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qu'une faible partie des matières qui s'échangent par le commerce ordinaire, de sorte qu'on peut dire d'une manière presque absolue, que le principe qui doit guider l'Etat, dans sa conduite par rapport à la concurrence étrangère, est l'intérêt des nationaux.

Pourrait-t-on, au nom de la charité que les diverses sociétés humaines se doivent les unes aux autres, admettre qu'à l'égard d'une nation qui vit principalement de l'exportation de tel produit, la nation qui lui a ouvert son marché pourra favoriser davantage l'admission de ses denrées ou de ses marchandises, sauf à lui imposer par réciprocité des conditions exceptionnellement avantageuses pour l'introduction des siennes? Il est évident que c'est là une opération 'sage et légitime.

Mais nous entrons sur le terrain économique, où nous rencontrerions ce problème délicat de la balance à tenir entre les intérêts contradictoires des divers producteurs et des divers négociants, lorsque, par exemple, l'admission plus facile de certains produits étrangers est accordée au détriment de quelques producteurs nationaux, parce que cette concession est indispensable pour obtenir par réciprocité, l'admission des produits indigènes qui ne trouvent pas un écoulement suffisant sur place.

Nous toucherions aussi à un des problèmes les plus graves de l'ordre international, si nous tentions d'examiner dans quelle mesure une nation victorieuse peut opposer au vaincu des stipulations économiques de nature à mettre en péril sa propriété et même sa nationalité, en épuisant ses ressources. Nous savons ici ce que conseille la ruse et ce qu'impose la force. Mais la mesure de la légitimité devrait être demandée à ce droit des gens, si étrangement méconnu depuis qu'il a cessé d'être sauvegardé par l'intervention pontificale armée des sanctions.

Arrivé à ces extrêmes limites de la matière qui nous accuse, je ne m'excuserai pas d'avoir étendu mon sujet ; j'en prendrai plutôt occasion de vous féciliter, Messieurs, de ce que vous permettez ainsi à ceux à qui vous donnez la parole de se conformer aux règles d'orthodoxie en même temps que de haute sagesse que nous recueillions au seuil de ce con

grès, des lèvres du pasteur vénéré, du Prélat éminent dont la France applaudissatt naguère les revendications nettes fermes, épiscopales, en un mot, de l'un des droits les plus essentiels de l'Eglise à l'égard de ses ministres.

Ce rapport a donné lieu, au sein de la Commission des œuvres ouvriéres du Congrès des catholiques du Nord et du Pas-de-Calais dans la séance du 22 novembre, à la discussion des questions suivantes :

1o Est-il souhaitable que l'Etat intervienne dans l'industrie et le commerce, pour régler le chiffre de la production ou de la vente, fixer un prix maximum ou minimum des marchandises?

2o Dans quels cas et par quelles inesures l'Etat peut-il être appelé à prévenir, arrêter ou punir la fraude en matière d'industrie et de commerce?

30 Par quels moyens les associations libres d'industriels pourraient-elles obvier aux abus de la concurrence illimitée,

en

restreignant la fabrication aux besoins réels de la consommation et en assurant la qualité des produits en même temps que le bénéfice convenable du producteur, sans abaisser les salaires au-dessous d'un taux raisonnable?

40 Quelle relation la substitution des marques de marchands aux marques de fabricants, a-t-elle avec la probité du commerce, le maintien ou l'abaissement de la qualité des produits?

5o Doit-on considérer comme avantageuse ou nuisible la tendance des consommateurs à se rapprocher des producteurs en supprimant les intermédiaires?

6o La multiplicité des maisons de détail, est-elle favorable ou avantageuse au mouvement général de la fabrication du commerce et aux intérêts des consommatenrs?

7° Par quelles mesures fiscales à l'égard des grands établissements, les intérêts de la petite industrie et du petit commerce pourraient-ils être légitimement sauvegardés?

Rapport du R. P. FORBES sur les Conséquences morales de l'assurance obligatoire.

I

Les partisans de l'assurance obligatoire me semblent être sous l'influence de deux idées que je crois fausses et dangereuses.

La première, c'est que l'individu aurait le droit de demander à l'Etat de le défendre contre les atteintes de la misère, sous prétexte que le but de la société serait de procurer à ses membres le bonheur temporel, et de suppléer à ce que l'initiative individuelle ne peut pas ou ne veut pas faire.

Il y a, dans cette façon de concevoir l'Etat, une confusion d'idées qu'il importe de dissiper. Sans doute, la mission de l'Etat est de travailler au bien général, et, par-là même, au bonheur des individus; mais comment cela, sinon en assurant le respect des droits et l'exercice de la libre initiative de chacun ! Le bonheur que l'individu a le droit de lui deman-der, n'est pas ce développement de facultés et cette aisance que doit assurer l'effort personnel; c'est la tranquillité, c'est de ne pas être envahi ni troublé, c'est la jouissance de conditions et de moyens plus faciles et plus larges.

