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Paris, le 17 mai, l'an 2o.

Citoyen, je devais me rendre moi-même à l'Académie pour lui porter le décret qui l'autorise à nommer aux places vacantes dans son sein. Cet acte de déférence pour la première des Sociétés savantes de l'Europe aurait honoré ma jeunesse.

Des devoirs fâcheux me forcent de renoncer à la plus douce des jouissances de mon âme. J'espère que les deux rapports que j'ai encore à faire pour l'Académie n'éprouveront pas, dans le sein de la Convention, autant de difficultés qu'en a essuyées celui que j'ai fait adopter ce matin. Mais quelque peine qu'il faille me donner pour assurer aux hommes qui composent cette société célèbre, la jouissance de ses droits, je braverai tout avec courage; rien ne me paraîtra pénible à exécuter sous les ordres et sous les yeux de l'Académie. Je suis avec le plus profond respect, votre concitoyen.

Signé LAKANAL.

P. S. J'aurai l'honneur de vous observer que le mot provisoirement, inséré dans le décret, est purement de forme et employé dans tous les décrets relatifs à l'Instruction nationale, parce qu'on n'a rien statué de définitif à cet égard. Ainsi l'Académie a la plus grande latitude et la plus grande sûreté pour toutes les nominations qu'elle va faire, jusqu'à l'organisation entière de l'Instruction. publique.

Mais l'Académie était condamnée quoique les dévouements ne lui fissent point défaut. Emportée par la tourmente, elle disparaissait à la suite de la promulgation de la loi du 8 août 1793, dont le texte suit:

Loi portant suppression de toutes les Académies et sociétés littéraires patentées et dotées par la nation.

ARTICLE Ier. Toutes les Académies et sociétés littéraires patentées et dotées par la nation sont supprimées.

ARTICLE II. Les jardins botaniques et autres, les cabinets, muséum, bibliothèques et autres monuments des sciences et des arts attachés aux Académies et sociétés supprimées sont mis sous la surveillance des autorités constituées, jusqu'à ce qu'il en ait été disposé par les décrets sur l'organisation de l'Instruction publique.

Le mercredi 7 août, la veille du jour où cette loi était promulguée, l'Académie avait tenu, au Louvre, sans qu'elle pût d'ailleurs le pressentir, sa dernière séance. Trente-trois membres figurent sur la feuille de présence; on nous permettra de

placer leurs noms ici. Ce sont: Le Monnier, Cadet, Bossut, Desmarets, Cousin, Adanson, Demours, Jeaurat, Desfontaines, Darcet, Messier, Lamarck, Baumé, Haüy, Bory, Pingré, Buache, Berthollet, Lagrange, Vicq d'Azir, Monge, Cassini, Thouin, Legendre, Sabatier, Daubenton, Lhéritier, Lalande, Poissonnier, Borda, Le Roy, Lavoisier et Portal.

Ce jour-là, l'Académie entendit la lecture d'un rapport de Cassini relatif à un mémoire de Michel Le François La Lande sur le mouvement propre des étoiles, et se sépara au milieu de vives préoccupations.

Deux jours plus tard, le 9 août, il y eut une nouvelle réunion, mais celle-ci n'eut pas et ne pouvait plus avoir le caractère d'une assemblée officielle; il ne fut point, en conséquence, dressé de feuille de présence et les noms des académiciens qui assistèrent sont restés inconnus.

y

A la suite de cette séance, Lavoisier adressait, le 10 août, au nom de l'Académie, à Lakanal, président du Comité de l'instruction publique, la lettre suivante qu'on ne lira pas sans émotion :

Citoyens Représentants,

Les membres de l'Académie des sciences se sont réunis hier vendredi comme à l'ordinaire, au Louvre, dans la salle où ils ont coutume de s'assembler.

La séance a été ouverte par la lecture du procès-verbal de l'assemblée précédente; après quoi plusieurs des membres de l'Académie se sont empressés de mettre sur le Bureau les mémoires qu'ils ont rédigés sur plusieurs parties importantes des sciences et qui sont destinés à former le recueil qu'elle doit publier pour 1793. Chacun tenait à honneur de contribuer pour sa part à ce dernier effort de l'Académie expirante et de retenir une place dans le dernier volume, qui est le 145, que l'Académie a publié depuis 1666, époque de son établissement.

La transcription du titre de ces mémoires sur le plumitif ayant été achevée à la suite de la séance du 7, le Président a annoncé que, d'après le décret qui avait été rendu la veille par la Convention, il ne croyait pas que l'Académie pùt prolonger davantage ses séances. Quelques membres ont représenté que le décret qui supprimait l'Académie ne lui étant point officiellement connu, rien ne s'opposait à ce qu'elle continuât de s'assembler. Cependant pour donner une nouvelle preuve de sa soumission aux Loix, l'assemblée a été rompue et le Président a quitté sa place.

Alors, les membres de la ci-devant Académie des sciences se sont formés naturellement en un club, en une société libre, dont les premiers regards se sont portés sur les grands objets dont l'Académie des sciences avait été chargée par la Convention. Il a été observé que l'Académie se trouvant dépositaire d'effets précieux et ayant des comptes à rendre à la Nation sous divers rapports, il ne serait pas sans inconvénient qu'elle se séparât brusquement et sans aucune précaution. Les membres présens ont donc proposé de se réunir fraternellement et individuellement en club libre et populaire pour s'occuper de ce qui concerne les sciences et pour attendre que la Convention lui communique ses intentions définitives sur les opérations dont l'Académie a été chargée. Cette première assemblée a été indiquée en conséquence à mercredi prochain.

