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ouvriers; ont-ils jamais 25 francs disponibles? Oui, assurément, ils les ont lorsqu'il faut payer leur terme de loyer qui, dans les villes, dépasse toujours 25 francs et atteint le double et le triple; ils les ont lorsqu'ils vont acheter un meuble ou un vêtement; ceux qui épargnent les ont, lorsqu'ils achètent ces valeurs à lots, si répandues aujourd'hui dans le monde ouvrier, ou lorsqu'ils accroissent les versements de leur livret de Caisse d'épargne. Une somme de 25 francs, aujourd'hui, est le salaire de quatre à cinq journées de travail, de moins quelquefois, et l'ouvrier qui ne sait pas, ou ne peut pas économiser 25 francs n'est pas propre à la coopération, il fera bien de n'y pas songer.

A la vérité, il y a des sociétés de consommation faites entre quelques groupes ouvriers et dont on trouve à Lyon de nombreux exemplaires, où tout se fait modestement et sans frais, mais ces sociétés sont civilos et par conséquent n'ont pas à s'occuper d'un versement quelconque. Les sociétés qui prennent la forme de sociétés par actions sont ou des sociétés de production ou des sociétés de consommation voulant vendre au public, ou des banques populaires. Les unes et les autres de ces sociétés ne peuvent se fonder sans un certain capital; ceux qui les forment sont ou des ouvriers ou des hommes d'autres professions, bien disposés pour la coopération. Ces derniers peuvent évidemment verser 25 francs sur les 50 qu'ils ont souscrits; quant aux ouvriers, outre le motif indiqué, il y a pour leur demander les 25 francs, cette autre raison que, parce qu'ils sont d'ordinaire peu solvables et assez nomades, on doit considérer le reste de l'action sbuscrite comme d'un recouvrement incertain, difficile en tous cas et qu'il est bon d'en réclamer, de suite, la plus forte partie. Si, enfin, ces ouvriers veulent s'exonérer d'un tel versement, qu'ils adoptent les formes en nom collectif ou en commandite simple suivies par leurs camarades de 1848 à 1867. S'ils préfèrent l'anonymat, à cause du moindre risque qu'il comporte, ils ne doivent pas être surpris qu'on leur demande en compensation quelques garanties. C'est ce que doivent faire des législateurs prévoyants; ceux de 1867 avaient complètement fait

fausse route sur ce point, et le projet de loi voté en 1889 contenait juste le même défaut.

Notre loi, à la différence de la loi anglaise, qui permet de diviser le capital de toute société en coupures infimes, ne tolère que des actions d'un chiffre minimum et variable encore avec le capital. S'il est très élevé, les coupures seront de 500 francs; elles peuvent être de 100 francs avec un moindre capital, et si enfin ce capital s'abaisse encore elles descendront à 50 francs. Ces précautions sont bonnes et il faut condamner le système anglais qui livre au public des actions de sociétés pour l'exploitation de mines d'or et de diamants à 1 livre ou 25 francs, mettant ainsi l'agiotage et le goût des gains faciles à la portée des petites bourses et des gens peu instruits, alors qu'ils n'ont que trop de propension déjà à s'y livrer. Maintenons donc cette disposition légale qui permet les actions de 50 francs, mais seulement pour les sociétés à faible capital, c'est-à-dire pour prendre les chiffres reçus en 1867 et qu'on peut garder, pour toute société ayant au début un capital maximum de 200,000 francs et ne pouvant l'augmenter que de pareilles sommes chaque année.

On aura raison d'ajouter cette restriction que les augmentations ne seront possibles qu'après que le capital souscrit au début aura été entièrement versé. Si la société a besoin d'argent qu'elle s'adresse d'abord à ceux de ses sociétaires qui ne sont pas libérés envers elle.

Une autre mesure, conséquence aussi de cette facilité de faire des actions à 50 francs, qui veut être compensée par quelques garanties, est celle-ci : les actions restent nominatives jusqu'à leur entiére libération et les vendeurs de ces actions ne peuvent être libérés qu'après un délai de quelques années. La loi de 1867 a voulu même que toute action d'une société à capital variable restât nominative, étant libérée et ne pût être cédée que si l'assemblée générale y consent; on a considéré que, malgré leur forme légale, ces sociétés sont moins des sociétés de capitaux que des sociétés de personnes. C'est une mesure qu'on peut accepter; la loi portera alors que pour toute société dont le capital initial n'est pas supérieur à 200,000 francs, les

actions restent toujours nominatives et que les statuts peuvent subordonner la cession des actions au consentement de l'assemblée générale.

