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d'activité, il suffit de dire le sort de ces deux propositions: limitation des heures de travail, minimum de salaire !

Quant à la première, elle a subi une première et grave atteinte par sa disjonction d'avec la seconde : en effet, avec une haute raison et une parfaite entente de la question, M. de Kuefstein, rapporteur, les avait fait reposer l'une sur l'autre. Il lui avait semblé qu'il ne pouvait être question d'heures de travail sans qu'en même temps il fut question de salaire, la durée du jour de travail paraissant un élément essentiel de la fixation du salaire. On prétendait de certain côté que la disjonction était voulue pour faire passer une pilule avant l'autre; mais cela ne peut être vrai, car ce serait à la fois puéril et malhabile.

Il est clair que si l'Etat a le droit de dire aux contractants: << Vous ne travaillerez qu'autant d'heures, car je ne veux point que vous vous tuiez, il a le droit de leur dire « Vous gagnerez au moins cela, car je ne veux point que vous mouriez de faim. » Si l'une question est claire, l'autre l'est aussi. Si l'individu a besoin de l'Etat dans un cas, il en aura besoin dans l'autre. L'Etat sera juge des forces physiques des contractants d'un côté, comme juge de leur capacité stomachale de l'autre côté. Si celle-ci est de sa compétence, celles-là le seront aussi.

La disjonction fut faite dans un autre but, et produisit son véritable effet.

Tout ce qui, dans ce rapport concernait le salaire, fut retiré; partant, ce qui se rapportant au salaire se rapportait également à la limitation des heures de travail, tombe également, et finalement, M. de Kuefstein, avec une logique dont il lui faut tenir compte, retira son rapport tout entier pour voter avec presque toute l'assistance, une conclusion que Mgr Korum n'a pas craint de caractériser de « vague et d'anodine », à l'assemblée générale du mardi soir.

La voici en son entier. « Considérant que s'il n'appartient pas à l'Etat de régler directement les conditions de la libre activité de l'homme, il lui appartient de réprimer les abus qui portent atteinte tant à la santé publique qu'à la vie de famille, le Congrès déclare que l'établissement, par convention internationale, d'une limite de la journée de travail

à l'usine, limite qui ne doit pas être dépassée, est désirable. Cette limite varierait suivant le pays et l'industrie. >>

Evidemment cela n'engage à rien. L'Etat n'interviendrait ici qu'au cas où les abus seraient devenus tellement universels qu'ils constitueraient une atteinte à la santé publique et à la vie de famille dans ces conditions, on est d'accord; en temps de choléra, l'Etat peut former des cordons sanitaires. Quant à la limite, elle est et restera dans la proposition admirablement indéfinissable; car, notez que la même section ayant voté le repos dominical commençant le samedi, on peut passablement reculer la limite des heures de travail avant d'avoir constaté des abus destructifs de la santé publique et de la famille. Conclusion vaine, par conséquent, ne donnant rien à l'Etat au-delà de la suprême mission de faire régner l'ordre général; je dis conclusion vaine pour les partisans des idées allemandes, car pour nous elle est dans la ligne de la vérité et le maximum de ce qu'on peut accorder en cette matière.

Quant à la question du minimum de salaire, elle reçut, avec tous les honneurs qu'elle méritait, un enterrement de première classe. Le Comité directeur déclara qu'elle n'était pas mûre et la renvoya pour études plus amples au prochain Congrès, c'est-à-dire, aux calendes grecques, car elle ne sera jamais plus mûre qu'elle l'est actuellement. Mer Korum prétendait bien qu'il faudrait un concile pour la décider, ce qui n'était pas flatteur pour M. le rapporteur Pothier; mais, parait-il, l'argument de M. Théry sur la stricte justice lui avait paru un obstacle colossal à la décision. Evidemment, c'était un obstacle formidable à la décision voulue par le rapporteur, et il fallait conclure non à la convocation d'un concile, mais au rejet du rapport, ce que l'on a fait d'ailleurs, mais avec politesse, comme il sied à des chrétiens.

L'argument de la stricte justice frappait d'ailleurs au centre même du rapport de M. l'abbé Pothier: en effet, M. Pothier n'admettait son minimum de salaire et partant la signification qu'il attachait au mot salaire que pour les industries en bénéfice c'était déclarer d'avance que ce salaire n'était point de stricte justice, que sa signification

n'avait qu'une valeurr relative, n'était par conséquent pas une définition exacte, car, s'il eut été de stricte justice, il fut devenu exigible en tout cas, même en cas de perte par a force de la loi le refuser eut été un vol!

