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de vue ce qu'ils doivent à la patrie, ce qu'ils doivent à mon affection, ce qu'ils doivent à eux-mêmes?

Ce parti extrême eût paru moins étonnant il y a quelques mois, quand l'anarchie semblait être à son comble, et qu'on n'en apercevait pas le terme; mais aujourd'hui, que la majeure et la plus saine partie de la nation veut le retour de l'ordre et de la soumission aux lois, serait-il possible que de généreux et fidèles marins songeassent à se séparer de leur roi?

Dites bien à ces braves officiers, que j'estime, que j'aime, et qui l'ont si bien mérité, que l'honneur et la patrie les appellent ; assurez-les que leur retour, que je désire par-dessus tout, et auquel je reconnaîtrai tous les bons Français, tous mes vrais amis, leur rendra pour jamais toute ma bienveillance.

On ne peut plus se dissimuler que l'exécution exacte et paisible de la constitution est aujourd'hui le moyen le plus sûr d'apprécier ses avantages, et de connaître ce qui peut manquer à sa perfection.

Quel est donc votre devoir à tous? de rester fidèlement à votre poste, de coopérer avec moi, avec franchise et loyauté, à assurer l'exécution des lois que la nation pense devoir faire son bonheur; de donner sans cesse de nouvelles preuves de votre amour pour la patrie et de votre dévoûment à son service.

C'est ainsi que se sont illustrés vos pères, et que vous vous êtes distingués vous-mêmes. Voilà les exemples que vous devez laisser à vos enfans, et les souvenirs ineffaçables qui constitueront votre véritable gloire.

C'est votre roi qui vous demande de rester inviolablement attachés à des devoirs que vous avez toujours si bien remplis. Vous auriez regardé comme un crime de résister à ses ordres, vous ne vous refuserez pas à ses instances.

Je ne vous parlerai pas des dangers, des suites fâcheuses qu'une autre conduite pourrait avoir; je ne croirai jamais qu'aucun de vous puisse oublier qu'il est Français.

Je vous charge, Monsieur, d'adresser de ma part un exem

plaire de cette lettre à tous les officiers attachés à votre département, et particulièrement à ceux qui sont en congé.

Signé, Louis.

Et plus bas, DE Bertrand.

Lettre du roi aux officiers généraux et commandans des troupes de

terre.

De Paris, le 14 octobre.

En acceptant, Monsieur, la constitution, j'ai promis de la maintenir au dedans et de la défendre contre les ennemis du dehors. Cet acte solennel de ma part doit bannir des esprits toute incertitude; il détermine en même temps de la manière la plus précise et la plus claire la règle de vos devoirs et les motifs de votre fidélité. Mon intention est que vous annonciez aux troupes qui sont sous vos ordres que ma détermination, que je crois essentielle au bonheur des Français, est invariable comme mon amour pour eux.

La loi et le roi désormais confondus, l'ennemi de la loi devient celui du roi. De quelque prétexte maintenant dont on veuille colorer la désobéissance et l'indiscipline, j'annonce que je regarderai comme un délit contre la nation et contre moi tout attentat, toute infraction à la loi.

Il a pu être un temps où les officiers, par attachement à ma personne, et dans le doute de mes véritables sentimens, ont cru devoir hésiter sur des obligations qui leur semblaient en opposition avec leurs premiers engagemens; mais, après tout ce que j'ai fait, cette erreur ne doit plus subsister..

Je ne puis regarder comme m'étant sincèrement dévoués ceux qui abandonnent leur patrie au moment où elle réclame fortement leurs services. Ceux-là seuls me sont sincèrement attachés, qui suivent les mêmes voies que moi, qui restent fermes à leur poste, qui, loin de désespérer du salut public, se confédèrent avec moi pour l'opérer, et sont résolus de s'attacher inséparable" ment à la destinée de l'empire.

Dites donc à tous ceux qui sont sous vos ordres, officiers et soldats, que le bonheur de leur pays dépend de leur union, de leur confiance réciproque, de leur entière soumission aux lois, et de leur zèle actif pour les faire exécuter. La patrie exige cette harmonie, qui fait sa force et sa puissance. Les désordres passés et les circonstances où nous sommes, donnant à ces vertus du guerrier, pendant la paix, une valeur sans prix, c'est à elles que seront dues les distinctions, les récompenses et tous les témoignages de la reconnaissance publique.

Signé, Louis.

Et plus bas, Duportail.

Proclamation du roi concernant les émigrations; du 14 octobre.

Le roi, instruit qu'un grand nombre de Français quittent leur patrie, et se retirent sur les terres étrangères, n'a pu voir, sans en être vivement affecté, une émigration aussi considérable; et quoique la loi permette à tous les Français la libre sortie du royaume, le roi, dont la tendresse paternelle veille sans cesse pour l'intérêt général et pour tous les intérêts particuliers, doit éclairer ceux qui s'éloignent de leur patrie sur leurs véritables devoirs, et sur les regrets qu'ils se préparent. S'il en était parmi eux qui fussent séduits par l'idée qu'ils donnent peut-être au roi une preuve de leur attachement, qu'ils soient détrompés, et qu'ils sachent que le roi regardera comme ses vrais, ses seuls amis, ceux qui se réuniront à lui pour maintenir et faire respecter les lois, pour rétablir l'ordre et la paix dans le royaume, et pour y fixer tous les genres de prospérités auxquels la nature semble l'avoir destiné.

