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Attendu qu'aux termes de l'article 9, § 1" de la loi du 20 décembre 1884, les impôts établis par les articles 3 et 4 de la loi de finances du 28 décembre 1880 sont payés par toutes les congrégations, communautés et associations religieuses autorisées et non autorisées;

Attendu que cet acte est aussi formel qu'il est clair; qu'il en résulte que, tandis que, sous l'empire de la loi du 28 décembre 1880, étaient seules passibles du droit d'accroissement établi par l'article 4 de cette loi les sociétés ou associations civiles qui rentraient dans la définition qu'elle donnait, et qui réalisaient les conditions particulières d'exigibilité de cet impôt qu'elle énonçait avec précision, sous l'empire de la loi du 29 décembre 1884, le droit d'accroissement est dû par toutes les congrégations, communautés et associations religieuses, autorisées et non autorisées;

Que cela ressort manifestement de la désignation absolument différente des personnes sujettes à cet impôt, que la loi de 1884 a substituée à celle que contenait la loi de 1880; et que cela est d'autant plus certain que, dans la loi de 1884, le législateur ne s'est pas borné à soumettre au droit d'accroissement, comme à la taxe sur le revenu, les congrégations en général, ce qui suffirait pour qu'il fût interdit d'introduire dans la loi une distinction qu'elle n'aurait pas faite, mais encore qu'elle a disposé, en termes exprès, que le droit d'accroissement serait, tout comme la taxe sur le revenu, payé par toutes les congrégations, communautés et associations religieuses, autorisées ou non autorisées, sans plus énoncer aucune autre condition d'exigibilité que cette seule qualité;

Qu'il suit de là, que le jngement attaqué, en déboutant la congrégation autorisée des Frères des Ecoles chrétiennes, dits de SaintYon, de son opposition à la contrainte contre elle décernée, le 2 février 1886, pour le recouvrement de la somme de 455 fr. 63, à laquelle a été liquidé provisoirement le montant des droits réclamés par l'administration, à raison du dééès de neuf des membres de cet institut, loin de violer la loi, n'en a fait qu'une exacte application; Par ces motifs,

Rejette, etc.

Avocats, MM CHAUFFARD et MOUTARD-MARTIN; avocat général, M. CHARRINS, Concl. conf.

Les Congrégations autorisées et leurs conseils devaient attendre avec quelque confiance la solution du litige pendant entre l'administration de l'Enregistrement et l'Institut des Frères des Ecoles chrétiennes.

Sans doute, par un jugement longuement motivé, le Tribunal civil de la Seine avait décidé que les Congrégations reconnues, qui jouissent de la personnalité civile, sont, aussi bien que les sociétés de fait, soumises au droit d'accroissement établi par la loi de finances du 28 décembre 1880; mais la Chambre des requêtes avait admis le pourvoi formé contre cette décision, et il semblait à la plupart des hommes compétents que la cassation s'imposait à la Chambre civile. appelée à son tour à statuer sur la question.

L'arrêt du 27 novembre dernier a trompé cette attente, et donné gain de cause aux prétentions exorbitantes de l'administration de l'Enregistrement. Par prudence et pour éviter des frais plus considérables, qui seraient sans doute inutiles, les Congrégations subiront la loi d'exception (ce n'est pas la seule de ce genre) que la Cour de cassation dit avoir été faite contre elles. Les hommes qui ont au cœur la passion du juste diront que si une disposition votée par les Chambres est d'une iniquité manifeste, elle ne mérite ni le nom de loi ni le respect dû à la loi; les jurisconsultes se refuseront à voir dans l'arrêt du 27 novembre un de ces documents de jurisprudence dont les conclusions ne laissent subsister aucune objection et s'imposent à tous les esprits. Il nous semble que la Revue de Grenoble ne peut garder le silence sur cette importante affaire.

I

Le Tribunal de la Seine avait tenu, semble-t-il, à accuser l'incorrection juridique et l'iniquité de la décision qu'il rendait et à en rejeter toute la responsabilité sur le législateur. La Cour de cassation a montré moins de scrupule.

Les juges du premier degré commencent par définir la question posée qui, disent-ils, est de savoir « si le décès de « l'un des membres d'uue Congrégation autorisée, décès « qui laisse intact le patrimoine de mainmorte de la Congrégation, donne ouverture au droit de mutation par décès, ◄ sur la part qui serait alors réputée accroître aux membres << survivants, du chef de l'associé prédécédé. » Impossible de mieux dire que le décès d'un membre d'une Congrégation

autorisée est absolument sans effet au regard soit de la Congrégation elle-même, soit des membres survivants; de sorte que si un droit de mutation est perçu, ce sera grâce à une fiction légale en vertu de laquelle un homme qui n'est pas propriétaire transmet sa part de propriété à d'autres hommes en augmentation du droit qui n'existe pas davantage chez ceux-ci. Le Tribunal ne pouvait mettre en lumière, plus clairement qu'il ne l'a fait, la condition faite aux Congrégations reconnues par la législation qui les régit au point de vue des biens nécessaires à leur existence: « Elles ont, « dit-il, sur les biens composant leur actif, sous le nom de << biens de mainmorte, un droit de propriété exclusif de « toute co-propriété dans la personne de leurs membres, » et cela non seulement tant qu'elles durent, mais même après que pour une cause quelconque elles viennent à s'éteindre; les membres de la Congrégation dissoute pourraient bien, dans ce cas, recevoir une pension viagère, mais ils n'auraient aucune part à réclamer dans l'actif, dont l'article 7 de la loi du 24 mai 1825 a réglé par avance l'attribution.