L'enfouissement de la question du minimum de salaire, malgré sa grande maturité, puisque de part et d'autre se rencontraient pour discuter des hommes très compétents, est donc tout aussi significatif que l'adoption de la mesure vague et anodine en matière de durée de la journée de travail. Il caractérise l'esprit du Congrès, qui veut rester fidèle aux grands principes de l'économie chrétienne, tels qu'ils ont été formulés par des hommes de l'indiscutable valeur de M. Ch. Périn, qui trace ainsi le mode d'application en matière de réglementation: « Il faut, en donnant la sanction civile aux règles de la loi morale, laisser à la liberté tout ce qu'on peut lui abandonner, dans des circonstances données, sans compromettre la paix sociale, sans nuire gravement aux intérêts généraux de la communauté, et sans priver les particuliers de la protection qui est nécessaire à leur sécurité... Nous accordons à la liberté tout ce qu'on peut lui attribuer sans compromettre l'ordre régulier et la conservation des sociétés, et nous ne concédons au pouvoir que ce qu'on ne pourrait lui refuser sans mettre en péril le corps social et sans risquer d'anéantir ou de paralyser la liberté du bien par l'expansion coupable de la liberté du mal.. Quand il s'agit de choses qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, comme la liberté du travail... c'est la liberté qui est de règle générale, et la réglementation n'est que l'exception. C'est alors la liberté qui est la thèse et la réglementation qui est l'hypothèse..

Gardons nous de tout socialisme, quelque mitigé qu'il soit, même de ce que certains esprits à courte vue appellent injurieusement socialisme chrétien: c'est la recommandation qu'en faisait encore Mer Freppel dans la lettre qu'il adressait à Mer Doutreloux, à l'occasion du Congrès. Retenons cette parole d'un Evêque, dont nul ne contestera, avec la vertu, la haute science et l'inébranlable rectitude de la doctrine! Nous rendrons de la sorte à César ce qui appartient à César, à Dieu ce qui est à Dieu! Nous ne serons point des

aveugles vis-à-vis de l'Etat, mais jamais non plus nous ne serons des ingrats vis-à-vis de cette sainte Eglise de Dieu, dont la liberté a plusieurs fois sauvé le monde et saura le sauver encore!

(Feuille d'annonces d'Hannut (Belgique.)

LE RÉGIME REPRESENTATIF EN FRANCE

(SUITE) (1).

TROISIÈME PARTIE

Des Réformes que comporte le système actuel de la représentation en France.

CHAPITRE PREMIER

DES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS D'UNE VÉRITABLE REPRÉSENTION DANS L'ÉTAT ACTUEL DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE.

SOMMAIRE les individus et les collectivités.

:

Causes et conditions du groupement des personnes dans l'état actuel de la Société française.

L'excursion que nous avons faite dans le dernier siècle de notre histoire a été, si nous ne nous faisons illusion, la démonstration expérimentale de la thèse posée dans les premiers chapitres de ce livre, à savoir : la nécessité de composer la représentation avec ces deux éléments : les personnes ou l'opinion, et les collectivités ou les intérêts. Il ne reste donc plus qu'à rechercher et à déterminer comment

(1) Voir 4 vol., 1" semestre 1890; juillet, août et septembre, 2o semestre.

se groupent les personnes, dans l'état actuel de la société française, pour former ces mêmes collectivités.

Ici la matière devient particulièrement délicate, car il s'agit d'établir entre les personnes, si semblables entre elles, particulièrement aux yeux du législateur qu'il proclame en principe leur égalité, les caractères qui les distinguent néanmoins, de manière à les classer dans des catégories différentes. On comprend combien les points de vue auxquels on peut se placer pour les envisager sont divers; combien même ils peuvent changer une fois choisis; combien enfin tel caractère sera d'importance capitale pour les uns, tandis que d'autres ne lui en accorderont aucune. Si donc, le principe de la représentation des intérêts nous apparaît comme une vérité absolue, nous ne dirons comment, d'après nous, ils se groupent qu'à titre d'indication, laissant à d'autres le soin de trouver, pour l'application du principe lui-même, un classement qui serait plus conforme à la réalité des choses, et par conséquent, plus juste et plus pratique.

La revue historique, à laquelle nous nous sommes livrés, peut néanmoins nous fournir de précieuses données.

Après les évènements qui ont transformé complètement la face de notre pays depuis 1789; après les tentatives inutilement faites pour reconstituer, sous le premier Empire, sous la Restauration et sous la Royauté de juillet, avec des noms différents et dans des conditions nouvelles, certaines des institutions de l'ancien régime; avec les idées égalitaires dont les français sont imprégnés, il y aurait folie à vouloir revenir à un système désormais disparu et devenu antipathique à nos mœurs et à notre tempérament, à rétablir, par exemple, les prérogatives de la noblesse ou la distinction des Trois Ordres.

Le groupement des personnes ne saurait plus avoir d'autres causes parmi nous, que celles qui résultent de la nature même des choses, de circonstances, de faits, naturels ou volontaires, dont chaque individu est apte à bénéficier et qui confèrent soit à lui-même, soit au groupe auquel il appartient des droits et des devoirs spéciaux.

Ces faits ou circonstances peuvent se ramener à ceux-ci : l'âge, le sexe, la famille, la profession, le territoire.

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