Page images
PDF
EPUB

sont tellement heureux que le ministère de la guerre va étendre le nombre des fournitures demandées à la main d'œuvre pénitentiaire, et que le ministère de la marine va convertir en traités réguliers les essais provisoires consentis, en matière de toile seulement.

On a objecté que ces fournitures obligeaient les détenus à apprendre des métiers peu pratiques, en raison même de ce qu'ils étaient spécialisés au point de vue militaire, et que, en outre, en raison de l'infinie division de travail, ils n'apprenaient qu'une partie restreinte d'un seul et même métier. Je ne sache pas qu'un bottier ou un tailleur militaire soit incapable de fabriquer des souliers et des vêtements pour des civils, et rien n'empêche notre administration, comme le fait l'administration belge, de faire changer de cellule le détenu pour lui faire apprendre successivement les diverses parties de son métier. La seule règle que je me permettrais de critiquer dans la pratique belge, est celle qui impose au condamné de changer de métier au moment de son entrée en prison. Cette règle peut s'expliquer dans un petit pays où tout le monde se connaît. Elle n'aurait que des inconvénients dans un grand pays comme le nôtre. Il faut employer les tailleurs condamnés à des ouvrages de coupure et de couture, les bottiers à la confection de bottes, sous peine d'altérer cette libre répartition des professions, seule garantie de la main-d'oeuvre libre contre la concurrence des travaux et métiers pénitentiaires.

III. Il est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de fixer même contradictoirement et après enquête, un tarif de salaires satisfaisant tout le monde.

L'unique solution pratique est dans le travail en régie. Le directenr de l'établissement pénitentiaire, mû par le seul désir de procurer un travail utile à ses détenus, s'efforcera naturellement de ne pas nuire aux industries établies dans le voisinage. Sans doute, il est difficile de trouver des fonctionnaires bons régisseurs, mais ce qu'on a trouvé à Melun, en Belgique, en Hollande, en Suisse, en Italie, en Suède, en Autriche-Hongrie, pourquoi ne le trouverait-on pas dans tous nos établissements français? Le jour où on

les aura trouvés et installés, nos prisons deviendront comme en Suisse de véritables « écoles professionnelles (1) » au lieu d'être des lieux d'oisiveté et de corrnption; on pourra tenir compte des aptitudes, varier les occupations, etc.

Ce jour-là, on aura fait cesser la dangereuse intrusion dans nos établissements d'étrangers qui sont une gêne pour le bon ordre et la discipline. On aura supprimé un des principaux obstacles à la bonne organisation du travail en cellulle, ce desideratum exprimé pour la première fois en 1703 par un Pape et adopté depuis dans tous les pays du monde comme le dogme fondamental de la science pénitentiare.

On aura enfin au point de vue économique réalisé le progrès le plus heureux, car le détenu qui aujourd'hui coûte si cher aux contribuables pourra arriver à ne coûter rien ou presque rien. A Melun, en 1882, sous le système de l'entreprise, il coûtait 64 centimes par jour; en 1886, trois ans après l'établissement de la régie, il ne coûtait déjà plus que 24 centimes; aujourd'hui, il rapporte 28 centimes!

Les deux industries exploitées en régie à Melun: l'impriprimerie et les uniformes pour les administrations, rapportant 200.000 francs par an, constituent au profit de l'Etat un rabais de 35 % sur le prix de revient de l'industrie libre pour les uniformes et de 47 o/° pour l'imprimerie.

Rapport de M. Just de BERNON, docteur en droit, sur les Restrictions légales à la Liberté du travail.

Tout penser, tout dire, tout écrire, tout faire, sans qu'aucune autorité morale ou politique ait le droit de rien lui interdire voilà ce que réclame le libéral. On se demande comment une telle formule comporte l'existence d'un code pénal heureusement elle est trop absurde pour qu'on ait pu en poursuivre les applications extrêmes, et il est juste de

(1) Léon Lefébure: Rapport l'Assemblée nationale.

reconnaître que, même en théorie, beaucoup de libéraux plus ou moins conservateurs admettent à des degrés divers plus ou moins d'exceptions. Mais tous s'accordent du moins à dire que l'autorité, quels qu'en soient d'ailleurs les attributs, est d'origine purement humaine. L'Eglise nous enseigne au contraire qu'il existe dans la société civile une autorité qui vient de Dieu, un pouvoir de droit divin dont les formes constitutionnelles peuvent varier, mais dont la mission essentielle est d'assurer tout ce que les théologiens résument d'un seul mot: le bien de la communauté. De là pour le pouvoir civil le devoir et le droit de restreindre dans la mesure de la justice la liberté individuelle, Je dis Dans la mesure de la justice, et ces mots sont d'une grande importance. A côté des libéraux qui soutiennent que l'Etat ne doit rien faire, il y a les socialistes qui prétendent qu'il doit tout faire. Nous déclarons au contraire que si la liberté a des limites, elle a aussi un domaine inviolable et sacré.

