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tempêtes, et c'est ce qui aurait eu lieu si l'énergique prévoyance du 2 décembre n'y eût pourvu.

Si nous ne nous trompons, nous venons d'expliquer les vrais motifs pour lesquels la France a laissé mourir sans regret l'ancienne presse démagogique, la Constitution, et l'Assemblée. Toutes avaient fatigué le pays, à force de vouloir le passionner contre un homme; c'est là ce que ne voyaient pas les chefs des factions parlementaires, et ce qui n'a pas échappé à la haute sagacité de l'homme qui nous gouverne.

Mais est-ce à dire qu'il ne faille plus désormais ni presse indépendante, ni corps législatif, et que la France soit prête à accepter une dictature sans frein et sans limites? Loin de nous une telle pensée: l'élu des 10 et 20 décembre prépare, avec une sage lenteur, une Charte nouvelle mieux appropriée aux instincts et aux besoins de la France; la presse périodique y trouvera sa place, non plus celle que nous avons connue, mais une autre qui donnera au moins des garanties, qui sera mieux réglée, mieux contenue. Quant à l'élément législatif, nous savons déjà que nous en aurons un: il sera double, et nous aurons deux Assemblées qui pourront se faire contre-poids l'une à l'autre, au lieu d'une Assemblée omnipotente. Toutes deux seront ramenées à leur vraie mission, mission d'ordre, de paix,

de travail sérieux et productif; leur rôle ne sera pas de harceler sans cesse le pouvoir par des taquineries mesquines; le calme succèdera enfin à ces fiévreuses émotions qui paralysaient le commerce et tuaient l'industrie, à cet état inflammatoire et chronique dans lequel des esprits prévenus ne voyaient que les signes de la vie nationale, et qui était peut-être un symptôme de mort prochaine. Les passions politiques s'apaiseront, se tairont peut-être tout-à-fait. Hélas! cela serait que nous n'aurions pas, nous, le courage de nous en plaindre: elles ont fait tant de bruit, que le silence serait sans doute, pour nous un bien, pour elles une juste expiation.

Il est possible que l'organisation nouvelle préparée par Louis-Napoléon soit imparfaite. Quelle est la chose de ce monde qui ne l'est pas ? Mais, en tous cas, elle ne portera pas dans son sein les principes délétères, les deux grands dissolvants qui, depuis vingt années, ont lentement miné d'abord, et fait périr ensuite tous les gouvernements. D'ailleurs, si l'édifice n'est pas irréprochable, qui donc empêchera l'architecte d'en corriger les vices ? Celui qui aura fait aura bien le droit d'améliorer; et, en ce cas, nous en sommes certain, ce n'est pas la bonne volonté qui ferait défaut à Napoléon. Ce n'est pas lui qui reculerait devant des réformes jugées indispensables par le pays. Il n'y a que les gouvernements faibles qui refusent de

se modifier, et le gouvernement du 20 décembre sera fort.

Nous disons qu'il sera fort: en effet, il n'aura pas seulement pour lui la force matérielle, mais il s'appuiera sur la force morale qui lui vient de la grande manifestation du mois dernier, force morale que n'ont eue ni Louis-Philippe, ni la royauté dite légitime. Il est des gens qui, pour amoindrir la portée de l'élection du Prince-Président, vont répétant partout que la France l'a pris à titre de pis-aller, ne pouvant pas en prendre un autre. C'est mal juger les choses, selon nous. Non, ce n'est pas comme nécessité de circonstance que la France a choisi Louis-Napoléon; c'est parce qu'elle l'a préféré à tout autre, sans exception; c'est parce qu'il est le seul homme véritablement populaire, le seul au nom duquel s'attache le souvenir de grandes choses faites pour le pays. Que venez-vous nous dire sur vos rois légitimes, sur la dynastie de la branche cadette? Qui donc, dans les chaumières et dans les ateliers, connaît Henri IV, François Ier, Louis XIV?Personne. Tout le monde, au contraire, y connaît l'homme qui éleva la France à une hauteur inouïe jusqu'alors, qui dompta l'anarchie, et mit l'Europe à nos pieds; l'homme qui sut si bien récompenser les services rendus et découvrir le mérite partout où il était; l'homme qui prenait les fils de bourgeois pour en faire des maréchaux,

les fils de paysans ou d'ouvriers pour en faire des rois (4)!

Ainsi donc, nous le répétons, le Gouvernement nouveau sera fort, assis sur ces deux piédéstaux qui se prêteront un appui réciproque, la foi du peuple, et le dévouement de l'armée.

Et maintenant, à la place des jours tranquilles et heureux que l'avenir nous promet, voyons ce que nous eût donné la Constitution, ce que nous préparaient les partis, si on les avait laissés faire.

Tout le monde connaît la situation politique qui précéda les évènements de décembre. Résumons-la en quelques mots. Louis-Napoléon ne voulait qu'une chose, c'est que la France pût choisir librement son chef en 1852 : c'était là son crime aux yeux des partis. Le 2 décembre, les différentes factions parlementaires, se coalisant alors pour une œuvre de destruction, sauf à se battre ensemble sur les débris qu'elles feraient, se préparaient à glisser dans la loi de responsabilité des agents du pouvoir un article consacrant, au profit de l'Assemblée et de ses dignitaires, le droit de requérir directement la force armée. Le Constitutionnel a publié des documents qui prouvent qu'on n'attendait que le vote de l'article pour user de ce droit; et cela, non afin de

(1) Murat, roi de Naples, était fils d'un anbergiste.

défendre l'Assemblée, qui n'était nullement menacée alors, mais afin d'attaquer le Pouvoir exécutif. On devait, au palais législatif, décréter d'accusation Louis-Napoléon, et, sous prétexte qu'il préparait inconstitutionnellement sa réélection, l'envoyer au château de Vincennes.

Eh bien! supposons un instant que ce complot eût réussi, qu'il se fût trouvé dans l'armée des soldats prêts à porter la main sur le neveu de l'Empereur devenu Président de la République, croit-on d'abord que ce succès eût été obtenu sans catastrophe, sans effusion de sang? Dans cette armée si héroïque, si bien disciplinée, qui a marché contre l'émeute parlementaire comme un seul homme, on voudra bien admettre au moins que quelques régiments auraient refusé d'obéir aux ordres de l'Assemblée, et seraient demeurés fidèles à Louis-Napoléon. Alors, que serait-il arrivé? On aurait vu dans les rues de Paris deux armées en présence... des flots de sang français auraient coulé... Premier malheur!.. Mais ce n'est pas tout. Qui donc aurait triomphé dans ce conflit? A qui donnaient des chances ces fatales divisions et cette force militaire ainsi coupée en deux? A qui? Peut-on avoir le moindre doute à cet égard? Et à qui donc, si ce n'est au parti qui flairait et guettait depuis deux ans cette collision? au parti qui se glisse toujours entre les combattants pour dépouiller et voler le vain

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