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Par conséquent, on ne peut dire avec les Questions sociales et ouvrières des Cercles, p. III: « L'aumône est un devoir de justice. D

Peut-on définir le salaire : « la juste compensation de la renonciation de l'ouvrier aux profits de son travail? « (Questions sociales et ouvrières, p. 283.) Non, cette formule est socialiste et rappelle trop le cri fameux : l'usine à l'ouvrier, la mine au mineur et le champ au laboureur. La théorie du minimum de salaire à établir par l'Etat, est-elle admissible? Non, car c'est là, comme l'a montré Mer l'Evêque d'Angers, du socialisme tout pur, et cette mesure, très dangereuse pour l'ouvrier comme pour l'industrie, serait de plus chimérique.

L'assurance obligatoire est, au point de vue du droit naturel, une injustice d'autant plus criante que, presque toujours en France, l'ouvrier est suffisamment payé pour pouvoir s'assurer lui-même s'il le veut, contre les accidents, la maladie et la vieillesse. Il ne lui faut pour cela que 1 fr. 20 par semaine or, à la paye du samedi, combien consacrent beaucoup plus au plaisir! Nous ne disons pas que le patron ne fera pas bien de l'assurer quand même, mais nous soutenons que l'y forcer est une iniquité.

L'assurance obligatoire repose d'ailleurs, comme toute charité légale, sur un faux principe et ferait plus de mal que de bien. Elle ne serait pas une loi d'apaisement, mais envenimerait les rapports entre patrons et ouvriers et doublerait les questions pendantes de la question d'indemnité, champ de bataille des élections futures. Enfin, elle développerait à l'infini cette bureaucratie et cette ingérence perpétuelle de l'Etat qui déjà rongent et tuent la France.

Est-ce donc là ce que l'auteur de l'article appelle des thèses classiques du libéralisme économique et des objections de légiste et de casuiste du droit civil napoléonien? peu plus bas, il ajoute :

Un

« Tout en respectant les spécialistes, nous nous défions de leur compétence et de leur indépendance, dans des matières où souvent la simplicité de la foi, l'absence de systèmes préconçus, le respect des vieilles traditions nationales et des anciennes coutumes chrétiennes populaires laissent un champ plus libre à l'intuition de la vérité et à la rectitude

du jugement que les subtilités de la science juridique. » Cela veut dire sans doute que ces graves questions, où il s'agit de points fondamentaux en droit et en morale, sont plus en sûreté entre les mains d'hommes du monde et d'hommes d'œuvres, connaissant mieux les camps et les salons que les bibliothèques, qu'entre celles de jurisconsultes catholiques blanchis dans l'enseignement et de théologiens qui ont étudié toute leur vie.

Ces assertions extraordinaires sont émises avec tant de simplicité et d'innocence, que nous en sommes presque désarmés. Il serait cruel, en vérité, d'en tirer tout l'avantage qu'elles nous donnent.

Quant à la prétention de suivre les traditions chrétiennes en trouvant dans le contrat de travail des choses que personne n'y a jamais vues, en confondant la justice avec la charité, en créant de vastes bureaucraties qui enserrent le pays dans leurs mailles, et en faisant endosser à tous les patrons la camisole de force pour leur extorquer la charité, nous avouons qu'elle nous paraît inouie; nous y aurions plutôt reconnu les traditions prussiennes chères au prince de Bismarck.

Nous voulons ajouter un seul mot :

Nous sommes heureux de constater qu'un président de l'Euvre des Cercles a récemment proclamé, d'une façon solennelle et autorisée, les principes que nous défendons, en combattant les idées contre lesquelles nous nous élevons.

Le 29 décembre, M. de Champfleury, président de l'Euvre des Cercles à Angers, dans un discours (reproduit par l'Anjou et l'Univers du 6 janvier) adressé à Mer Freppel pendant les réceptions officielles, a répudié tout socialisme d'Etat et d'Eglise, et toute application de cette funeste doctrine, telle que la fixation des salaires et l'assurance obligatoire. C'est, a-t-il dit fort justement, la résurrection aggravée de l'Etat païen.

Mer Freppel a remercié l'orateur d'avoir si nettement. posé les vrais principes; Sa Grandeur a ajouté qu'elle ne voulait non plus d'aucun socialisme, et que la solution était dans l'alliance féconde de la liberté individuelle et de l'association volontaire.

Ce sont exactement nos principes.

LA RÉDACTION.

Rapport présenté par le R. P. FRISTOT, S. J., sur la Concurrence commerciale, d'après les principes du Droit naturel et de la Morale chrétienne.

Les abus de la concurrence illimitée sont un des objets qui préoccupent le plus vivement et à juste titre, les économistes, les politiques et les moralistes. La possibilité de s'enrichir promptement, en accaparant la clientèle et en exagérant le chiffre des affaires, a éveillé la fièvre de la spéculation. La lutte entre les concurrents a cessé d'être la noble émulation entre rivaux jaloux d'attirer chacun à soi la clientèle, par la supériorité des produits et la loyauté des relations. Il s'est même établi, en plusieurs circonstances, une complicité coupable de la fabrication et de la vente pour tromper l'acheteur. Témoin de l'indulgence qui accueillait ces manœuvres illicites, la conscience des industriels et des commerçants honnêtes eux-mêmes s'est troublée, ils se sont laissés parfois entraîner à des transactions qui, si elles ne sont pas la tromperie, ne sont plus néanmoins cette loyauté limpide qui imprimait un sceau de noblesse au commerce ancien.