Si donc l'Etat ne doit pas toujours intervenir, il y a des cas où son intervention est légitime: c'est d'une façon générale quand il s'agit de justice; dans le régime du travail, c'est pour protéger des intérêts trop faibles et qui ne peuvent se protéger eux-mêmes. A ce titre il a le droit d'intervenir pour assurer aux populations ouvrières tous les bienfaits attachés au repos dominical; il interviendra légitimemnt aussi pour défendre l'ouvrier contre les sollicitations de la cupidité et contre ses propres entraînements: de là les lois restrictives sur le travail des femmes ou des enfants, et même sur le travail de nuit des deux sexes. En dehors de toute autre considération il y a là, comme pour le repos dominical, une question qui intéresse l'existence de la race et de la famille, et par conséquent l'avenir même de la patrie.

Mais il ne faut pas méconnaître les difficultés pratiques d'une telle législation. La principale est la constitution même du pouvoir législatif dans l'Etat moderne. Trop éloigné des régions du travail, le législateur moderne en méconnaît les conditions; fait-il une œuvre générale, il omet la réglementation pourtant nécessaire des détails; descend-il aux détails, il risque de s'égarer et de porter à faux. Terrible dilemme :

s'il ne fait rien, on l'accuse à bon droit de violer un devoir; s'il agit, on peut trop souvent lui reprocher une action intempestive. Libéralisme ou socialisme: voilà les deux écueils auxquels il se heurte et auxquels la société dont il est devenu l'unique pilote est en danger de périr.

Au moyen-âge, dans toute l'Europe chrétienne, une réglementation du travail conforme aux conditions de l'époque était sortie des corps de métiers: l'Etat, c'est-à-dire le pouvoir suprême et non le pouvoir unique de la société civile, n'avait fait que consacrer en lui prêtant main-forte l'œuvre des pouvoirs inférieurs. Chacun en d'autres termes avait fait sa loi, et l'avait bien faite, parce qu'il avait agi en connaissance de cause. De nos jours les découvertes de la science ont changé les conditions du travail : la situation est plus compliquée, mais ce qui peut faire surtout regarder une législation du travail comme une entreprise chimérique, sinon dangereuse, c'est que les pouvoirs inférieurs, seuls compétents pour faire une bonne loi, ou du moins seuls capables d'éclairer ceux qui la font, ont presque partout disparu, et en France plus qu'ailleurs.

Comment l'Etat s'est-il peu à peu substitué à tous les autres pouvoirs de la société? Tous les torts sont-ils de son côté, et cela tient-il uniquement à sa nature envahissante? Ou les autres pouvoirs n'ont-ils pas eu de coupables défaillances? On peut, suivant les pays et les époques, répondre şans crainte dans les deux sens. Mais laissons-en le soin l'histoire, et, placés sur le terrain économique, bornons-nous à constater le mal et à voir où serait le remède.

Avouons tout d'abord qu'actuellement l'action directe de 'Etat, quelque restreinte qu'on puisse la souhaiter, est chose inévitable. En face de lui il n'y a plus que l'individu, et l'individu est trop faible pour garantir ses intérêts contre la masse des autres individus ; d'autre part, il n'y a pas à songer qu'on puisse du jour au lendemain reconstituer suiyant leurs affinités naturelles des groupes sociaux capables de ce qu'ont fait au moyen-âge les corps de métiers. Reste donc à dire que les lois sur le travail doivent être l'œuvre de l'Etat.

Cette œuvre sera nécessairement incomplète. J'ose dire

même que plus elle sera incomplète moins elle aura de défauts. On peut souhaiter mieux pour l'avenir, avec le réveil de l'initiative privée et la formation de groupes sociaux analogues, si l'on veut, à ceux du passé, mais avant tout conformes à un état social différent.

Voilà pourquoi notre loi récente sur les syndicats professionels, malgré ce qu'elle peut avoir de défectueux, doit être saluée comme un bienfait. Voilà pourquoi nous devons réclamer toutes les mesures législatives propres à faciliter les associations. Et avant tout, pour que l'association ne dévie pas de son but légitime, pour qu'elle ne devienne pas une cause de déceptions et de troubles, réclamons pour l'Eglise toute sa liberté d'action. L'association assure à ses membres des avantages communs, mais elle exige d'eux des sacrifices réciproques: c'est l'esprit d'abnégation qui la fait vivre, c'est l'égoïsme et la mollesse qui l'énervent et la détruisent. Le christianisme a trouvé dans le monde les sentiments qui rendent l'association possible, il ne les a pas apportés mais il les a vivifiés pendant une longue suite de générations, et lui seul est apte à les vivifier encore.

Les observations qui précèdent peuvent se résumer dans les thèses suivantes :

I. L'Etat doit intervenir dans la mesure de la justice pour régler la liberté du travail.

II. Cette intervention, aussi restreinte que possible, doit tendre avant tout à provoquer l'action de l'initiative privée, notamment en facilitant les associations.

III. En dehors de l'esprit chrétien les associations ne peu vent être qu'inutiles et malfaisantes.

IV. L'Eglise catholique, gardienne et représentant de l'esprit chrétien dans le monde, a donc le droit, en dehors de toute autre considération, de réclamer contre les entraves mises par les législations modernes à la liberté d'action de ses ministres.

« PreviousContinue »