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tard Marie-Louise l'eut rendu père et lui eut donné à lui-même un héritier direct. Il envoyait souvent chercher les deux fils du roi de Hollande: leur grâce enfantine et naïve l'intéressait, et il s'amusait volontiers de leurs jeux, au sortir de quelque grave discussion dans le conseil d'Etat, de quelque conférence avec Cambacérès, ou d'une conversation sur les affaires extérieures avec le duc de Vicence. Il avait l'habitude de les appeler à ses heures de repas, les seules qu'il dérobât jamais au soin des affaires publiques, à l'heure des déjeuners surtout: il les faisait alors asseoir à ses côtés dans son cabinet, à une petite table où nul autre qu'eux n'a pris place, et leur faisait réciter les fables de Lafontaine, leur en expliquait la moralité, et épiait, avec une sollicitude toute paternelle, le développement de ces jeunes intelligences.

Il les perdit de vue à l'époque de son départ pour l'île d'Elbe, et des témoins oculaires racontent qu'à son retour en France, il les revit avec un véritable transport de joie, et remarqua avec émotion leur croissance physique et les progrès de leur esprit. Hélas! à cette époque, Napoléon était séparé de son propre fils, le roi de Rome, que les Autrichiens venaient d'emmener avec eux à Vienne. Les deux fils de son frère le consolaient de l'absence du sien!

Nous voici arrivés aux désastres de Waterloo. La France est envahie: découragée, fatiguée de

la guerre, elle abandonne, dans un moment d'imprévoyance et de prostration, le grand homme qu'elle adorait naguère, elle s'abandonne ellemême; la trahison, l'ingratitude des hommes qui lui devaient le plus, précipitent la chute de Napoléon; non-seulement on le proscrit lui-même, mais encore tout ce qui tient à lui par les liens du sang. Tous les membres de la famille impériale, hommes, femmes, vieillards, enfants, tous vont expier dans l'exil le crime glorieux de cette parenté.

La reine Hortense partit donc pour la terre étrangère, accompagnée de ses deux fils; elle arriva à la frontière sous l'escorte d'un officier autrichien.

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« J'ai dû quitter, écrivait-elle le soir de son dé« part, cette ville (Paris) d'où les alliés m'expulsaient à la hâte; tellement redoutée, faible femme que j'étais avec mes deux enfants, que, « de distance en distance, la troupe ennemie était << sous les armes pour protéger, disait-on, notre passage, mais en réalité pour assurer notre dé

part. › Précautions qui témoignaient de la peur qu'inspirait encore la popularité des Bonaparte, même au moment où leur chef était vaincu et désarmé. On se hâtait de les faire disparaître, dans la crainte d'un revirement d'opinion et d'un réveil en leur faveur de l'honneur national momentanément endormi, ou plutôt

paralysé sous la pression de la force et du nombre.

Ici trouve sa place un détail aussi triste que touchant. Louis-Napoléon avait sept ans à peine lorsqu'il quitta la France avec sa mère. Sa douleur fut pourtant des plus vives; il ne voulait pas s'éloigner de Paris, il pleurait, il frappait la terre du pied; il fallut enfin l'emporter presque de vive force dans la voiture, et le calmer par la promesse d'un retour très-prochain. Caprice d'enfant! dira-t-on peut-être; quant à nous, dans ce fait qui peut paraître puéril à d'autres, nous voyons poindre ce sentiment patriotique, cet amour pour la France, si persévérant, si pieux, dont le prince Louis-Napoléon, devenu homme, a donné des gages si nombreux et si éclatants. Nous ne pouvons aussi penser à cet enfantillage, sans nous rappeler, malgré nous, ces paroles de l'Empereur à Sainte-Hélène : « Je demande que

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mes restes reposent un jour sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que

j'ai tant aimé. » Raison chez l'un, instinct chez l'autre, cela est certain; toujours est-il que l'enfant de sept ans portait déjà en lui le germe de ce grand sentiment qui inspira toujours son oncle, la religion de la patrie (1).

(1) La reine Hortense, dans ce triste voyage, rencontra sur sa route un sérieux danger pour elle et pour ses fils. Elle était accompagnée par un officier autrichien, M. de Wilna. A Dijon, elle

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Après avoir quitté la France, la reine Hortense se retira successivement à Genève, à Aix en Savoie, où elle avait fondé un hôpital, dans le duché de Bade, en Bavière, près de son frère Eugène, puis enfin en Suisse et à Rome. Elle habita longtemps Augsbourg, qu'elle quitta pour une résidence sur les bords du lac de Constance, dans le canton de Thurgovie. Le Gouvernement helvétique accueillit la noble proscrite et ses fils, malgré la plus vive opposition de la part des Bourbons et de la sainte-alliance.

Ainsi, ces deux enfants, Louis-Napoléon et son frère, promis dès leur naissance au plus magnifique avenir, bercés sur les marches du premier trône de l'univers, trouvaient à grand'peine une place où ils pussent s'asseoir, un abri pour reposer leur tête. Leur mère se résigna en atten

fut arrêtée par un détachement de gardes du corps qui la menacèrent et l'insultèrent brutalement. Un d'entre eux voulut même l'entraîner de vive force, lui disant qu'elle était sa prisonnière.-Madame est sous la protection de l'Autriche, s'écria M. de Wilna.-Mais le garde du corps insista et saisit rudement le bras de la reine, que l'officier autrichien parvint pourtant à dégager. Les deux enfants, Louis-Napoléon et son frère, qu'on voulait emmener avec leur mère, furent vivement poussés dans la voiture qui, sur un signe de M. de Wilna, s'élança rapidement et disparut.

Le lendemain, en entrant à Lons-le-Saulnier, les rôles étaient intervertis. Le peuple, dans sa colère, menaça les jours de l'officier de l'Autriche; ce fut la reine Hortense qui intervint: sa parole si douce et sa voix touchante désarmèrent les furieux, et M. de Wilna fut sauvé à son tour.

dant des jours meilleurs; elle comprit tous les devoirs que lui imposait la fortune, et, sans jamais leur laisser oublier, mais au contraire leur rappelant toujours le sang illustre qui coulait dans leurs veines, elle se prépara à faire de ses deux fils des citoyens dignes de leur pays et de leur nom, et, avant tout, des hommes. Elle voulut d'avance, au cas où la fortune viendrait à leur sourire plus tard, les mettre à la hauteur de leur future position, et, dans le cas contraire, leur fournir les moyens de corriger, à force de mérite personnel, les injures du sort.

Dans ses soins maternels elle n'oublia rien, ni la culture de l'esprit et de l'âme, ni les exercices du corps.

Le premier gouverneur de Louis-Napoléon fut M. l'abbé Bertrand. M. Lebas, fils du conventionnel de ce nom, professeur à l'Athénée de Paris et maître de conférences à l'École normale, dirigea plus tard ses études classiques. Le jeune prince suivit les cours du gymnase d'Augsbourg, où il se fit particulièrement remarquer par une rare aptitude pour les sciences exactes. Il acquit de nombreuses connaissances, apprit le grec et le latin, ainsi que les langues vivantes, et reçut d'un Français fort instruit, placé à la tête d'une manufacture en Suisse, M. Gastard, des leçons de physique et de chimie. En même temps il se livrait avec ardeur aux exer

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