Nous espérons, citoyens représentants, que la Convention ne verra dans ces dispositions qu'un nouveau témoignage du zèle dont l'Académie a donné tant de preuves, et qu'elle trouvera bon que provisoirement ces réunions fraternelles se tiennent dans le lieu ordinaire des séances de l'Académie, au moins jusqu'à ce que les membres de ce nouveau club ayent trouvé un autre local. Si le Comité d'Instruction publique trouvait dans cette réunion le plus léger inconvénient, il nous rendrait service en nous en prévenant avant mercredi.

Le Trésorier de la ci-devant Académie des Sciences.

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Signé LAVOISIER.

P. S. Le parti que les membres de la ci-devant Académie des sciences ont pris de s'assembler en club, paraît avoir d'autant moins d'inconvéniens que le citoyen Grégoire, rapporteur du Comité, a assisté lui-même jeudi, immédiatement après que le décret a été rendu, à la séance de la Société d'agriculture et qu'il l'a engagée à indiquer sa séance à huitaine. Ce genre de réunion est d'ailleurs consacré et autorisé par la Déclaration des Droits et par la Constitution.

Deux jours après, le 12 août, sans tenir compte de cette prière, la Convention rendait un décret ordonnant l'apposition des scellés sur les portes des appartements occupés par les Académies. Ici encore intervint une seconde fois l'autorité bienfaisante et éclairée de Lakanal. Il fit rapporter ce décret et lui en substitua un autre, conçu dans les termes suivants :

Du 14 août 1793.

La Convention nationale, ouï le rapport de son Comité d'Instruction publique, décrète que les membres de la ci-devant Académie

des sciences continueront de s'assembler dans le lieu ordinaire de leurs séances pour s'occuper spécialement des objets qui leur ont été et qui pourront leur être renvoyés par la Convention nationale;

En conséquence, les scellés, si aucuns ont été mis sur les registres, papiers et autres objets appartenant à la ci-devant Académie, seront levés et les attributions annuelles faites aux savants qui la composaient leur seront payés comme par le passé, et ce jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné.

Signé LAKANAL, Rapporteur.

Trois jours plus tard, ce décret était rapporté à son tour, et les scellés étaient apposés sur toutes les salles et sur tous les cabinets de l'Académie.

On a peu de renseignements précis sur les derniers jours de l'Académie des sciences; nous trouvons cependant, dans une note manuscrite de Ch. Messier, intitulée: Notice de mes comèles, appartenant aux Archives de l'Observatoire de Paris, les observations qui suivent; il nous a paru bon de les reproduire en leur conservant la forme originale que l'auteur leur a donnée :

Un an avant sa suppression, dit Messier, en parlant de l'Académie, les assemblées étaient devenues un peu tumultueuses par de nouveaux changements, des réformes, etc. L'on apprit que des gens malintentionnés qui se portaient partout, menaçaient l'Académie. Le 12 mars 1793, l'on ôta les bustes de la salle. Le samedi 27 juillet, jour d'assemblée, on ne trouva plus dans la salle, ni tapisseries, ni tableaux; les murs absolument nuds et des ouvriers étoient occupés à ôter des plafonds tous les signes de la royauté. Sur le rapport du citoyen Grégoire, un décret fut rendu le 8 aout, qui supprime les Académies. Le samedi 17, les membres de l'Académie se rendirent encore au Louvre pour tenir séance, le décret de suppression n'ayant pas été signifié et Lakanal ayant fait excepter l'Académie des sciences (1), ils trouvèrent que les scellés avoient été mis à 5 heures du matin sur la porte d'entrée et ailleurs; nous restâmes dans le corridor environ une heure.

<< Ainsi finit l'Académie et la réunion de ses membres. >>

(1) Les mots soulignés ont été ajoutés au manuscrit de Messier par Jérôme Lalande.

CHAPITRE V

L'Institut est créé. Son transfert au palais des Quatre-Nations.

Décret impérial réglant ce transfert. Appropriation du palais à sa nouvelle destination. Les statues qui l'ornent. Une partie de la bibliothèque Mazarine est affectée à la réunion des classes de l'Institut. Disposition de ce local. La bibliothèque Mazarine et celle de l'Institut sont réunies et séparées à deux reprises différentes. L'Institut obtient une nouvelle salle. Sa disposition. Elle est jugée mauvaise. projet d'installation. Le jardin des Quatre-Nations. Les constructions nouvelles. Leur disposition.

plans de Lebas.

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Nouveau Adoption des

Plan intérieur de la salle actuelle. Places qu'y occupaient les académiciens en 1881. Les médaillons peints, les statues et les bustes qui décorent la salle. - La salle de l'Académie française. Admission du public aux séances de l'Académie des sciences. La création des Archives de l'Académie. Les documents qu'elles renferment. Médaillier scientifique.

Le

Deux ans plus tard, le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), l'Institut était créé sur des bases qui rappelaient par bien des points le grand projet conçu par Colbert plus d'un siècle auparavant. Rien ne fut changé alors au lieu de réunion des classes qui composaient la nouvelle Compagnie, ces réunions avaient lieu à tour de ròle dans les salles de l'ancienne Académie des sciences; l'Institut tout entier tenait ses séances générales dans la salle des Cariatides.

Mais cet état de choses ne devait pas durer; en effet, désireux d'apporter au palais du Louvre de nombreuses améliorations et d'en hâter l'achèvement ou la restauration, le premier Consul reconnut en 1801 l'impossibilité d'y maintenir les Académies, au moins pendant un certain temps; c'est alors que, par ses ordres, on chercha un local placé autant que possible au centre de Paris, et que le choix se porta sur le palais des Quatre

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