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rôle de témoins doit durer jusqu'à la fin des temps. Les laisser continuer à dépouiller les chrétiens, c'est les exposer à des représailles dans lesquelles ils perdraient non seulement les biens, mais la vie; car c'est de telles représailles que les menace leur législateur, s'ils ne suivent pas fidèlement leurs lois.

La solution de la question juive est dans la loi de Moïse, et pas ailleurs.

Nice, 11 septembre 1890.

ASSOCIATION CATHOLIQUE

DES

PATRONS DU NORD DE LA FRANCE

Extraits de la séance du 3 octobre 1890.
Présidence de M. l'abbé Fichaux.

M. le Président donne lecture d'une lettre de M. Harmel, où ce cher confrère et ami exprime la crainte que nous glissions trop sur la pente des discussions théoriques, et que nous abandonnions le terrain des résolutions pratiques.

Plusieurs membres font observer que notre réunion périodique, à la maison de retraite, a surtout pour objet de nous retremper dans l'esprit de foi et de ranimer notre zèle, de sorte que, rentrant chez nous, nous nous remettions à l'œuvre avec plus de générosité. Ce que nous faisons dans nos ateliers ne peut s'exprimer en séance. Nous n'avons pas à chaque fois des recettes nouvelles à proposer; et il faut autrement soutenir l'intérêt de nos conférences.

Le Père Doyotte croit que les œuvres des Patrons du Nord rendent témoignage de l'esprit pratique qui les anime.

M. le Président comprend très bien le sentiment d'un homme aussi agissant que M. Harmel. Lui-même serait le premier à écarter de nos séances tout ce qui ne serait que discussion stérile. Mais les questions débattues aujourd'hui entre Catholiques sont capitales au point de vue social. Si les nouvelles théories sur le salaire par exemple, venaient à s'accréditer; si les ouvriers en arrivaient à se considérer comme habituellement frustrés, et de la manière la plus inique, dans leur salaire; s'ils se croyaient dès lors dispensés de toute reconnaissance envers leurs patrons les plus chrétiens et les plus dévoués, que deviendraient nos œuvres? Que deviendrait le rapprochement si désiré entre patrons et ouvriers? Et pourquoi, dans ces conditions nous obstiner à amener une conciliation désormais impossible?

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CONGRÈS DE LIÈGE. Arrivant à l'ordre du jour qui porte Congrès de Liége, M. le Président expose qu'un groupe de nos membres, appartenant aux divers centres manufacturiers du Nord, avait accepté le rôle assez ingrat de se mettre en travers du courant d'idées, que certains esprits exagérés tendaient à y faire prévaloir.

Il va sans dire que nous ne mettons pas en doute la sincérité de nos contradicteurs, et que nous n'étions mûs nous-mêmes que par des convictions réfléchies et l'amour de la vérité.

Le Père Doyotte, qui assistait, lui aussi, à ce Congrès, commence par faire remarquer jusqu'à quel point l'Eglise s'intéresse à la question sociale. C'est l'Evêque de Liège, qui a pris l'initiative du Congrès. Il s'y trouvait des Evêques allemands, des Evêques Anglais, un Evêque français, un nombreux clergé et des laïques non moins nombreux, heureux de consacrer quelques jours d'un temps quelquefois très occupé à préparer un avenir meilleur à la classe ouvrière.

Le Fère Doyotte croit pouvoir ajouter que l'influence dominante au Congrès de Liège a été l'influence allemande, et que les idées sociales qui ont cours en Allemagne, étaient l'objet d'une faveur marquée chez ceux qui dirigeaient les discussions.

Pour comprendre les tendances du Congrès de Liège, il importe donc de se rendre compte de la situation de l'Allemagne au point de vue social. L'Allemagne est menacée par le socialisme. Nos socialistes français ne sont rien en comparaison des socialistes allemands. Ceux-ci constituent un grand parti fortement organisé qu'on a voulu réduire de force, sans y parvenir. Ils font peur. Or, la peur d'un grave danger ne laisse pas de troubler parfois les meilleurs esprits, et de les amener à prendre pour des solutions raisonnables des expédients plus ou moins contestables. Les socialistes se plaignent des patrons on en arrive à croire que ceux-ci sont les coupables, et qu'il faut, sans trop s'inquiéter de leur droit, les sacrifier à la paix publique. Comme si la bête déchaînée devait se trouver satisfaite au moyen de quelques concessions imposées d'office par l'Etat.

Pour apprécier le mouvement qui porte bon nombre de gens à en appeler à l'Etat, il convient aussi de remarquer que le mal présent est une conséquence de l'esprit révolutionnaire, de l'affaiblissement du principe d'autorité. Remettre en honneur l'autorité, rappeler ses droits et ses devoirs, n'est-ce pas réagir contre le mal et apporter un remède? Visiblement, cette préoccupation inspirait les Evêques anglais et allemands. Peut-être l'autorité a-t-elle gardé chez eux assez de prestige, pour qu'ils attribuent à l'Etat une force sociale décisive. Encore faut-il maintenir l'action de l'Etat dans ses justes limites, et ne pas oublier que, dans un trop grand nombre de pays, même en dehors de France, l'Etat n'est autre que la Révolution régnant en souveraine.