Le devoir de l'Etat, mesure de son pouvoir, consiste à veiller aux intérêts généraux des citoyens, pour lesquels l'individu serait impuissant, c'est-à-dire à appliquer le droit naturel, à prévenir les conflits, à pourvoir à l'administration de la justice, de la police, des finances et des travaux publics, toutes choses, notons-le, dont le but est la garde des droits individuels, le libre jeu des forces personnelles et des organes sociaux. Une société est heureuse, quand toutes les forces individuelles, quand tous les organes sociaux atteignent leur maximum de puissance et de libre expansion. Voilà le bien général. Que l'Etat assure la libre expansion du bien et la répression du mal, qu'il nous donne la paix, la vie à bon marché, les conditions hygiéniques, de bonne

eau, de l'air et du soleil, et il aura suffisamment travaillé au bien général.

Quant à un bien général distinct de celui des individus, et devant lequel celui-ci s'efface et abdique, il n'existe pas ou ne doit pas exister. C'est là une idée païenne, une conception du Césarisme antique, qui faisait de l'Etat un but, et de l'individu un moyen; ce n'est pas celle du droit chrétien, pour lequel, au contraire, l'individu est un but, et l'Etat un moyen.

Il est certes indispensable que l'Etat, pour atteindre sa fin, règle et contraigne les libertés individuelles, et lève sur ses sujets le double impôt de l'argent et du sang, mais à une condition pourtant, c'est que ce soit toujours dans l'intérêt de ces droits, 'de cette liberté dont il a la garde; c'est que cette arme que nous lui donnons, ne puisse jamais se retourner contre ces choses, contre ces intérêts, qui sont sa seule raison d'être; c'est qu'il ne puisse pas se substituer à l'initiative individuelle, au fonctionnement naturel des organes sociaux.

Si l'initiative individuelle ne s'exerce pas, si les organes sociaux manquent, ce n'est pas une raison suffisante, pour l'Etat, d'intervenir et de se mêler de tout. Il y a cent à parier contre un que lui-même est le premier auteur de ce malaise et de cette paralysie des forces sociales, par les chaînes dont il les a accablées et par les impôts dont il les a écrasées. Ses empiètements ne feraient qu'aggraver et éterniser le mal. Le seul remède efficace est de ressusciter l'initiative individuelle, de la délivrer, d'affranchir complètement, en particulier, l'Eglise et la charité, de refaire les organes sociaux.

Les partisans de l'assurance obligatoire semblent croire que, dans certaines circonstances, il peut être légitime et nécessaire de forcer une société de revenir à la pratique de la charité, quand elle la méconnaît et l'oublie. Cette idée nous paraît encore plus fausse et plus dangereuse que la première.

Un homme d'esprit disait dernièrement que le Diable, furieux de voir la charité catholique éclipser tout ce qu'on a fait pour la supplanter, aurait ourdi contre elle un complot digne de lui. « Voyez, dit-il aux sociétés contemporaines,

comme la charité est belle! Elle est si belle, qu'il faut la rendre obligatoire. Il y a des patrons qui ne la pratiquent pas; eh bien, forçons-les de le faire », c'est-à-dire, en d'autres termes, transformons la charité en justice, tendance déplorable, qui, pour peu qu'elle fût suivie, nous amènerait à élaguer entièrement la charité de la société, et à n'y plus laisser, comme mesure des relations entre hommes, que la loi, la justice, ou ce qu'on appelle de ce nom, ainsi qu'il arrive dans les républiques païennes. Ce serait la plus radicale des révolutions et la plus hideuse des métamorphoses. La société chrétienne sans son soleil, la charité, mais ce serait l'Italie changée en Sibérie! Tout y serait, comme à Babylone, comme à Sparte, comme dans la Rome antique, dur, sec, étroit, glacé, blessant et faux; et les hommes, devenus impitoyables, ne tarderaient pas à fouler aux pieds cette justice qu'on invoque maintenant comme le grand remède à la crise sociale.

Par sa nature même, la charité échappe à la loi. Elle n'est pas moins nécessaire à la société que la justice, mais il ne suit pas de là que, comme la justice, elle puisse être décrétée d'office par l'autorité sociale.

L'objet même de la justice fait qu'elle tombe sous la loi. Cet objet, c'est le droit d'autrui, dont l'Etat est le gardien. Vertu négative, la justice respecte les droits existants. La charité va plus loin: elle agit, elle donne, elle aide par ses actes ou par son argent; actes et argent dont le malheureux n'est pas le maître et sur lesquels l'Etat ne peut lui conférer aucun droit, ne pouvant lui-même que les garder.

Le charité légale comme institution normale, repose donc en dernière analyse sur un empiètement; en prenant dans ma poche, pour mettre dans celle de mon voisin, en me forçant à faire l'aumône malgré moi, l'Etat outrepasse son droit, à moins que ce ne soit transitoirement, pour parer à des cas qu'on pourrait comparer à des nécessités extrêmes.

Sans doute, dans les cataclysmes, dans les épidémies soudaines, qui sont des cas de nécessité impérieuse, l'Etat peut beaucoup de choses, qu'il ne pourrait pas dans les circonstances ordinaires. En cas d'extrême nécessité, le droit de propriété est comme suspendu; dans une catastrophe pu

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