avions un abrégé de l'œuvre de Gaïus, qui ne reproduisait qu'avec des mutilations énormes le précieux livre que nous possédons maintenant. Cet abrégé était cependant d'un grand prix pour les jurisconsultes; il avait été inséré dans le Bréviaire d'Alaric, promulgué en l'an 506 de J.-C. et rédigé par ordre d'Alaric II, à Aire, en Gascogne.

Deux tables, placées à la fin de notre travail, ont pour objet de faciliter les recherches. La première reproduit les divisions principales de l'ouvrage. La table alphabétique indique les paragraphes sous lesquels il est question des différentes matières traitées dans le volume.

Mars 1866.

INSTITUTES DE GAIUS.

COMMENTAIRE PREMIER.

De jure gentium et civili.

§ 1. Omnes populi qui legibus et moribus reguntur, partim suo proprio, partim communi omnium hominum jure utuntur; nam quod quisque populus ipse sibi jus constituit, id ipsius proprium est vocaturque jus civile, quasi jus proprium ipsius civitatis; quod vero naturalis ratio inter omnes homines constituit, id apud omnes populos peræque custoditur vocaturque jus gentium, quasi quo jure omnes gentes utuntur. Populus itaque Romanus partim suo proprio, partim communi omnium hominum jure utitur: que singula qualia sint, suis locis proponemus.

Du droit des gens et du droit civil.

§ 1. Tous les peuples, régis par des lois et des coutumes, observent un droit qui leur est propre en partie, et dont partie est commune à tous les hommes; car le droit que chaque peuple s'est donné à lui-même est un droit qui lui est propre, et qu'on appelle droit civil, comme droit propre à la cité même; mais le droit que la raison naturelle a établi entre tous les hommes est observé chez tous les peuples, et est appelé droit des gens, parce que toutes les nations se servent de ce droit. C'est ainsi que le peuple romain se sert d'un droit qui lui est propre en partie, et qui est en partie commun à tous les hommes. Nous établirons cette distinction quand il y aura lieu.

Le droit civil est le droit particulier à chaque peuple; le droit des gens est celui qui est commun à tous les hommes, et

que pour cela on appelle aussi droit naturel. Chez les nations modernes, le nom de droit naturel est réservé pour désigner cette partie du droit en usage chez tous les peuples. On appelle droit des gens l'ensemble des règles qui régissent les rapports entre les peuples.

§ 2. Constant autem jura ex legibus, plebiscitis, senatusconsultis, constitutionibus principum, edictis eorum qui jus edicendi habent, responsis prudentium.

§ 2. Le droit prend sa source dans les lois, les plébiscites, les sénatus-consultes, les constitutions des princes, les édits de ceux qui ont le pouvoir de dire le droit, et les réponses des prudents.

Notre texte indique six sources différentes du droit. Nous les étudierons successivement sous les paragraphes suivants.

§ 3. Lex est quod populus jubet atque constituit; plebiscitum est quod plebs jubet atque constituit. Plebs autem a populo eo distat, quod populi appellatione universi cives cives significantur, connumeratis etiam patriciis; plebis autem appellatione sine patriciis cateri cives significantur. Unde olim patricii dicebant, plebiscitis se non teneri, quia sine auctoritate eorum facta essent; sed postea lex Hortensia lata est, qua cautum est, ut plebiscita universum populum tenerent; itaque eo modo legibus exæquata sunt.

§ 3. La loi est ce que le peuple ordonne et établit; le plébiscite est ce que la plèbe ordonne et établit. La plèbe diffère du peuple en ce que le mot peuple comprend l'ensemble des citoyens, y compris les patriciens eux-mêmes; au lieu que, par le nom de plèbe, on désigne les citoyens, abstraction faite des patriciens. De là vient qu'autrefois les patriciens disaient qu'ils n'étaient pas tenus d'obéir aux plébiscites, parce qu'ils avaient été rendus sans leur concours; mais, par la suite, on porta la loi Hortensia (an de Rome 468), qui voulut que les plébiscites. obligeassent tout le peuple; c'est pourquoi ils furent ainsi mis au rang des lois.

Peut-être vaudrait-il mieux traduire le mot plebs par les plébéiens, car plèbe, en français, désigne le menu peuple, au lieu que plebs s'entend de tout ce qui n'est pas aristocratie, et comprend, par conséquent, ce que nous appelons bourgeoisie, laquelle diffère de la plèbe.

C'était sur la proposition d'un magistrat sénateur, d'un consul, par exemple, que les lois étaient votées (Justinien, Instit., liv. 1, tit. II, § 4). —Ce n'était pas la majorité des voix individuelles qui décidait sur le projet présenté, mais la majorité des colléges ayant droit de suffrage. Dans le principe, les citoyens étaient divisés en trente colléges nommés curies (L. 2, § 2, ff. de origine juris). C'étaient des associations de familles (gentes), qui formaient une véritable aristocratie de race (Niebuhr, Hist. rom., t. II, p. 40). Chaque curie avait une voix. Chaque association de famille émettait son vote sur l'acceptation ou le rejet de la loi, et la majorité de ces votes par tête de famille dictait la voix de la curie. On comptait les voix de chaque curie, et la majorité de ces voix décidait du sort de la loi. Ainsi, tant que dura cet état de choses, le vote par tête de famille était admis, car chaque curie comprenait un nombre égal de familles. — Servius Tullius modifia cette situation. Il divisa le peuple en six classes, suivant la quotité de biens pour laquelle chacun était inscrit sur les tables du cens. Ces six classes formèrent cent quatre-vingt-treize centuries, ayant chacune un suffrage. Mais, comme le roi fit entrer quatre-vingtdix-huit centuries dans la première classe, tandis qu'il n'en mit qu'une dans la dernière, celle des plus pauvres, il en résulta que les riches seuls eurent l'influence et le vote des lois. Les lois étaient les résolutions adoptées par le peuple romain tout entier (y compris les patriciens) réuni en curies d'abord, en centuries depuis Servius Tullius (578 ans avant J.-C.).

La loi ne devenait exécutoire que par l'adhésion du sénat (Tite-Live, liv. 1, § 17; Cicéron, de legib., liv. III, § 12; - de rep., liv. 1, § 32). En vertu de la loi Publilia (en 414), cette adhésion dut êtredonnée à l'avance (Tite-Live, VIII, § 12).

Pendant la période républicaine, la réunion du peuple par centuries eut lieu fréquemment; celle du peuple par curies se produisit aussi quelquefois, par exemple pour les cas d'adrogation et pour ceux où il s'agissait de conférer l'imperium aux magistrats; mais trente licteurs représentaient le peuple (Cicéron, de lege agraria, contra Rullum, II, 12). Sous l'empire, l'adrogation exigeait encore une lex curiata (texte, § 99). Quand les plébiscites et les sénatus-consultes eurent acquis

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