Sur beaucoup de points, la concurrence commerciale est devenue le combat pour la vie, dans lequel l'intérêt est tout et où l'habileté prime l'honnêteté. D'autre part, les fortunes rapidement acquises sont un encouragement à déserter le travail. Aussi les hommes politiques se sont-ils émus de l'instabilité sociale qui naît d'une telle situation; les économistes ne peuvent se dissimuler le danger de voir de plus en plus la spéculation de substituer au travail, et les moralistes déplorent l'affaiblissement graduel du sentiment de probité, au sein d'une société qui se montre disposée à distribuer sa considération selon la fortune, prête à accueillir avec une égale faveur la richesse présente, d'où qu'elle vienne, et à amnistier la fraude dès qu'elle apparaît couronnée de succès.

Dans cette situation qui tend à se généraliser, certains

hommes ne voient qu'une conséquence nécessaire du développement de l'industrie, un résultat fatal de l'extension des moyens de communication et de transport, non seulement de province à province, mais de nation à nation, et même d'un monde à l'autre; ils se persuadent que, laissée à ellemême, la liberté, comme la lance du guerrier de la fable, guérira les blessures qu'elle a faites. D'autres estiment qu'à ces inconvénients de la liberté absolue du travail, il ne reste à opposer qu'une seule force demeurée debout, l'intervention de l'Etat.

Je ne viens point départager les avis. C'est affaire aux hommes à qui les études spéciales auxquelles ils se sont adonnés avec tant d'éclat, confèrent une compétence supérieure en ces matières, d'apprécier l'efficacité que pourraient avoir des mesures législatives invoquées par quelques-uns comme l'unique moyen de salut. La tâche qui m'a été assignée est plus modeste, et cependant elle avait sa place marquée dans vos études. J'ai été prié de rappeler les principes du droit naturel et de la morale chrétienne propres à éclairer la solution du grave problème inscrit à votre programme. A vous, Messieurs, de comparer les faits avec ces principes, afin d'établir ensuite les conclutions.

Pour dégager nettement ces principes, j'ai besoin que vous me permettiez de remonter jusqu'à la notion première de la loi des échanges.

I.

L'homme tire sa subsistance de son travail; telle est la loi providentielle In sudore vultus tui vesceris pane (Gen. III, 19). L'homme, pour cet effet, doit s'assujettir les forces de la création Crescite et multiplicamini, et replete terram, et subjicite eam, et dominamini piscibus maris et volatilibus cæli, et universis animantibus quæ moventur super terram (Ibid. I, 28). Mais l'homme serait trop misérable s'il était réduit aux fruits que sa main recueille ou que son travail fait produire à la terre et aux objets qu'il confectionne par sa propre industrie. Il a recours à l'échange qui n'est pas seulement le troc des objets superflus contre d'autres immé

diatement utilisables, mais peut être l'échange contre la monnaie, devenue le moyen universel de se procurer tous. les objets nécessaires ou utiles.

L'homme peut récolter ou produire au-delà de ses besoins, il peut récolter ou produire des matières ou des objets dont il ne fera pas personnellement usage, mais qu'il recueille ou fabrique uniquement en vue de la vente. Il peut même se procurer des choses dont il ne se servira pas pour lui, mais qu'il achète pour les revendre : c'est le commerce, légitime en soi, indispensable à une société développée, parce qu'il importe à son bon fonctionnement que chacun se procure facilement ce qui est nécessaire ou convenable à sa situation. En réalité, agriculture et industrie aboutissent à la vente, et celle-ci, dans un état social complet, devient nécessairement le commerce.

L'homme, qu'il vive du commerce, de l'agriculture, de l'industrie ou du négoce proprement dit, a besoin de rencontrer devant lui le débouché, c'est-à-dire la clientèle ; mais la clientèle est une matière que chacun tire à soi.

Sans doute l'offre provoque une augmentation de la demande, mais cette extension de la clientèle n'est pas illimitée. D'autre part, le commerce est rémunérateur en proportion du chiffre d'affaires, non pas suivant une proportion arithmétique, mais selon une progression en partie géométrique, puisque certains frais généraux, tels que l'entretien du vendeur et de sa famille, les instruments du travail, demeurent stationnaires, ou du moins ne croissent pas proportionnellement aux revenus de la vente. Et ici, il ne faut pas oublier qu'à mesure que l'offre se multiplie, le prix de vente s'abaisse, le profit diminue, et par conséquent il devient nécessaire de faire un plus gros chiffre pour réaliser le même bénéfice qui jadis était donné par une vente plus restreinte. Il ne me serait pas difficile de citer telle industrie, dans laquelle un chiffre d'affaires largement rémunérateur il y a vingt-cinq ans pour les parents qui l'avaient fondée, est devenu insuffisant aujourd'hui pour les enfants qui l'exploitent, à cause des frais généraux demeurés stationnaires ou même augmentés, tandis que le profit net est considérablement di

minué.

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