Lorsque le roi a accepté la constitution, il a voulu faire cesser les discordes civiles, rétablir l'autorité des lois et assurer avec elles tous les droits de la liberté et de la propriété. Il devait se flatter que tous les Français seconderaient ses desseins: cependant c'est à cette même époque que les émigrations ont semblé se multiplier. Une foule de citoyens abandonnent leur pays et leur roi, et vont porter chez les nations voisines des richesses

que sollicitent les besoins de leurs concitoyens: ainsi, lorsque le roi cherche à rappeler la paix et le bonheur qui la suit, c'est alors que l'on croit devoir l'abandonner et lui refuser les secours qu'il a droit d'attendre de tous. Le roi n'ignore pas que plusieurs citoyens, des propriétaires surtout, n'ont quitté leur pays que parce qu'ils n'ont pas trouvé dans l'autorité des lois la protection qui leur était due: son coeur a gémi de ces désordres. Ne doiton rien pardonner aux circonstances? Le roi lui-même n'a-t-il pas eu des chagrins? Et lorsqu'il les oublie, pour ne s'occuper que du bonheur commun, n'a-t-il pas le droit d'attendre qu'on suive son exemple?

Comment l'empire des lois s'établirait-il, si tous les citoyens ne se réunissent pas auprès du chef de l'Etat? Comment un ordre stable et permanent peut-il s'établir et le calme renaître, si, par un rapprochement sincère, chacun ne contribue pas à faire cesser l'inquiétude générale? Comment enfin l'intérêt commun prendra-t-il la place des intérêts particuliers, si, au lieu d'étouffer l'esprit de parti, chacun tient à sa propre opinion et préfère de s'exiler à céder à l'opinion commune?

Quel sentiment vertueux, quel intérêt bien entendu peut donc motiver les émigrations? L'esprit de parti qui a causé tous nos malheurs n'est propre qu'à les prolonger.

Français, qui avez abandonné votre patrie, revenez dans son sein. C'est là qu'est le poste d'honneur, parce qu'il n'y a de véritable honneur qu'à servir son pays, età défendre les lois. Venez leur donner l'appui que tous les bons citoyens leur doivent: elles vous rendront, à leur tour, ce calme et ce bonheur que vous chercheriez en vain sur une terre étrangère. Revenez donc, et que le cœur du roi cesse d'être déchiré entre ses sentimens, qui sont les mêmes pour tous, et les devoirs de la royauté, qui l'attachent principalement à ceux qui suivent la loi. Tous doivent le seconder lorsqu'il travaille pour le bonheur du peuple. Le roi demande cette réunion pour soutenir ses efforts, pour être sa consolation la plus chère; il la demande pour le bonheur de tous. Pensez aux chagrins qu'une conduite opposée préparerait à votre roi; mettez

T. XII.

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quelque prix à les lui épargner: ils seraient, pour lui, les plus pé

nibles de tous.

Fait à Paris, au Conseil-d'Etat, le 14 octobre 1791.

Signé Louis.

Et-plus bas, par le roi, DELESSART.

Pour copie conforme à l'original, écrit de la main du roi. Signé DELESSART.

SÉANCE DU 20 OCTOBRE.

La question de l'émigration, abordée le 16, fut mise à l'ordre du 20.

Lequinio, et Lemontey après lui, parlèrent sur l'impossibilité, le danger même d'arrêter l'émigration des personnes. Crestin fit observer que cette maladie politique avait redoublé depuis l'acceptation de la constitution; il demanda le renouvellement de la loi du 1er août, et la prohibition de la sortie des armes et des munitions. Après eux Brissot monta à la tribune, au milieu des applaudissemens de l'assemblée.

[M. Brissot. En examinant les lois différentes rendues contre l'émigration, en considérant les difficultés qu'elles ont éprouvées dans leur exécution, j'en ai cherché la cause, et je me suis convaincu qu'elle était dans le principe même de ces lois, dans la partialité de leur application, dans le défaut de grandes mesures. La marche que l'on a suivie jusqu'ici, a été l'inverse de celle que l'on devait suivre. Au lieu de s'attacher aux branches, on devait attaquer le tronc. On s'est acharné contre des hommes qui ont porté leurs vieux parchemins dans des pays où ils les croient encore en valeur, et, par une faiblesse impardonnable, on a paru respecter les chefs qui commandaient ces émigrations. Si l'on veut sincèrement parvenir à arrêter l'émigration et l'esprit de rébellion, il faut punir les fonctionnaires publics qui ont abandonné leurs postes; mais il faut surtout punir les grands coupables qui ont établi, dans les pays étrangers, un foyer de contre-révolution.

Il faut distinguer trois classes d'émigrans : la première, celle

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