Il est évident que, si telle est la condition juridique des Congrégations autorisées, « il ne saurait y avoir, entre les membres d'une Congrégation autorisée et la Congréga<tion, d'accroissements de parts susceptibles de servir de « base à un droit de mutation. » Et le jugement constate que, jusqu'à la loi de 1884, la jurisprudence avait toujours reconnu que les Congrégations autorisées ne pouvaient être soumises au droit de mutation pour accroissement établi par la loi de finances de 1880.

Le Tribunal, il est vrai, fait ses réserves, et limite l'application de ce principe de bon sens, au cas où il n'est pas en contradiction avec quelque disposition des lois fiscales; il prend même soin de constater, dans son dernier considérant, que « la contrariété de législation, en matière notam<ment de droit de mutation, se produit fréquemment entre « la loi civile et la loi fiscale. D C'est donc bien entendu : si un droit est perçu, il le sera à raison d'un accroissement putatif, et en vertu d'une fiction de la législation fiscale. Peut-être n'est-il pas hors de propos de faire à ces réserves et à cette observation une réponse sommaire,

avant de discuter le texte de la loi de 1884 par lequel le Tribunal s'est cru lié.

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Il y a, cela est vrai, un certain nombre de dispositions légales qui sont fondées sur une fiction ou sur une présomption: effets civils accordés au mariage putatif, paternité du mari et durée de la gestation, immobilisation des meubles attachés à un fonds à perpétuelle demeure, rétroactivité des conditions au jour du contrat qu'elles affectent, etc., etc. Mais toutes ces fictions ou présomptions inspirées par l'équité et les nécessités pratiques, reposent du moins sur une donnée vraisemblable; on n'en citerait aucune qui heurte de front la raison, et soit en contradiction avec le bon sens ou avec quelque autre disposition formelle de la loi. Il faut donc choisir entre l'attribution du patrimoine de la Congrégation à la personne morale qu'elle constitue, et la reconnaissance de la propriété indivise des membres de la Congrégation; les deux idées sont contradictoires et ne peuvent à tour de rôle servir de base à un article de loi.

Vous auriez raison, dit le Tribunal, s'il s'agissait de deux dispositions de la loi civile; mais la contrariété en matière notamment de droits de mutation, se produit fréquemment entre la loi civile et la loi fiscale. N'est-ce pas imputer au législateur des contradictions qui sont le plus souvent l'œuvre d'une jurisprudence trop disposée à donner raison aux exigences de l'Enregistrement? Ces sortes de décisions d'ailleurs ne sont peut-être pas aussi nombreuses qu'on semble le dire pour justifier celle que nous discutons. Nous savons bien que l'Enregistrement ne rend pas les droits. perçus à raison de certaines transmissions dont plus tard l'annulation ou la résolution est prononcée; aux yeux du droit civil ces transmissions sont réputées non avenues, mais il n'en est pas moins vrai que les droits étaient légitimement exigibles au moment où ils ont été payés, et on peut facilement admettre la légitimité de la règle posée par l'article 60 de la loi du 22 juin an VII: « Tout droit d'en<<registrement régulièrement perçu en conformité de la << présente, ne pourra être restitué... >> D'autres décisions sont fondées sur une présomption plus ou moins

sérieuse de dissimulation et de fraude; quelques-unes, en face d'actes sur la nature desquels les docteurs discutent au point de vue des effets civils, les ont considérés, à tort peutêtre, comme emportant mutation et assujettis au droit proportionnel.

Mais pourrait-on citer un cas dans lequel la loi ait prescrit ou les tribunaux autorisé la prescription d'un droit de mutation, alors que de l'aveu de tous aucune transmission patente ou occulte n'est possible. Nous ne le pensons pas'; et semblable perception serait condamnée d'avance par les rédacteurs même de la loi sur l'enregistrement du 22 frimaire an VII. Voici ce qu'on peut lire dans le rapport fait, au nom de la conmission des finances, par Duchatel, au Conseil des Cinq-Cents, dans la séance du 6 fructidor an VI: <... La commission s'est attachée à ce principe que tout ce « qui n'ob ige, ne libère NI NE TRANSMET, ne peut donner « lieu au droit proportionnel. Ainsi la fiscalité aura perdu < l'usage de deux grands mots à l'aide desquels elle sou<< mettait au droit proportionnel des actes qui n'étaient pas « de nature à y être assujettis......

« Il convient à des législateurs éclairés et sages de faire. <cesser ces applications qui ne seraient que ridicules, si << elles n'étaient pas onéreuses, injustes, et propres à don<ner à la loi qui les tolère ou les ordonne, un caractère qui << ne doit être celui d'aucune des vôtres. Une loi n'en mérite vraiment le titre que lorsqu'elle est fondée sur la jus«tice et la raison. Cette vérité, que je proclame ici avec << confiance, est rigoureusement appliquée aux lois qui éta<< blissent les contributions. »

Malgré cette réprobation anticipée, le tribunal admet donc que des lois fiscales, pourront être contraires aux principes de justice et de raison consacrés par la loi civile. Les premiers juges ne se sont-ils donc pas aperçus que ce qu'ils constataient était non seulement la contrariété d'une loi civile et d'une loi fiscale, mais la contrariété de deux lois fiscales et que leur décision méconnaissait le régime des congrégations religieuses reconnues « non seulement << en lui-mème, mais encore dans ses rapports avec la loi < fiscale. »

XVIII-I

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