Doit-on ou non maintenir la disposition de la loi de 1867 qui permet aux sociétés à faible capital de faire varier ce capital dans de larges limites, puisqu'elle permet de le réduire des 9/10 sans publicité? On a vu que nombre de sociétés n'avaient accepté ce présent que sous bénéfice d'inventaire, c'est-à-dire qu'elles avaient réduit à peu la faculté de faire varier le capital ou même avaient renoncé à cette facilité, en se déclarant sociétés à capital non réductible. Elles sentaient bien, en effet, qu'user d'une disposition pareille était diminuer singulièrement le crédit de la société et qu'en même temps, cette disposition était funeste à la société même, pour ses affaires intérieures. Comment en effet entreprendre l'exploitation d'une industrie ou d'un commerce, si l'on peut être contraint chaque année de rendre aux associés sortants leur part du capital? Ce capital est immobilisé; il est représenté par des bâtiments, des machines, de la matière première, comment rembourser les sortants? S'ils sont nombreux, c'est la ruine de la société. C'est, par exemple, ce qui a obligé la florissante société des maçons de Paris de se mettre en liquidation dans un temps où la prospérité de ses affaires ne promettait que du bénéfice (1). Cette erreur du remboursement aux associés sortants venait des débuts du mouvement; on n'était pas encore instruit ; on avait songé surtout au sociétaire qui a besoin de son argent étant d'ordinaire un ouvrier, on avait songé à sa famille qui en aura surtout besoin en cas de mort de son chef et on avait oublié l'intérêt de la société qui est absolument compromis par une semblable mesure.

Les associés le comprennent mieux à présent et dans nombre de statuts on trouve cette clause: la sortie est libre pour les personnes, mais non pour le capital, ce qui veut dire on ne peut évidemment retenir les associés; qui dé

(1) Ce qui le prouve, c'est que les trois gérants de la société s'étant établis à leur compte en profitant des relations et de la clientèle (le fonds n'avait pas été vendu) ont tous trois fait for

tune.

sire se retirer le peut librement, mais il laissera son capital, lequel ne lui sera rendu que si un nouvel admis prend sa place, et par suite son action ou ses actions. En attendant, il aura droit aux revenus donnés par ce capital, mais sans pouvoir (il n'est plus sociétaire) assister aux assemblées générales. La faculté laissée aux associés de faire varier leur capital n'aurait qu'une utilité, et encore si elle avait été conçue autrement, cette utilité serait d'éviter aux petites sociétés des frais de publicité qui actuellement, en effet, sont assez grands. Mais il aurait fallu alors permettre de faire varier le capital en plus comme en moins, or la loi de 1867 permet bien de le réduire, mais non de l'augmenter (sans publicité toujours). Avec une publicité facile et peu onéreuse comme celle qui a été indiquée, le maintien de cette disposition sur la variation sans avertissement du capital, n'a pas sa raison d'être; elle cesse d'être utile pour rester seulement dangereuse (1).

Lorsqu'on aura signalé la disposition d'ailleurs existante dans nos lois actuelles, qui oblige les sociétés à former un fonds de réserve avec un prélèvement sur les statuts, on aura indiqué tout ce qu'il est désirable de voir inscrire dans la législation civile pour la rendre, comme on doit, aussi commode que possible aux sociétés coopératives, tout en défendant, comme on doit aussi, les intérêts des tiers.

Quant à la législation fiscale, celle qui fait, je le le répète, la plus grande plainte des sociétés, elle vient de l'excès des impôts comme de leur complication, et ce qu'il faut demander ici aux gouvernants, est d'être plus économes qu'ils sont d'ordinaire et qu'ils sont surtout maintenant de l'argent des contribuables, en considérant par quels moyens cet argent trop facilement dépensé, est obtenu.

On doit aussi demander et cette fois à l'administration, de distinguer nettement les sociétés civiles (de consommation

(1) On se demande quelle a pu être la raison de la bizarre disposition inscrite au récent projet de loi. Les sociétés de production peuvent être à capital fixe ou à capital variable, mais leur durée, dans ce dernier cas, ne peut dépasser cinq ans; on considere donc cette clause comme peu désirable et cependant les sociétés de consommation commerciales sont toutes à capital variable réductible aux 4/5.

surtout) des sociétés commerciales; les dernières seules doivent supporter les contributions spéciales aux commerçants. Il faudrait que le fisc voulût bien admettre (ce qu'on ne peut obtenir de lui), qu'une société formée pour répartir entre ses membres les denrées achetées en gros ou le pain fabriqué par elle, sans admettre autres que ses membres dans ses magasins, ne fait pas acte de commerce.

LES LOIS D'ASSURANCE OUVRIÈRE en Suisse, en Allemagne et en Autriche. Rapport de M. CLAUDIO JANNET, professeur d'Economie politique à l'Université catholique de Paris (1).

Après le rapport magistral du Révérend Père Forbes, sur le principe de l'assurance obligatoire, et sa vigoureuse démonstration, fondée sur les données du droit naturel et de la philosophie sociale, notre tâche est bien simplifiée; elle doit se borner à exposer aussi clairement que possible le mécanisme compliqué de la législation étrangère, que l'on prétend présenter à la France comme un modèle, et à reproduire les quelques données statistiques que l'on possède sur le fonctionnement de la loi allemande sur les accidents:

(1) Le rapport de M. Claudio Jannet sur cette importante ques tion, forme l'un des chapitres de la deuxième édition de son Ouvrage: LE SOCIALISME D'ÉTAT ET LA RÉFORME SOCIALE, qui paraîtra peu de jours après ce numéro de la Revue, à la librairie Plon, à Paris.

Nous saisissons cette occasion pour féliciter notre collaborateur du succès d'un ouvrage dont les principes sont ceux des Congrès des Jurisconsultes catholiques, et recommander à nos amis sa nouvelle édition. Elle est en effet complétée par l'exposé et la discussion des lois et projets de lois qui se sont produits récemment en France et en Allemagne, et elle a été mise au courant des statistiques les plus recentes.

Note de la Rédaction.

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