Quant aux résolutions du Congrès de Liège, en très grand nombre elles ont été souscrites par l'unanimité des membres présents. Nous, qui étions, dans une section, à titre d'opposants, nous n'aurions de réserves à faire que sur quelques points. Nous ne pouvons pas oublier cependant qu'on voulait, au début, nous entraîner plus avant. Des rapports considérables établissaient le droit de l'Etat dans la fixation du temps de travail et du minimum de salaire. Ces propositions ainsi posées comme thèse absolue ont été écartées, la première après discussion, la seconde sans arriver même à

la discussion. Les propositions d'ailleurs évidemment connexes ne pouvaient subsister l'une sans l'autre.

Le Père Doyotte signale à la réunion le compte-rendu du Congrès dans une feuille d'annonces d'une petite ville de Belgique, la ville d'Hannut. Ce compte-rendu, dont l'auteur nous est inconnu, est en effet très remarquable. Il mérite d'être lu en entier; on le trouvera joint au présent procèsverbal.

M. le Président expose à son tour, qu'ayant été amené par circonstance à écrire a un très haut et très docte personnage ecclésiastique, qui n'est ni de France, ni d'Allemagne, il s'est laissé aller à lui communiquer, au retour de Liège, ses impressions sur le Congrès. Il s'exprimait dans les termes suivants :

« Nous n'avons qu'un désir, celui de marcher d'accord avec le Saint-Siège, sans tomber dans ce que j'appellerais volontiers les exagérations, qui se sont donné carrière au cours de ce Congrès.

Nous étions un certain nombre d'opposants, et je crois sincèrement que nous avons rendu service, en contribuant à amener par notre opposition le retrait du rapport de M. le Comte de Kuefstein et de celui de M. l'abbé Pottier. Pour éviter le socialisme ouvrier on se jette dans le socialisme d'Etat; et, ce qui est pire, on s'évertue à lui donner une base doctrinale en dénaturant les obligations de justice et de charité.

Le mal est assurément le contraste saisissant de la situation du patron et de celle de l'ouvrier. Si l'ouvrier était plus chrétien, il en aurait un moindre souci à cause des dédommagements futurs. L'affaiblissement général de la foi, dû à beaucoup de causes mais surtout à l'asservissement de l'Eglise par l'Etat, a amené chez l'ouvrier des désirs de jouissance, qui ont créé dans son cœur une jalousie implacable contre le patron. La haine jalouse à l'égard des patrons et la caractéristique de la crise actuelle. Il est des catholiques qui y aident d'une manière inconsciente. En tous cas, c'est ce sentiment commun à presque tous les ouvriers, qui donne aux doctrinaires socialistes leurs bataillons.

Voilà le mal: où est le remède? La christianisation de

l'ouvrier sans doute, mais surtout la christianisation des patrons, afin que, vivant chrétiennement, ils se portent à remplir leur devoir. Ce devoir est double: le devoir de justice et le devoir de charité.

Le devoir de justice n'est pas toujours observé, surtout en ce qui regarde la moralité. Les congrès, même catholiques, ont le tort de laisser trop de côté ce point de vue, qui est après tout le plus intéressant et le plus pratique. La stricte justice violée autorise l'intervention de l'Etat; et un gouvernement chrétien sous l'inspiration de l'Eglise et sous sa direction, trouverait le moyen d'obliger à une plus sévère discipline. Pour être conséquent avec lui-même, il prendrait aussi ses mesures, afin de refréner le désordre dans les lieux publics, et il veillerait avec plus de soin à la moralité du cabaret comme à la moralité de l'atelier.

Le devoir de justice est d'ordinaire agité au point de vue des nécessités et des aises de la vie. C'est le point de vue dominant de tous les congrès socialistes; et les nôtres glissent sur cette pente, non sans un certain risque, quand ils arrivent à remanier la théorie du salaire.

Dans notre conviction à nous, qui étions à Liège des opposants, le Patron doit, en stricte justice, le salaire convenu d'après le taux communément accepté sur place.

Que ce salaire, suffisant pour le grand nombre, soit accidentellement insuffisant pour des pères chargés d'enfants, ou bien pour des ouvriers malades, nous le croyons sans peine; et nous avons dit dans ce sens, que la justice, pratiquée seule, n'empêcherait pas, en plus d'une occasion, des ouvriers de mourir de faim. Mais nous avons ajouté que la Providence y avait pourvu par le devoir de charité; que le point précis où il faut porter son attention, c'est de remettre en honneur la charité des âges chrétiens et pour cela les mœurs simples d'autrefois.

Nous n'entendons pas seulement par la charité le don fait de la main à la main par le patron à l'ouvrier nécessiteux. Nous voudrions voir renaître au sein des corporations, qui ne peuvent être l'oeuvre d'un jour, des patrimoines magnifiques, richesse commune de tous les associés, qui y trouve

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